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Histoire politique et institutionnelle
 

Les étapes du combat wallon - (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie


Freddy Joris
Historien
Chef de Cabinet du Ministre-Président du Gouvernement wallon


 

Introduction

Afin de retracer les étapes du combat wallon jusqu'à la veille de la première réforme de l'Etat en 1970, nous avons choisi comme point de départ l'année du premier Congrès de rassemblement wallon, 1890, mais il va de soi que le mouvement wallon avait pris naissance antérieurement à celui- ci, en fait dans les années 1870 - à l'époque des premières satisfactions accordées aux Flamands. Des sociétés de défense wallonnes furent créées dès alors.

Ces premières Ligues et Sociétés de défense wallonnes virent le jour... dans l'agglomération bruxelloise et en Flandre. La bourgeoisie francophone des Flandres et de Bruxelles se sentit évidemment plus tôt menacée par les exigences flamingantes. Une Ligue wallonne est ainsi fondée à Ixelles dès 1877. D'autres voient le jour à Bruxelles, Saint-Gilles, etc. Des sociétés similaires sont ensuite créées dans plusieurs villes flamandes. Ce n'est qu'après que des associations naîtront en Wallonie (Liège, Charleroi) sur le modèle de la Société de Propagande wallonne de Bruxelles, créée en 1888.

Le but de toutes ces sociétés est la défense de la suprématie du français dans l'Etat belge, pour trois motifs essentiellement. Il s'agit de préserver les intérêts professionnels des francophones menacés par la perspective du bilinguisme. Il s'agit aussi de faire oeuvre émancipatrice : les premiers militants wallons opposent "les multiples dialectes flamands" à l'instrument culturel de premier ordre qu'est le français. Enfin, il s'agit encore pour les sociétés wallonnes de faire oeuvre patriotique : le mouvement flamand est perçu comme une menace pour l'unité nationale - cimentée par le seul français.

 

I. Vers l'affirmation d'une conscience wallonne

Convoqué par la Société de Propagande wallonne de Bruxelles, le premier Congrès wallon a lieu dans cette ville les 20 et 21 juillet 1890. Trois autres sessions vont suivre : à Namur en décembre 1891, à Liège en novembre 1892 et à Mons en novembre 1893.

Ces Congrès donnent indiscutablement la priorité à la défense des intérêts matériels des francophones menacés par les exigences flamingantes. La poursuite de cet objectif (assurer l'accès des francophones aux emplois publics) amènera le Congrès wallon à discuter longuement de l'opportunité pour les Wallons d'apprendre le flamand et des moyens de faciliter cet apprentissage ! Obsédé par le désir de sauvegarder le maximum d'emplois publics pour les francophones, le Congrès a ainsi subi une déviation qui le condamne à sa perte. La cinquième session, prévue à Verviers fin 1894, n'aura pas lieu.

Ce premier congrès wallon n'eut aucun impact populaire : l'organe mensuel de la Société de Propagande wallonne de Bruxelles, La Défense wallonne, reconnaissait lui-même "l'indifférence de la masse du public wallon".

La défense des intérêts wallons se dispersera après 1893. Il fallut le dépôt d'un nouveau projet de loi favorable aux Flamands pour qu'un réveil se manifeste - principalement à Liège cette fois. Une nouvelle Ligue wallonne y est créée en 1897 sous l'impulsion du libéral Julien Delaite. Elle se dote d'un organe, L'Ame wallonne, qui paraîtra jusqu'en 1902.

C'est de ce moment que date la première revendication fédéraliste dans un journal wallon de combat. Le 15 mars 1898, L'Ame wallonne publiait en première page un long plaidoyer en faveur de la séparation administrative du pays : "prenons ouvertement l'offensive et poursuivons dès aujourd'hui l'obtention d'un régime séparatiste, avant qu'on ne nous ait dépouillé et réduit plus encore".

