Introduction
Afin de retracer les
étapes du combat wallon jusqu'à la veille de la première réforme de l'Etat en
1970, nous avons choisi comme point de départ l'année du premier Congrès de
rassemblement wallon, 1890, mais il va de soi que le mouvement wallon avait pris
naissance antérieurement à celui- ci, en fait dans les années 1870 - à l'époque
des premières satisfactions accordées aux Flamands. Des sociétés de défense
wallonnes furent créées dès alors.
Ces premières Ligues et
Sociétés de défense wallonnes virent le jour... dans l'agglomération bruxelloise
et en Flandre. La bourgeoisie francophone des Flandres et de Bruxelles se sentit
évidemment plus tôt menacée par les exigences flamingantes. Une Ligue wallonne
est ainsi fondée à Ixelles dès 1877. D'autres voient le jour à Bruxelles,
Saint-Gilles, etc. Des sociétés similaires sont ensuite créées dans plusieurs
villes flamandes. Ce n'est qu'après que des associations naîtront en Wallonie
(Liège, Charleroi) sur le modèle de la Société de Propagande wallonne de
Bruxelles, créée en 1888.
Le but de toutes ces
sociétés est la défense de la suprématie du français dans l'Etat belge, pour
trois motifs essentiellement. Il s'agit de préserver les intérêts professionnels
des francophones menacés par la perspective du bilinguisme. Il s'agit aussi de
faire oeuvre émancipatrice : les premiers militants wallons opposent "les
multiples dialectes flamands" à l'instrument culturel de premier ordre qu'est le
français. Enfin, il s'agit encore pour les sociétés wallonnes de faire oeuvre
patriotique : le mouvement flamand est perçu comme une menace pour l'unité
nationale - cimentée par le seul français.
I. Vers l'affirmation d'une conscience wallonne
Convoqué par la Société
de Propagande wallonne de Bruxelles, le premier Congrès wallon a lieu dans cette
ville les 20 et 21 juillet 1890. Trois autres sessions vont suivre : à Namur en
décembre 1891, à Liège en novembre 1892 et à Mons en novembre 1893.
Ces Congrès donnent
indiscutablement la priorité à la défense des intérêts matériels des
francophones menacés par les exigences flamingantes. La poursuite de cet
objectif (assurer l'accès des francophones aux emplois publics) amènera le
Congrès wallon à discuter longuement de l'opportunité pour les Wallons
d'apprendre le flamand et des moyens de faciliter cet apprentissage ! Obsédé par
le désir de sauvegarder le maximum d'emplois publics pour les francophones, le
Congrès a ainsi subi une déviation qui le condamne à sa perte. La cinquième
session, prévue à Verviers fin 1894, n'aura pas lieu.
Ce premier congrès wallon
n'eut aucun impact populaire : l'organe mensuel de la Société de Propagande
wallonne de Bruxelles, La Défense wallonne, reconnaissait lui-même
"l'indifférence de la masse du public wallon".
La défense des intérêts
wallons se dispersera après 1893. Il fallut le dépôt d'un nouveau projet de loi
favorable aux Flamands pour qu'un réveil se manifeste - principalement à Liège
cette fois. Une nouvelle Ligue wallonne y est créée en 1897 sous l'impulsion du
libéral Julien Delaite. Elle se dote d'un organe,
L'Ame wallonne, qui paraîtra jusqu'en 1902.
C'est de ce moment que
date la première revendication fédéraliste dans un journal wallon de combat. Le
15 mars 1898, L'Ame wallonne
publiait en première page un long plaidoyer en faveur de la séparation
administrative du pays : "prenons ouvertement l'offensive et poursuivons dès
aujourd'hui l'obtention d'un régime séparatiste, avant qu'on ne nous ait
dépouillé et réduit plus encore".
En décembre suivant,
Delaite présente un projet de séparation administrative, le premier du genre du
côté wallon. Certes, le poète Albert Mockel a déjà préconisé une solution de
type fédéraliste aux problèmes belges dans un article paru en 1897 dans Le
Mercure de France. Mais le rapport présenté par Delaite en décembre 1898 est
plus précis à ce sujet, tout en demeurant encore fort rudimentaire.
