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André
Renard Syndicaliste
Valenciennes (France) 21.05.1911 - Liège 20.07.1962 |
Ce texte est extrait de
l'ouvrage
Cent Wallons du siècle
Institut Jules Destrée,
Charleroi, 1995
Index |
À l’issue de son service
militaire, André Renard entre comme ouvrier traceur chez
Cockerill puis devient
contremaître à l’atelier de réparations de l’Espérance
Longdoz (1932). Fondateur
de premiers noyaux syndicaux dans une entreprise connue pour son
anti-syndicalisme, Renard est
renvoyé et reste sans travail pendant plusieurs mois.
Engagé en avril 1936 comme conducteur de travaux aux
Pieux
Franki, il participe aux grèves en
faveur des congés payés et de la semaine des 40 heures.
Il est à nouveau renvoyé avant
d’être réembauché quelque temps plus tard.
Membre des
Jeunes Gardes
socialistes, membre du comité exécutif de la
Fédération syndicale des
Métallurgistes de
Liège,
Renard publie quelques articles dans le
Cri des jeunes.
Son militantisme n’échappe pas à
l’attention d’Isi
Delvigne qui le charge, en
1936-1937, de rassembler la documentation relative à la vie économique et
sociale de la Belgique.
Militant antifasciste, il se rend plusieurs fois en
Espagne, en tant que membre de
délégations syndicales internationales (fin 1937).
C’est à ce moment que se façonne la carrière du futur leader
syndical. Responsable du service
d’études et de documentation de la Fédération
des métallurgistes de Liège
(novembre 1937), il fait ensuite partie de son comité exécutif.
Mobilisé
fin 1939, le soldat des premiers lanciers de
Spa est arrêté et emprisonné en
Allemagne, comme des milliers de
jeunes Wallons de sa génération.
Porteur du matricule 50.523, il
est retenu au stalag XI
A-137, jusqu’au 28 mai 1942 ;
malade, André
Renard est en effet libéré et
rapatrié. Dès son retour, il
s’engage dans la Résistance.
Pour lutter contre les
déportations, André
Renard crée le
Corps franc armé
K.J.3
dont il assure le commandement. Encourageant
une forme de résistance civile qui consiste à freiner la production et à saboter
l’outil, actif dans la presse clandestine, il apporte une aide toute
particulière à 1.500 réfractaires sérésiens au travail obligatoire, surtout à
partir de l’automne 1943, dans le cadre du
Service
Socrate.
Durant l’été 1942, André
Renard a renoué un contact avec
Raymond
Latin. S’appuyant
sur une base ouvrière de plus en plus large,
A.
Renard et
R. Latin
réunissent les anciens délégués de la Fédération
et, à partir d’octobre, assurent la rédaction du
Métallurgiste, bulletin
d’information stencilé, qui coordonne l’action des délégués répartis dans les
entreprises du bassin industriel liégeois.
Proche des travailleurs et de leurs revendications, le nouveau
syndicat clandestin joue un rôle important lors des grèves contre les
déportations, dont la plus importante, celle du 24 février 1943, rassemble
60.000 personnes. À la même époque, un manifeste rédigé par un groupe de
syndicalistes wallons – où figurait vraisemblablement
André Renard –
plaide en faveur d’un regroupement wallon de toutes les forces syndicales qui,
avant le 10 mai 1940, étaient structurées sur le plan national belge.
Suite à des contacts avec
Robert
Lambion, président de Comités
de Lutte syndicale, l’Intersyndicale
des CLS de
Liège et l’ancienne Fédération
des Métallurgistes de
Liège aboutissent à un accord
(juin 1943) : la fusion de la fédération socialiste et des
CLS.
Vers la fin de l’occupation, la
Fédération des
Métallurgistes se sépare
totalement de la CGTB et forme le
Mouvement métallurgique unifié (MMU)
qui devient par la suite le Mouvement
syndical unifié (MSU),
organisation totalement autonome. En
septembre 1944, tant la CGTB que
la CSC, tout en reconnaissant les organisations syndicales nées
pendant la guerre, tentent d’en attirer les membres.
Lors de la Première
Conférence du
Travail (16 septembre 1944),
seules la CGTB et la
CSC sont présentes. À la suite d’une action de grève
spectaculaire (du 16 au 24 septembre), le
MSU parvient à se faire reconnaître en tant qu’organisation syndicale ;
apprécié notamment dans les milieux udébistes,
André Renard
sort grandi de ces différentes épreuves de force ; il peut compter sur l’appui
de 80 à 90% des ouvriers métallurgistes liégeois.
