Cent Wallons du siècle. Catalogue de
l'exposition, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1995.
Je n'oublierai jamais le nom de François Bovesse.
Dans ma mémoire personnelle, il est intrinsèquement lié à celui d'un instituteur
liégeois, Henri Boinem, assassiné comme Bovesse par l'occupant nazi ou par ses sicaires.
Les instituteurs qui m'ont amené à un niveau de conscience collective avaient le souci,
dans les années du sortir de la guerre, de me dire ce que nous devions à ceux qui
avaient choisi de donner l'exemple et, pour ce faire, de prendre des risques.
Mais les instituteurs ont-ils encore tous,
aujourd'hui, la même volonté ? Et, si beaucoup l'ont, ils doivent lutter contre
l'envahissement quotidiennement redoutable de la télévision et l'attirance de l'image.
C'est à tout cela que j'ai pensé en me posant à
moi-même la question, au seuil de la fin du siècle, de savoir quels étaient les cent
Wallons (ou les cent Wallonnes) qui avaient le plus marqué le siècle que nous nous
préparons à quitter.
La question n'est pas neutre. Dès 1912, Jules
Destrée écrivait déjà dans sa lettre au Roi : "Ils nous ont pris notre
passé", en dénonçant la soustraction de ceux de chez nous par l'histoire
officielle. "Nous les avons laissé dire et enseigner l'histoire de Belgique, sans
nous douter des conséquences que les traditions historiques pouvaient avoir dans le temps
présent. Puisque la Belgique, c'était nous comme eux, qu'importe que son histoire,
difficile à écrire, fût surtout celle des jours glorieux de la Flandre ? Aujourd'hui,
nous commençons à apercevoir l'étendue du mal. [...] Nous ignorons tout de notre passé
wallon [...]. Il semble vraiment que nous n'ayons rien à rappeler pour fortifier les
énergies et susciter les enthousiasmes" annonçait encore le futur Ministre des
Sciences et des Arts.
Raoul Warocqué, Edouard Empain, Ernest Solvay,
Marcel Thiry, Léonie De Waha, Paul Pastur sont des noms qui sonnent encore à nos
oreilles de manière familière. Mais que savons-nous vraiment d'eux ? Et, plus important,
pouvons-nous penser que les oreilles de nos enfants résonnent de la même façon ? Il est
permis d'en douter.
Jules Destrée affirmait aussi "L'art wallon
est ignoré". Qui en parle encore après lui et après les efforts de Marcel Florkin
? Pourtant, Destrée ne pouvait connaître ni les succès de Paul Delvaux et de René
Magritte, ni Arthur Grumiaux ni Henri Pousseur, ni des géants de la bande dessinée comme
Joseph Gillain, que les Wallons d'aujourd'hui ne connaissent pas assez, même sous son
pseudonyme de Jijé.
En matière de lettres comme de sciences, des noms
comme ceux de Georges Simenon ou de Georges Lemaître sont connus autour de la terre. Mais
combien d'autres mériteraient de sortir de la nuit qui les entoure encore, même en
Wallonie. Et sommes-nous bien sûr que chaque Wallon les identifie comme des compatriotes
?
Voilà tout ce qui m'a conduit à proposer à
Bernard Anselme, à l'époque Ministre- Président de la Région Wallonne, de parrainer à
la fois une recherche et une exposition.
La recherche visait à identifier cent noms, cent
personnes, cent personnalités, bref cent destinées; l'exposition permettait de mettre en
évidence les spécificités de chaque destin.
Le Foyer Culturel Les Chiroux à Liège, qui avait
accepté d'être le moteur de l'aventure, souhaitait que la recherche soit menée par
l'Institut Jules Destrée. Nous remercions l'Institut d'avoir accepté cette tâche
difficile.
En fait, l'Institut devait faire savoir rapidement
qu'il accueillait avec plaisir l'idée de prolonger les efforts qu'il avait déployés
dans la préparation de l'exposition du Ministère de la Région wallonne Mon pays c'est
la Wallonie, elle-même inspirée du livre l'Identité wallonne.
La Région Wallonne s'honore en aidant ainsi notre
peuple à se nourrir de ce que Léopold Genicot appelait si justement nos "racines
d'espérance".
Je tiens tout particulièrement à remercier
l'Exécutif que présidait Bernard Anselme d'avoir voulu et permis la réalisation de
notre projet, comme je me réjouis de voir la continuité politique de la Région
affirmée par l'appui renouvelé que nous a accordé l'Exécutif présidé par Guy
Spitaels.