Parallèlement à la
publication de L'Ame wallonne,
la Ligue liégeoise prépare un nouveau Congrès de rassemblement wallon, qui se
tiendra en octobre 1905 (sous le patronage du Gouvernement) dans le cadre de
l'Exposition universelle de Liège. Le but des promoteurs du Congrès est de
définir l'originalité wallonne.
Réuni sous la présidence
de Delaite, le Congrès reçut l'adhésion collective de vingt-cinq sociétés et
plus de cinq cents adhésions individuelles. Outre les politiques d'une part, les
artistes et hommes de lettres d'autre part, les industriels formaient un groupe
important de participants. La majorité de ceux-ci était libérale (comme
précédemment) et liégeoise.
Le Congrès entendit
vingt-deux rapports, dont deux évoquant - pour la première fois - des problèmes
économiques. Tous les rapporteurs conclurent à l'existence d'une Wallonie bien
différenciée, ayant ses caractéristiques propres à bien des égards : le Congrès
de 1905 eut ainsi le mérite de proclamer l'originalité wallonne, mais il ne
remit nullement en cause la structure unitaire de l'Etat belge.
Ce Congrès sera suivi
d'un autre, tenu en juin 1906 à Bruxelles sous la présidence d'Alfred Colleye,
mais le comité chargé à Bruxelles de préparer une nouvelle session du Congrès
pour 1907 et d'étudier la création de Ligues wallonnes dans tout le pays
n'aboutira à rien : comme après 1893, les efforts se dispersèrent.
II. La première option fédéraliste du mouvement wallon
A Bruxelles, les frères
Achille et Hector Chainaye lancent avec le Liégeois Emile Jennissen Le Réveil
wallon, en novembre 1907. La même année, une Ligue wallonne du Tournaisis
est créée. Celle de Liège poursuit ses activités, notamment la publication (à
partir d'octobre 1909) du Moniteur officiel du mouvement wallon. Julien
Delaite y expose dès décembre des vues quelque peu complétées sur la séparation
administrative.
Les années 1910-14 sont
celles d'un tournant important pour le mouvement wallon, "le passage de l'antiflamingantisme
unitaire aux revendications wallonnes proprement dites" (J. Lothe). Les progrès
et les exigences nouvelles des flamingants en 1910 provoquent un sursaut wallon,
dont le cri du sénateur et Ministre d'Etat libéral liégeois Emile Dupont : "Vive
la séparation administrative !", prononcé au Sénat, qui valut à Dupont d'être
considéré comme un des chefs de file du mouvement wallon.
De janvier à avril 1911,
quatre grands meetings de protestation contre les "excès" du flamingantisme ont
lieu à Liège, Namur, Charleroi et Bruxelles. Puis surtout, en juin 1912, contre
toute attente, les catholiques sortent grands vainqueurs des élections, leur
majorité est renforcée. Cet événement politique aura d'importantes conséquences
pour le mouvement wallon : plus que jamais, selon le mot de Destrée, les Wallons
se sentent "des vaincus gouvernés contre leur mentalité".
Simultanément, une
évolution se dessine dans les rangs socialistes. Les leaders du POB furent
longtemps hostiles au mouvement wallon, après avoir été longtemps passifs à
l'égard des revendications flamandes. Du côté flamand, Camille Huysmans
symbolisera dès 1910 une orientation nouvelle du mouvement socialiste flamand en
faveur d'un flamingantisme "modéré et démocratique". A la même époque, des
socialistes wallons effectuent la même démarche : l'exemple de Destrée,
symbolique lui aussi, sera suivi par plus d'un. La désillusion de juin 1912
contribuera également à ces ralliements à la cause wallonne.