En décembre suivant, Delaite présente un projet de séparation administrative, le premier du genre du côté wallon. Certes, le poète Albert Mockel a déjà préconisé une solution de type fédéraliste aux problèmes belges dans un article paru en 1897 dans Le Mercure de France. Mais le rapport présenté par Delaite en décembre 1898 est plus précis à ce sujet, tout en demeurant encore fort rudimentaire.

Parallèlement à la publication de L'Ame wallonne, la Ligue liégeoise prépare un nouveau Congrès de rassemblement wallon, qui se tiendra en octobre 1905 (sous le patronage du Gouvernement) dans le cadre de l'Exposition universelle de Liège. Le but des promoteurs du Congrès est de définir l'originalité wallonne.

Réuni sous la présidence de Delaite, le Congrès reçut l'adhésion collective de vingt-cinq sociétés et plus de cinq cents adhésions individuelles. Outre les politiques d'une part, les artistes et hommes de lettres d'autre part, les industriels formaient un groupe important de participants. La majorité de ceux-ci était libérale (comme précédemment) et liégeoise.

Le Congrès entendit vingt-deux rapports, dont deux évoquant - pour la première fois - des problèmes économiques. Tous les rapporteurs conclurent à l'existence d'une Wallonie bien différenciée, ayant ses caractéristiques propres à bien des égards : le Congrès de 1905 eut ainsi le mérite de proclamer l'originalité wallonne, mais il ne remit nullement en cause la structure unitaire de l'Etat belge.

Ce Congrès sera suivi d'un autre, tenu en juin 1906 à Bruxelles sous la présidence d'Alfred Colleye, mais le comité chargé à Bruxelles de préparer une nouvelle session du Congrès pour 1907 et d'étudier la création de Ligues wallonnes dans tout le pays n'aboutira à rien : comme après 1893, les efforts se dispersèrent.

 

II. La première option fédéraliste du mouvement wallon

A Bruxelles, les frères Achille et Hector Chainaye lancent avec le Liégeois Emile Jennissen Le Réveil wallon, en novembre 1907. La même année, une Ligue wallonne du Tournaisis est créée. Celle de Liège poursuit ses activités, notamment la publication (à partir d'octobre 1909) du Moniteur officiel du mouvement wallon. Julien Delaite y expose dès décembre des vues quelque peu complétées sur la séparation administrative.

Les années 1910-14 sont celles d'un tournant important pour le mouvement wallon, "le passage de l'antiflamingantisme unitaire aux revendications wallonnes proprement dites" (J. Lothe). Les progrès et les exigences nouvelles des flamingants en 1910 provoquent un sursaut wallon, dont le cri du sénateur et Ministre d'Etat libéral liégeois Emile Dupont : "Vive la séparation administrative !", prononcé au Sénat, qui valut à Dupont d'être considéré comme un des chefs de file du mouvement wallon.

De janvier à avril 1911, quatre grands meetings de protestation contre les "excès" du flamingantisme ont lieu à Liège, Namur, Charleroi et Bruxelles. Puis surtout, en juin 1912, contre toute attente, les catholiques sortent grands vainqueurs des élections, leur majorité est renforcée. Cet événement politique aura d'importantes conséquences pour le mouvement wallon : plus que jamais, selon le mot de Destrée, les Wallons se sentent "des vaincus gouvernés contre leur mentalité".

Simultanément, une évolution se dessine dans les rangs socialistes. Les leaders du POB furent longtemps hostiles au mouvement wallon, après avoir été longtemps passifs à l'égard des revendications flamandes. Du côté flamand, Camille Huysmans symbolisera dès 1910 une orientation nouvelle du mouvement socialiste flamand en faveur d'un flamingantisme "modéré et démocratique". A la même époque, des socialistes wallons effectuent la même démarche : l'exemple de Destrée, symbolique lui aussi, sera suivi par plus d'un. La désillusion de juin 1912 contribuera également à ces ralliements à la cause wallonne.