Sans eux, leurs collègues, leurs collaborateurs,
leur Administration, ce projet n'aurait pas vu le jour. Et, en lui accordant leur aide,
ils ont compris, eux aussi, comme nous l'avions souhaité dès le départ, que
l'exposition des Cent Wallons du Siècle et le présent ouvrage entendaient eux aussi
contribuer à rendre leur histoire aux Wallons.
C'est pourquoi, dès le départ, nous avons aussi
cherché à organiser une exposition destinée à voyager partout en Wallonie.
Chacun pourra apprécier ceux qui ont retenu
l'attention des témoins consultés et, l'esprit wallon étant ce qu'il est, ne manquera
non plus d'apprécier - et de commenter ! - l'absence de l'un ou de l'autre. Tout choix
est sujet à caution et il y a forcément une injustice à séparer le centième nom cité
du cent et unième. Dès lors, nous avons choisi, à titre de référence purement
historique, de publier par ailleurs la liste de tous ceux qui avaient été cités,
fût-ce une seule fois.
D'autre part, l'avenir, nous l'espérons bien, nous
permettra de revenir sur le sujet. En attendant, nous invitons chacun à méditer sur les
leçons données par les cent personnalités finalement retenues. Chacune d'elles a
contribué à sa façon à faire cette Wallonie qui est
aujourd'hui la nôtre, chacune d'elles a
indiscutablement marqué notre siècle. La preuve, si on la cherche, n'est pas loin. Si
monumentum requiris, circumspice. Sans leur apport, nous ne serions pas ce que nous
sommes. Et, plus important, la Wallonie ne serait pas ce qu'elle est, ce qu'elle reste :
une terre d'art et d'invention. Un lieu privilégié de créateurs dont nous avons le plus
grand besoin.
Jean-Maurice Dehousse
Le succès recueilli par la démarche Cent Wallons
du siècle, présentée dans plusieurs villes wallonnes en 1992 et 1993, nous a incité à
réaliser une nouvelle édition de cet ouvrage. Ainsi, de nouvelles étapes pourront être
franchies par l'exposition qui porte le même nom et s'adresse avant tout à la jeunesse.
Chacun se rappellera, en lisant les deux
contributions qui suivent, l'intérêt, le cheminement et la méthodologie du projet Cent
Wallons du siècle. Des précisions et compléments ont été apportés aux notices
biographiques. Le temps qui passe nous a, lui aussi, imposé de compléter notre travail
puisque Paul Delvaux, Léopold Genicot, Hubert Grooteclaes et Joseph Hanse nous ont
quittés. De plus, comme dans la première édition, nous avons ajouté à ces cent
Wallons les présidents du
Gouvernement wallon depuis la création de la
Région. Avec la nomination de Robert Collignon, ceux-ci sont passés de six à sept.
Connaître et faire connaître ces cent sept
personnalités est un geste de civisme wallon. En effet, notre conception d'une identité
de projet qui soit de participation plus que d'appartenance implique que chacun, en
Wallonie, prenne conscience de la nécessité d'une citoyenneté active. A la question de
savoir qui sont les Wallonnes et les Wallons, nous vous proposons un début de réponse :
voici plus de cent noms, choisis selon des critères connus et précis. Il en est
d'autres, beaucoup d'autres, nés ou non en Wallonie, qui participent à notre seule
ambition : vivre ici, tous ensemble, en toute liberté, en toute égalité, en toute
fraternité.
Jean-Pol Demacq
Président de l'Institut Jules Destrée
Nous sommes fiers de notre Wallonie,
Le monde entier admire ses enfants.
Au premier rang brille son industrie
Et dans les arts on l'apprécie autant.
Bien que petit, notre pays surpasse
Par ses savants de plus grandes nations.
Et nous avons des libertés en masse :
Voilà pourquoi l'on est fier des Wallons !
Ainsi commence le Chant des Wallons, texte
français écrit par Théophile Bovy, lauréat du concours organisé par la Ligue wallonne
de Liège, le 10 novembre 1899, dans le but de donner aux Wallons un hymne commun. Un
chant qui met en exergue les réalisations des artistes, des industriels et des
intellectuels du XIXème siècle : le siècle de la Révolution industrielle, celui qui a
vu la Wallonie se hisser au rang des régions les plus prospères du monde. Ce chant
est-il encore d'actualité en cette fin de XXème siècle ? Peut-on encore, aujourd'hui,
en Wallonie, être fier d'industriels, d'artistes, de savants, d'écrivains, de
défenseurs des libertés... ? La réponse à ces questions passe par la mise en lumière
de ce qu'ont réalisé les Wallons. Qui sont-ils ? Qu'ont-ils fait ? Bien sûr, les
historiens gardent en mémoire les figures marquantes des générations qui les ont
précédés. Les lignes maîtresses de la vie d'une centaine d'entre elles font l'objet de
ce catalogue associé à l'exposition Cent Wallons du Siècle.