Le 19 juin, le Conseil
provincial de Liège votait à l'unanimité des groupes socialiste et libéral une
motion en faveur de l'autonomie des provinces wallonnes - le même voeu ayant été
exprimé peu auparavant par le Conseil provincial du Hainaut. Ces Conseils
provinciaux réclament l'élargissement de leurs prérogatives dans tous les
domaines de leur activité.
Mais surtout, un nouveau
Congrès wallon s'ouvre à Liège le 7 juillet 1912 sous la présidence de Julien
Delaite : il s'agit, selon ses organisateurs, d'un "Congrès de combat". Quelque
trois cents personnalités y participent - toutes issues du Parti libéral ou du
POB. Plus qu'en 1905, le Congrès va se pencher sur des problèmes économiques,
mais le débat sur la séparation administrative éclipsera tous les autres.
Placée initialement en
cinquième position dans l'ordre du jour du Congrès, l'éventualité de la
séparation administrative sera discutée en premier lieu par l'assemblée.
Celle-ci se voit présenter quatre projets. Plus en retrait, deux prévoient
l'accroissement de l'autonomie des provinces wallonnes plutôt qu'un fédéralisme;
ils sont l'oeuvre du socialiste François André et du député libéral Buisset,
hennuyers tous deux. Les deux autres projets proviennent de libéraux liégeois,
Jennissen et Delaite. Ce dernier présente le rapport le plus complet, retenu
ensuite comme base de discussion par les congressistes.
La discussion fut vive.
Bon nombre de délégués bruxellois figurèrent parmi les opposants à la
séparation, invoquant le sort des francophones de Flandre ou de Bruxelles, ou
encore la complémentarité économique des deux principales régions du pays. Emile
Jennissen, Albert Mockel, Léon Troclet, Jules Destrée entre autres se
prononcèrent pour le projet. Finalement, le député de Charleroi obtint le vote
d'une motion comme le souhaitait Delaite : "Le Congrès, toutes réserves faites
des formes à donner à l'idée séparatiste, émet le voeu de voir la Wallonie
séparée de la Flandre en vue de l'extension de son indépendance vis-à-vis du
pouvoir central et de la libre expansion de ses activités propres; (il) désigne
aux fins d'étudier la question une Commission à raison d'un membre par 40.000
habitants". Cette Commission donnera naissance, quelques semaines plus tard, à
l'Assemblée wallonne.
Dans la foulée et dans
l'esprit du Congrès de Liège, Destrée publie en août 1912 sa Lettre au Roi
sur la séparation de La Wallonie et de la Flandre. Quand au fond, le député
socialiste n'apportait en fait rien de neuf dans le débat. Destrée faisait en
quelque sorte la somme des doléances maintes fois exprimées depuis une vingtaine
d'années dans les écrits et discours des militants wallons. Il n'empêche que
cette prise de position eut un retentissement considérable : la personnalité du
tribun socialiste, la puissance d'évocation et par endroits le lyrisme de sa
Lettre, le caractère même de celle-ci y sont pour quelque chose.
Président de l'Assemblée
wallonne, Destrée va rapidement devenir le leader incontesté du mouvement
wallon. Cette Assemblée est un organisme permanent composé de délégués
représentant équitablement toutes les régions wallonnes et Bruxelles; elle
constitue en quelque sorte un "Parlement wallon". Il ne se réunit en séance
plénière que deux fois l'an mais ses Commissions travaillent en permanence sur
tous les problèmes wallons. L'Assemblée décidera de la date d'une fête wallonne
et d'un emblème.
Mais si,
incontestablement, l'Assemblée wallonne mène avec un certain succès sa mission
de propagande, en revanche elle néglige sa vocation première, c'est-à-dire
l'étude des modalités d'une séparation administrative. Il n'en est guère
question dans les travaux de ses Commissions et son organe, La Défense
Wallonne, fait rarement écho au projet fédéraliste auquel le Congrès de 1912
avait adhéré. Lorsque celui-ci se réunira une nouvelle fois à Liège en juillet
1913, il ne discutera même pas de la question ! De nombreux militants wallons
critiqueront très sévèrement dans les premiers mois de 1914 le manque de
combativité et l'immobilisme de l'Assemblée dans l'étude et la promotion d'une
solution de type fédéraliste au différend wallo-flamand.