Le 19 juin, le Conseil provincial de Liège votait à l'unanimité des groupes socialiste et libéral une motion en faveur de l'autonomie des provinces wallonnes - le même voeu ayant été exprimé peu auparavant par le Conseil provincial du Hainaut. Ces Conseils provinciaux réclament l'élargissement de leurs prérogatives dans tous les domaines de leur activité.

Mais surtout, un nouveau Congrès wallon s'ouvre à Liège le 7 juillet 1912 sous la présidence de Julien Delaite : il s'agit, selon ses organisateurs, d'un "Congrès de combat". Quelque trois cents personnalités y participent - toutes issues du Parti libéral ou du POB. Plus qu'en 1905, le Congrès va se pencher sur des problèmes économiques, mais le débat sur la séparation administrative éclipsera tous les autres.

Placée initialement en cinquième position dans l'ordre du jour du Congrès, l'éventualité de la séparation administrative sera discutée en premier lieu par l'assemblée. Celle-ci se voit présenter quatre projets. Plus en retrait, deux prévoient l'accroissement de l'autonomie des provinces wallonnes plutôt qu'un fédéralisme; ils sont l'oeuvre du socialiste François André et du député libéral Buisset, hennuyers tous deux. Les deux autres projets proviennent de libéraux liégeois, Jennissen et Delaite. Ce dernier présente le rapport le plus complet, retenu ensuite comme base de discussion par les congressistes.

La discussion fut vive. Bon nombre de délégués bruxellois figurèrent parmi les opposants à la séparation, invoquant le sort des francophones de Flandre ou de Bruxelles, ou encore la complémentarité économique des deux principales régions du pays. Emile Jennissen, Albert Mockel, Léon Troclet, Jules Destrée entre autres se prononcèrent pour le projet. Finalement, le député de Charleroi obtint le vote d'une motion comme le souhaitait Delaite : "Le Congrès, toutes réserves faites des formes à donner à l'idée séparatiste, émet le voeu de voir la Wallonie séparée de la Flandre en vue de l'extension de son indépendance vis-à-vis du pouvoir central et de la libre expansion de ses activités propres; (il) désigne aux fins d'étudier la question une Commission à raison d'un membre par 40.000 habitants". Cette Commission donnera naissance, quelques semaines plus tard, à l'Assemblée wallonne.

Dans la foulée et dans l'esprit du Congrès de Liège, Destrée publie en août 1912 sa Lettre au Roi sur la séparation de La Wallonie et de la Flandre. Quand au fond, le député socialiste n'apportait en fait rien de neuf dans le débat. Destrée faisait en quelque sorte la somme des doléances maintes fois exprimées depuis une vingtaine d'années dans les écrits et discours des militants wallons. Il n'empêche que cette prise de position eut un retentissement considérable : la personnalité du tribun socialiste, la puissance d'évocation et par endroits le lyrisme de sa Lettre, le caractère même de celle-ci y sont pour quelque chose.

Président de l'Assemblée wallonne, Destrée va rapidement devenir le leader incontesté du mouvement wallon. Cette Assemblée est un organisme permanent composé de délégués représentant équitablement toutes les régions wallonnes et Bruxelles; elle constitue en quelque sorte un "Parlement wallon". Il ne se réunit en séance plénière que deux fois l'an mais ses Commissions travaillent en permanence sur tous les problèmes wallons. L'Assemblée décidera de la date d'une fête wallonne et d'un emblème.

Mais si, incontestablement, l'Assemblée wallonne mène avec un certain succès sa mission de propagande, en revanche elle néglige sa vocation première, c'est-à-dire l'étude des modalités d'une séparation administrative. Il n'en est guère question dans les travaux de ses Commissions et son organe, La Défense Wallonne, fait rarement écho au projet fédéraliste auquel le Congrès de 1912 avait adhéré. Lorsque celui-ci se réunira une nouvelle fois à Liège en juillet 1913, il ne discutera même pas de la question ! De nombreux militants wallons critiqueront très sévèrement dans les premiers mois de 1914 le manque de combativité et l'immobilisme de l'Assemblée dans l'étude et la promotion d'une solution de type fédéraliste au différend wallo-flamand.