Ayant réussi à créer une unité
syndicale dans la région liégeoise, André
Renard s’attèle alors à la
création d’un syndicat unique à plus large échelle.
Les négociations sont rudes ; finalement, la
SGUSP, la
CGTB, les CLS et
le MSU acceptent de se dissoudre
au profit de la seule FGTB
(congrès de fusion, 28 et 29 avril 1945).
La presque totalité des principes de la
Déclaration du
MSU se retrouve dans le programme
de la FGTB.
La
CSC, qui avait participé à une
première réunion de contact, décide pour sa part de conserver ses prérogatives.
Jusqu’au début des années
soixante, A.
Renard tentera de convaincre ses
dirigeants de se rallier à un programme commun.
En vain.
Président
de la Fédération des
Syndicats de la région de
Liège (1944),
A.
Renard devient secrétaire national
de la Fédération des
Métallurgistes (1945) et
secrétaire national de la FGTB
(1946-1948). Il démissionne de
cette dernière fonction lors du congrès de février 1948 pour protester contre le
non-respect de l’indépendance syndicale.
Dans un Manifeste signé,
quelques jours plus tard, par plusieurs syndicalistes de l’ancien
MSU,
Renard réclame à la fois un plus
grand respect de l’indépendance et de l’unité du mouvement syndical, ainsi
qu’une représentation plus équitable des tendances et des régions.
Dès
1945, André
Renard a clairement exprimé quelle
était sa position dans la Question royale. Politiquement
et patriotiquement, Léopold
III est condamné ; socialement, il est sans intérêt.
Cependant, il supporte mal que
cette affaire coûte des millions à la classe ouvrière mais surtout qu’elle la
détourne des vrais problèmes sociaux.
Le retour ou non de Léopold
III ne doit pas permettre au patronat d’éviter de tenir
promesse. En 1950, les
événements se précipitent. La
différence de sensibilité entre la Flandre
et la Wallonie au moment de la
consultation populaire du 12 mars 1950 renforce l’impression déjà ressentie par
André
Renard au sein de la
FGTB nationale : les travailleurs wallons ne sont pas représentés
équitablement. Il n’y a pour nous qu’un chiffre qui compte, c’est le chiffre
de la Wallonie, déclare
André
Renard qui affirme que c’est la
première fois qu’un militant syndical parle en tant que
Wallon (22 mars).
Au
Congrès national wallon de
Charleroi, le 26 mars 1950, il
apporte le soutien de 85.000 travailleurs manuels et intellectuels de la
FGTB de
Liège au mouvement de libération
de la Wallonie :
Fédéralisme !
Oui, mais avec la place qui
revient à la classe ouvrière. Nous
voulons la libération de la Wallonie,
mais nous voulons aussi notre libération en tant que classe sociale.
Lorsque
Léopold III
rentre à Laeken le 22 juillet
1950, A.
Renard contribue au mot d’ordre de grève générale et prône
« l’abandon de l’outil ». Tout le bassin industriel est paralysé.
Le climat est insurrectionnel. Fin
juillet, il apporte son soutien à la formation d’un gouvernement wallon
provisoire qui aurait été chargé de convoquer les États généraux de
Wallonie. Après les événements de
Grâce-Berleur,
la Question royale trouve sa
solution, la question wallonne reste en suspens.
Redevenu
secrétaire national de la FGTB
(1949-1953), A.
Renard brigue la succession de
Paul
Finet au secrétariat général de la
FGTB.
Face à lui,
Louis
Major ; c’est le candidat flamand
qui est élu, avec trois voix de plus que le candidat wallon qui accepte de
devenir secrétaire général adjoint. Dans
les faits, le secrétaire général exercera, notamment, la responsabilité des
régionales flamandes alors que le secrétaire général adjoint aura compétence sur
les régionales wallonnes, tous les deux exerçant de concert leur pouvoir sur
Bruxelles.
Les
années cinquante sont en effet surtout marquées par la volonté d’André
Renard d’élaborer une nouvelle
action syndicale ; pour ce faire, il met sur pied une commission d’études qui,
de 1951 à 1954, rassemble des personnalités de premier plan.
En 1954, un congrès extraordinaire
de la FGTB adopte les propositions
qui concernent la nationalisation de l’énergie, le contrôle des banques, la
coordination des investissements, l’assainissement des secteurs déficients de
l’économie, la répartition équitable du revenu du travail...