Par ailleurs, même après
1912, le mouvement wallon refusera toujours de se départir de son "apolitisme".
Il y aura certes quelques rares tentatives de liste wallonne lors d'élections,
notamment celle d'Hector Chainaye à Bruxelles pour le scrutin législatif de mai
1910. Mais que ce soit en 1890- 93, 1905 ou 1912-14, jamais le mouvement wallon
n'envisage la création d'un nouveau parti pour la défense des revendications
wallonnes. Inversement, les engagements de personnalités politiques libérales
puis socialistes au service de la cause wallonne sont aussi des adhésions à
titre individuel. Aucun parti ne se prononce officiellement pour celle-ci.
Surtout, il n'y a pas de coordination à cet égard entre les hommes politiques
wallons, pas de "bloc parlementaire" wallon pour présenter un front uni face aux
députés flamands.
III. Le coup de frein de 1914 et les victoires flamandes des années trente
La Première Guerre
mondiale ne fut pas sans conséquences pour l'évolution du différend
wallo-flamand. Deux faits doivent être soulignés : le sentiment national belge
en quelque sorte ravivé à l'occasion du conflit, la Flamenpolitik
allemande et son accueil par les militants flamands.
Destrée écrira en 1923 à
propos de cette période : "un patriotisme magnifique se révèle, les querelles
politiques sont oubliées, il n'y a plus de Wallons ni de Flamands, il n'y a plus
- littéralement - que des Belges". Affirmation excessive, mais traduisant bien
l'ampleur du choc de 14 - 18 pour le renforcement de la conscience nationale
belge. Et par là même le coup de frein donné à l'affirmation d'une conscience
wallonne qui commençait à peine à s'éveiller en 1914.
Dès la fin de l'année
1914, le chancelier d'Allemagne avait donné instruction au gouverneur militaire
en Belgique occupée, von Bissing, de mener une politique favorable au
développement des "droits nationaux" des Flamands. Van Cauwelaert, Huysmans,
Franck manifestèrent leur opposition à la Flamenpolitik, parce que
celle-ci était l'oeuvre de l'ennemi; leur attitude servit de modèle à une
importante fraction du mouvement flamand. Mais une autre frange participera
activement à la politique flamande de l'Allemagne. Le point d'orgue de ce
phénomène de collaboration fut la création à Bruxelles en février 1917 par une
assemblée activiste du Raad van Vlaanderen. En 1917 toujours, l'agitation
activiste gagna le front. Au sortir de la guerre, elle fut sévèrement réprimée.
Mais les leaders flamands qui l'avaient désavouée manifestèrent en revanche leur
solidarité avec les collaborateurs condamnés; depuis et jusqu'à nos jours, le
mouvement flamand présentera ces derniers comme des victimes.
Durant
l'entre-deux-guerres, une série de lois linguistiques, la politique étrangère de
l'Etat et l'attitude du pouvoir à l'égard des anciens activistes flamands seront
ressenties dans les milieux wallons comme autant de concessions à la Flandre ou
aux flamingants. Les lois linguistiques des années trente vont consacrer
l'unilinguisme des régions et rester en vigueur jusque dans les années soixante.
Celle du 28 juin 1932 porte sur l'emploi des langues en matière administrative,
celle du 14 juillet 1932 sur l'emploi des langues en matière d'enseignement,
celle du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire et celle du
30 juillet 1938 sur l'emploi des langues à l'armée.
En 1936, l'orientation
nouvelle de la politique étrangère de la Belgique est ressentie dans de nombreux
milieux wallons comme une satisfaction nouvelle accordée à la Flandre. Depuis
1920, la Belgique était liée à la France et à l'Angleterre. A partir de 1936,
elle entend mener une politique indépendante, "exclusivement belge",
neutraliste. Cela correspond à un voeu flamingant. Dans la logique de cette
attitude - qui constituait un revirement total -, l'ensemble de la stratégie est
revu sous l'angle de la neutralité, la Belgique considérant désormais que
l'ennemi potentiel n'est pas plus situé à l'est (l'Allemagne de Hitler) qu'au
sud...