Par ailleurs, même après 1912, le mouvement wallon refusera toujours de se départir de son "apolitisme". Il y aura certes quelques rares tentatives de liste wallonne lors d'élections, notamment celle d'Hector Chainaye à Bruxelles pour le scrutin législatif de mai 1910. Mais que ce soit en 1890- 93, 1905 ou 1912-14, jamais le mouvement wallon n'envisage la création d'un nouveau parti pour la défense des revendications wallonnes. Inversement, les engagements de personnalités politiques libérales puis socialistes au service de la cause wallonne sont aussi des adhésions à titre individuel. Aucun parti ne se prononce officiellement pour celle-ci. Surtout, il n'y a pas de coordination à cet égard entre les hommes politiques wallons, pas de "bloc parlementaire" wallon pour présenter un front uni face aux députés flamands.

 

III. Le coup de frein de 1914 et les victoires flamandes des années trente

La Première Guerre mondiale ne fut pas sans conséquences pour l'évolution du différend wallo-flamand. Deux faits doivent être soulignés : le sentiment national belge en quelque sorte ravivé à l'occasion du conflit, la Flamenpolitik allemande et son accueil par les militants flamands.

Destrée écrira en 1923 à propos de cette période : "un patriotisme magnifique se révèle, les querelles politiques sont oubliées, il n'y a plus de Wallons ni de Flamands, il n'y a plus - littéralement - que des Belges". Affirmation excessive, mais traduisant bien l'ampleur du choc de 14 - 18 pour le renforcement de la conscience nationale belge. Et par là même le coup de frein donné à l'affirmation d'une conscience wallonne qui commençait à peine à s'éveiller en 1914.

Dès la fin de l'année 1914, le chancelier d'Allemagne avait donné instruction au gouverneur militaire en Belgique occupée, von Bissing, de mener une politique favorable au développement des "droits nationaux" des Flamands. Van Cauwelaert, Huysmans, Franck manifestèrent leur opposition à la Flamenpolitik, parce que celle-ci était l'oeuvre de l'ennemi; leur attitude servit de modèle à une importante fraction du mouvement flamand. Mais une autre frange participera activement à la politique flamande de l'Allemagne. Le point d'orgue de ce phénomène de collaboration fut la création à Bruxelles en février 1917 par une assemblée activiste du Raad van Vlaanderen. En 1917 toujours, l'agitation activiste gagna le front. Au sortir de la guerre, elle fut sévèrement réprimée. Mais les leaders flamands qui l'avaient désavouée manifestèrent en revanche leur solidarité avec les collaborateurs condamnés; depuis et jusqu'à nos jours, le mouvement flamand présentera ces derniers comme des victimes.

Durant l'entre-deux-guerres, une série de lois linguistiques, la politique étrangère de l'Etat et l'attitude du pouvoir à l'égard des anciens activistes flamands seront ressenties dans les milieux wallons comme autant de concessions à la Flandre ou aux flamingants. Les lois linguistiques des années trente vont consacrer l'unilinguisme des régions et rester en vigueur jusque dans les années soixante. Celle du 28 juin 1932 porte sur l'emploi des langues en matière administrative, celle du 14 juillet 1932 sur l'emploi des langues en matière d'enseignement, celle du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire et celle du 30 juillet 1938 sur l'emploi des langues à l'armée.

En 1936, l'orientation nouvelle de la politique étrangère de la Belgique est ressentie dans de nombreux milieux wallons comme une satisfaction nouvelle accordée à la Flandre. Depuis 1920, la Belgique était liée à la France et à l'Angleterre. A partir de 1936, elle entend mener une politique indépendante, "exclusivement belge", neutraliste. Cela correspond à un voeu flamingant. Dans la logique de cette attitude - qui constituait un revirement total -, l'ensemble de la stratégie est revu sous l'angle de la neutralité, la Belgique considérant désormais que l'ennemi potentiel n'est pas plus situé à l'est (l'Allemagne de Hitler) qu'au sud...