La démarche
Quels critères ont prévalu à leur sélection ?
Qui les a choisis ? Voilà certainement les deux questions les plus importantes auxquelles
il convient de répondre si l'on souhaite comprendre la démarche qui a été la nôtre.
Les milieux culturels, artistiques, scientifiques,
politiques, sportifs, économiques et sociaux ont été contactés. En tout 500 personnes
d'horizons différents : les membres du Conseil régional wallon formé à la suite des
élections du 24 novembre 1991, les membres du Conseil économique et social de la Région
wallonne, les anciens ministres de la Culture, les membres de l'Académie royale de
Belgique (Beaux-Arts, Sciences, Lettres), les rédactions politiques, sportives et
culturelles de l'ensemble des journaux francophones, les rédactions des médias
télévisés et radiophoniques, les membres du Conseil d'Administration de l'Institut
Jules Destrée, les membres du Conseil scientifique du Centre d'Histoire de la Wallonie et
du Mouvement wallon et les membres du Conseil scientifique du Congrès permanent La
Wallonie au futur.
A chacune de ces personnes a été adressée une
liste rassemblant plus de 1200 noms. Une liste envoyée pour alimenter la réflexion de
nos correspondants et qui, évidemment - et c'était précisé -, n'était ni exhaustive
ni limitative. Son élaboration nécessite aussi une explication.
Il n'existe malheureusement pas (encore) un
dictionnaire, une encyclopédie, un livre, où l'on pourrait retrouver toutes les
personnalités wallonnes marquantes de notre siècle, sans exception. Cette référence
eût-elle même existé, le projet des organisateurs consistant à présenter 100 Wallons,
les deux questions posées ci-dessus demeuraient d'actualité. Néanmoins, depuis
1976-1977, à la suite de l'initiative des Professeurs Rita Lejeune, Jacques Stiennon et
Hervé Hasquin, l'importante encyclopédie en 6 volumes, La Wallonie, le pays et les
hommes constitue une référence incontournable.
Le dépouillement systématique des volumes 3 et 4
de Lettres, Arts, Culture et du volume 2 de Economie et société, concernant la période
du XXème siècle, a permis de dresser la liste de plus de 1200 personnes. Une liste aux
données fragmentaires, parfois imprécises, comprenant les nom, prénom, lieux et dates
de naissance et décès - le cas échéant - ainsi qu'une mention professionnelle
réduite. Cette liste comprenant 24 pages était une base de réflexion. La suggestion
d'autres noms était laissée totalement libre. Enfin, les critères suivants, cumulés
dans le meilleur des cas, devaient permettre de déterminer les cent Wallons : être né
en Wallonie; avoir vécu ou vivre en Wallonie; avoir ¤uvré ou oeuvrer en Wallonie.
Réponses et dépouillement
Sur près de 500 envois, nous avons reçu 140
réponses.
Le dépouillement et le comptage ont permis de
dresser la liste des cent personnalités qui font l'objet de ce catalogue et de
l'exposition. La liste est le simple résultat du comptage des choix exprimés et nuancés
(un, deux, trois). Les cent premiers noms classés sont ceux qui ont été retenus. Il
convient toutefois de souligner que les personnes suivantes, qui figuraient parmi les 100
premiers, n'ont pas été retenues parce que ne correspondant pas au critère
d'appartenance au siècle : Constantin Meunier mort en 1905, Adolphe Quetelet mort en
1874, Alfred Defuissaux mort en 1901, Zénobe Gramme mort en 1901, Serrurier Bovy mort en
1910; n'étant pas né, n'ayant pas vécu ou n'ayant pas oeuvré en Wallonie, Franquin,
Goscinny, Hergé, Pierre Mertens, Norge, Peyo, Roger Somville et Albert Ayguesparse.
Par ailleurs, comme nous avons choisi de
présenter, complémentairement aux cent Wallons, les présidents des Exécutifs wallons,
Jean-Maurice Dehousse, dont le nom avait été retenu, apparaît comme un des six
ministres-présidents et ouvre ainsi la liste à une personne supplémentaire.
Comme il n'entre nullement dans nos intentions
d'établir un classement du style "Top 100", l'ordre alphabétique préside à
la présentation du catalogue, tandis qu'un rapprochement thématique a prévalu lors de
la conception de l'exposition
Paul Delforge
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