Wallons et Flamands se
diviseront aussi sur l'amnistie. L'opinion flamande inclinait, au lendemain de
la Première Guerre mondiale, à considérer avec commisération le sort des
collaborateurs condamnés par les tribunaux belges. En 1928, Van Cauwelaert
provoque un débat sur l'amnistie à la Chambre : le Parlement admet au début de
1929 une solution de compromis. La question de l'amnistie revient sur le tapis
en juin 1937, lorsque le Parlement adopte une loi rétablissant tous les
activistes condamnés (exceptés les condamnés à mort) dans leurs droits civils et
politiques, bref l'amnistie complète réclamée depuis longtemps par les
flamingants. Dans certains milieux wallons, cette mesure est extrêmement mal
accueillie.
IV. Un mouvement wallon divisé
Une des principales
caractéristiques du mouvement wallon dans l'entre-deux- guerres réside dans ses
divisions. L'assemblée wallonne reprendra ses activités, mais son orientation
(prévisible dès 1914) vers des positions modérées provoquera la création d'un
groupement plus radical, la Concentration wallonne. Puis une tentative de
constitution d'un parti wallon autonome sera l'occasion de nouvelles querelles.
L'assemblée wallonne
reprit ses activités en mars 1919. En décembre, Destrée - devenu Ministre -
abandonna le Secrétariat général de l'organisation; il fut remplacé à ce poste
par Joseph Maurice Remouchamps. Dans la perspective de la seconde révision
constitutionnelle (pour introduire le suffrage universel dans les textes),
l'Assemblée consacra cinq séances d'avril à octobre 1919 à l'examen de la
réforme du statut politique de l'Etat. Elle ne put tomber d'accord sur aucun
système, mais ses discussions firent ressortir que, en son sein, "le mot de
séparation était devenu une sorte d'épouvantail".
L'assemblée wallonne
s'oriente dès lors dans la recherche de solutions modérées. Le 28 août 1921,
elle adopte une double résolution. Celle-ci réclame d'une part une large
décentralisation administrative au profit des provinces et d'autre part
l'introduction au Sénat du système du vote bilatéral, c'est-à-dire que les votes
wallons et flamands soient comptabilisés séparément et qu'aucun texte ne puisse
être adopté sans l'accord de chaque groupe linguistique. Ce projet sera soumis
au Sénat par Remouchamps lui-même et il y fut rejeté, en octobre 1921, par la
presqu'unanimité des sénateurs flamands.
Durant une quinzaine
d'années encore, l'Assemblée wallonne va poursuivre la défense de la Wallonie en
respectant l'Etat unitaire, au nom, notamment, de la défense du français en
Flandre. C'est un retour aux attitudes des tout premiers militants wallons :
maintien de l'unité nationale par la suprématie de la langue française. C'est
aussi une attitude passéiste, et en même temps trop intransigeante à l'égard des
revendications flamandes. De nombreux militants déçus abandonneront l'Assemblée
: parmi eux, Destrée lui-même. Désormais, l'Assemblée wallonne ralliera de moins
en moins de personnalités du mouvement wallon et elle perdra progressivement
quasi toute représentativité.
Dès 1922, des Ligues
dissidentes se créent un peu partout, rompant avec l'Assemblée wallonne. A
Liège, le Comité d'Action de cette dernière se constitue sous la présidence de
Jean Plomdeur en une nouvelle Ligue d'Action wallonne (celle fondée dans cette
ville à la fin du XIXe siècle avait disparu pendant l'occupation). L'Action
wallonne entreprendra un sérieux travail de propagande et de réflexion. De
juillet 1924 à avril 1930, elle organise sept congrès annuels. Au cours des
dernières assemblées, on émet l'idée d'un nouveau rassemblement de toutes les
associations wallonnes. C'est ainsi qu'un premier Congrès de Concentration
wallonne a lieu à Liège fin septembre 1930.