Wallons et Flamands se diviseront aussi sur l'amnistie. L'opinion flamande inclinait, au lendemain de la Première Guerre mondiale, à considérer avec commisération le sort des collaborateurs condamnés par les tribunaux belges. En 1928, Van Cauwelaert provoque un débat sur l'amnistie à la Chambre : le Parlement admet au début de 1929 une solution de compromis. La question de l'amnistie revient sur le tapis en juin 1937, lorsque le Parlement adopte une loi rétablissant tous les activistes condamnés (exceptés les condamnés à mort) dans leurs droits civils et politiques, bref l'amnistie complète réclamée depuis longtemps par les flamingants. Dans certains milieux wallons, cette mesure est extrêmement mal accueillie.

 

IV. Un mouvement wallon divisé

Une des principales caractéristiques du mouvement wallon dans l'entre-deux- guerres réside dans ses divisions. L'assemblée wallonne reprendra ses activités, mais son orientation (prévisible dès 1914) vers des positions modérées provoquera la création d'un groupement plus radical, la Concentration wallonne. Puis une tentative de constitution d'un parti wallon autonome sera l'occasion de nouvelles querelles.

L'assemblée wallonne reprit ses activités en mars 1919. En décembre, Destrée - devenu Ministre - abandonna le Secrétariat général de l'organisation; il fut remplacé à ce poste par Joseph Maurice Remouchamps. Dans la perspective de la seconde révision constitutionnelle (pour introduire le suffrage universel dans les textes), l'Assemblée consacra cinq séances d'avril à octobre 1919 à l'examen de la réforme du statut politique de l'Etat. Elle ne put tomber d'accord sur aucun système, mais ses discussions firent ressortir que, en son sein, "le mot de séparation était devenu une sorte d'épouvantail".

L'assemblée wallonne s'oriente dès lors dans la recherche de solutions modérées. Le 28 août 1921, elle adopte une double résolution. Celle-ci réclame d'une part une large décentralisation administrative au profit des provinces et d'autre part l'introduction au Sénat du système du vote bilatéral, c'est-à-dire que les votes wallons et flamands soient comptabilisés séparément et qu'aucun texte ne puisse être adopté sans l'accord de chaque groupe linguistique. Ce projet sera soumis au Sénat par Remouchamps lui-même et il y fut rejeté, en octobre 1921, par la presqu'unanimité des sénateurs flamands.

Durant une quinzaine d'années encore, l'Assemblée wallonne va poursuivre la défense de la Wallonie en respectant l'Etat unitaire, au nom, notamment, de la défense du français en Flandre. C'est un retour aux attitudes des tout premiers militants wallons : maintien de l'unité nationale par la suprématie de la langue française. C'est aussi une attitude passéiste, et en même temps trop intransigeante à l'égard des revendications flamandes. De nombreux militants déçus abandonneront l'Assemblée : parmi eux, Destrée lui-même. Désormais, l'Assemblée wallonne ralliera de moins en moins de personnalités du mouvement wallon et elle perdra progressivement quasi toute représentativité.

Dès 1922, des Ligues dissidentes se créent un peu partout, rompant avec l'Assemblée wallonne. A Liège, le Comité d'Action de cette dernière se constitue sous la présidence de Jean Plomdeur en une nouvelle Ligue d'Action wallonne (celle fondée dans cette ville à la fin du XIXe siècle avait disparu pendant l'occupation). L'Action wallonne entreprendra un sérieux travail de propagande et de réflexion. De juillet 1924 à avril 1930, elle organise sept congrès annuels. Au cours des dernières assemblées, on émet l'idée d'un nouveau rassemblement de toutes les associations wallonnes. C'est ainsi qu'un premier Congrès de Concentration wallonne a lieu à Liège fin septembre 1930.