Deux ans plus tard, commence la
bataille pour les réformes de structure :
Holdings et démocratie économique
(1956) donne le ton. Renard
fait le procès du régime, met en cause les groupes financiers, leur carence en
matière d’investissements, d’expansion et de modernisation technologique ainsi
que leur état d’impréparation quant à l’intégration de l’économie belge dans le
Marché commun alors naissant.
Adopté à l’unanimité par les deux
congrès de la FGTB, ce programme
divisera, dans les faits, syndicalistes wallons et syndicalistes flamands.
Même
s’ils ne partagent pas le même point de vue sur toutes les questions, André
Renard et Louis Major s’estiment et se respectent.
Ensemble, dans les années
cinquante, ils se sont notamment lancés dans le combat en faveur de l’Europe
et, en compagnie de Georges
Debunne, ils ont fait partie du
Comité d’Action pour les États-Unis
d’Europe mis sur pied par
Jean
Monnet.
Ils se sont cependant heurtés à un
manque de volonté d’aboutir de la part des décideurs politiques et ont reporté
leurs efforts dans leur région respective.
Depuis
1951, André
Renard dirige notamment le journal
La
Wallonie et succède
officiellement à Isi
Delvigne à partir de 1952.
Parallèlement, via son bras droit,
André
Genot, qui est notamment le
rapporteur économique du congrès des socialistes wallons (Namur,
6 et 7 juin 1959), André Renard enregistre avec satisfaction l’adoption par le
Parti socialiste belge non seulement du programme économique des réformes de
structure du syndicat mais aussi l’idée d’une fédéralisation des structures du
Parti.
Acteur et animateur majeur de la
Grève contre la Loi unique, André Renard en assure le succès au travers le
Comité de
Coordination des régionales wallonnes de la FGTB.
Répétant qu’il est indispensable
de recourir au fédéralisme pour réformer les structures de l’État belge,
André
Renard prône son application dans
les structures syndicales. Le 23 janvier, la grève est suspendue mais André
Renard entend continuer la lutte. Fin février, est lancé le
Mouvement populaire wallon qui se
fixe deux objectifs : réformes de structure et fédéralisme.
Dans le même temps,
A.
Renard adresse une lettre de
démission au bureau national de la FGTB
(23 février). Il y invoque une
incompatibilité totale entre les positions qu’il défend et la fonction qu’il est
appelé à remplir. Démissionnant
par conséquent aussi de ses mandats au Conseil
économique et social européen, au Conseil
central de l’économie, au Comité
de contrôle de l’électricité, au Conseil
d’administration de l’OBAP, au
Comité national d’expansion
économique, au Conseil supérieur
de l’enseignement technique et au Comité
national de la recherche scientifique, il confirme dans un article à
Combat intitulé
J’ai démissionné que les structures unitaires tant
étatiques que syndicales sont l’obstacle et au socialisme et à l’expansion
économique, les deux étant plus que jamais condition l’un de l’autre.
Je veux être libre (...)
pour militer (...) pour une Wallonie
démocratique et prospère. (...) Seul
le fédéralisme peut créer les conditions favorables aux réformes de structure
économique qui créeront elles-mêmes les conditions de l’expansion économique
dans le progrès social.
La
vie d’André
Renard au cours des années 1961 et
1962 va alors se confondre avec celle du
Mouvement populaire wallon, présenté officiellement après les élections
législatives de mars 1961. Directeur
du journal La
Wallonie et de
Combat, président d’un
mouvement wallon dont la doctrine est hardiment charpentée,
André
Renard n’en reste pas moins un
leader de groupe de pression fragile. N’exerçant
plus de responsabilités dans les instances supérieures de son syndicat, il ne
peut compter que sur l’appui des militants pour introduire les réformes
auxquelles ses camarades flamands s’opposent. Meetings, cortèges et congrès
popularisent les thèses du Mouvement populaire wallon. Cependant, l’état de
santé d’André Renard
inspire les plus vives inquiétudes. Hospitalisé
le 7 juillet, il devait décéder quelques jours plus tard. Ses funérailles
rassemblent des milliers de personnes. Les
discours rendent hommage au résistant, au syndicaliste, au
Wallon, au militant.
Ses compagnons de lutte ne
manqueront pas de rappeler son action à l’occasion d’anniversaires et une
fondation verra le jour au sein de la régionale
Liège-Huy-Waremme
de la FGTB.
Paul
Delforge
Pour
une biographie plus complète, on se reportera à la notice qui lui est consacrée
dans l’Encyclopédie du Mouvement wallon, sous la direction scientifique
de Paul Delforge, Philippe
Destatte et Micheline
Libon, Charleroi, 2001, tome 3, p.
1380-1387.
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