Ce premier congrès vote à
l'unanimité une résolution proclamant la nécessité d'une réforme de la
Constitution. Une Commission est installée pour étudier la manière pratique de
réaliser ce programme. En un an, elle examine les divers projets wallons de
réforme de l'Etat formulés pour fixer finalement les principes d'un Etat fédéral
en Belgique : ceux-ci sont soumis à un deuxième congrès (octobre 1931). Les
statuts d'un organisme permanent de concertation wallonne sont discutés et
adoptés lors d'un troisième congrès, tenu non plus à Liège mais à Namur en
septembre 1932.
Les quatre congrès
suivants (Charleroi en 1933, Liège 1934, Nivelles 1935 et Verviers 1936), comme
ceux de 1931 et 1932, sont présidés par le député socialiste liégeois François
Van Belle. La Concentration manifeste clairement son orientation en 1935, en
adoptant à l'unanimité moins quatre voix bruxelloises une résolution énergique
rappelant les principaux griefs wallons et revendiquant en conséquence "pour le
peuple wallon le droit de disposer librement de lui- même".
Les problèmes
socio-économiques et les grandes questions de politique étrangère retiendront
aussi l'attention de la Concentration. Les premiers sont surtout étudiés en 1934
lors du congrès de Liège : tous les rapports présentés ont trait à l'économie
wallonne. Le congrès de Verviers en 1936 réaffirme la nécessité d'une
collaboration économique entre la France et la Belgique. Mais les débats sont
surtout consacrés à la nouvelle politique étrangère belge : la Concentration
s'élève contre la politique dite d'indépendance en soulignant qu'elle était
souhaitée par l'Allemagne.
Il faut souligner le rôle
moteur joué dans la Concentration wallonne (jusqu'en 1938) par les membres de la
Ligue d'Action wallonne de Liège. Leur journal, L'Action wallonne, fondé
en janvier 1933, constitue l'activité maîtresse de la Ligue. Sous la direction
de Georges Thone, des militants wallons issus des trois tendances
"traditionnelles" y collaborent : Auguste Buisseret (remplacé par Jean Rey en
1939), Maurice Firket, Georges Truffaut, Fernand Dehousse, Englebert Renier,
etc. La Ligue synthétise les griefs économiques wallons dans une série de
Documents wallons. L'idée d'un Conseil économique wallon germe dans ses
rangs dès 1937. Enfin, dans le courant de 1937, elle charge aussi une commission
présidée par Fernand Dehousse, juriste et professeur à l'Université de Liège,
d'élaborer un projet de loi sur le statut fédéral belge.
Des divisions nouvelles
affecteront une fois de plus le mouvement wallon à la fin des années trente. A
leur origine, le Front démocratique créé en juin 1936 par l'abbé Mahieu, curé de
Courcelles (Hainaut). Ce groupe draine rapidement vers lui un grand nombre de
militants wallons. L'année suivante, l'abbé Mahieu est président de la
Concentration. Dès cette époque, les relations deviennent plus tendues entre la
Ligue d'Action wallonne de Liège et la direction de la Concentration. Ces
divergences aboutiront, le 2 novembre 1938, à une rupture complète entre
l'Action wallonne et la Concentration, dont le pôle s'était déplacé vers le
Hainaut.
Sur proposition de l'abbé
Mahieu, la Concentration approuve en mars 1939 la mutation du Front démocratique
en un parti indépendant. Ce Parti wallon - le premier du genre - présente des
listes dans dix arrondissements aux élections législatives du 2 avril. C'est un
échec : les listes wallonnes recueillent moins de 10.000 voix au total et n'ont
aucun élu - alors qu'aux mêmes élections les nationalistes flamands s'emparent
de dix-sept sièges grâce à près de 185.000 votes. Il est donc temps de nous
tourner un moment du côté des partis politiques en Wallonie.
.../...
Freddy Joris, Les
étapes du combat wallon, dans
Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de
Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.