Ce premier congrès vote à l'unanimité une résolution proclamant la nécessité d'une réforme de la Constitution. Une Commission est installée pour étudier la manière pratique de réaliser ce programme. En un an, elle examine les divers projets wallons de réforme de l'Etat formulés pour fixer finalement les principes d'un Etat fédéral en Belgique : ceux-ci sont soumis à un deuxième congrès (octobre 1931). Les statuts d'un organisme permanent de concertation wallonne sont discutés et adoptés lors d'un troisième congrès, tenu non plus à Liège mais à Namur en septembre 1932.

Les quatre congrès suivants (Charleroi en 1933, Liège 1934, Nivelles 1935 et Verviers 1936), comme ceux de 1931 et 1932, sont présidés par le député socialiste liégeois François Van Belle. La Concentration manifeste clairement son orientation en 1935, en adoptant à l'unanimité moins quatre voix bruxelloises une résolution énergique rappelant les principaux griefs wallons et revendiquant en conséquence "pour le peuple wallon le droit de disposer librement de lui- même".

Les problèmes socio-économiques et les grandes questions de politique étrangère retiendront aussi l'attention de la Concentration. Les premiers sont surtout étudiés en 1934 lors du congrès de Liège : tous les rapports présentés ont trait à l'économie wallonne. Le congrès de Verviers en 1936 réaffirme la nécessité d'une collaboration économique entre la France et la Belgique. Mais les débats sont surtout consacrés à la nouvelle politique étrangère belge : la Concentration s'élève contre la politique dite d'indépendance en soulignant qu'elle était souhaitée par l'Allemagne.

Il faut souligner le rôle moteur joué dans la Concentration wallonne (jusqu'en 1938) par les membres de la Ligue d'Action wallonne de Liège. Leur journal, L'Action wallonne, fondé en janvier 1933, constitue l'activité maîtresse de la Ligue. Sous la direction de Georges Thone, des militants wallons issus des trois tendances "traditionnelles" y collaborent : Auguste Buisseret (remplacé par Jean Rey en 1939), Maurice Firket, Georges Truffaut, Fernand Dehousse, Englebert Renier, etc. La Ligue synthétise les griefs économiques wallons dans une série de Documents wallons. L'idée d'un Conseil économique wallon germe dans ses rangs dès 1937. Enfin, dans le courant de 1937, elle charge aussi une commission présidée par Fernand Dehousse, juriste et professeur à l'Université de Liège, d'élaborer un projet de loi sur le statut fédéral belge.

Des divisions nouvelles affecteront une fois de plus le mouvement wallon à la fin des années trente. A leur origine, le Front démocratique créé en juin 1936 par l'abbé Mahieu, curé de Courcelles (Hainaut). Ce groupe draine rapidement vers lui un grand nombre de militants wallons. L'année suivante, l'abbé Mahieu est président de la Concentration. Dès cette époque, les relations deviennent plus tendues entre la Ligue d'Action wallonne de Liège et la direction de la Concentration. Ces divergences aboutiront, le 2 novembre 1938, à une rupture complète entre l'Action wallonne et la Concentration, dont le pôle s'était déplacé vers le Hainaut.

Sur proposition de l'abbé Mahieu, la Concentration approuve en mars 1939 la mutation du Front démocratique en un parti indépendant. Ce Parti wallon - le premier du genre - présente des listes dans dix arrondissements aux élections législatives du 2 avril. C'est un échec : les listes wallonnes recueillent moins de 10.000 voix au total et n'ont aucun élu - alors qu'aux mêmes élections les nationalistes flamands s'emparent de dix-sept sièges grâce à près de 185.000 votes. Il est donc temps de nous tourner un moment du côté des partis politiques en Wallonie.

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Freddy Joris, Les étapes du combat wallon, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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