V.
Les milieux politiques face aux revendications wallonnes dans
l'entre-deux-guerres
Le parti catholique,
durant l'entre-deux-guerres, continue de se montrer très complaisant envers les
revendications flamandes, vu les succès électoraux des nationalistes. En 1936,
l'aile flamande du parti catholique passe même un accord (éphémère) avec ces
derniers. En revanche, il n'y a durant l'entre-deux-guerres aucune prise de
position officielle des catholiques wallons (minoritaires dans leur parti) à
l'égard des revendications wallonnes.
Tout au plus peut-on
relever l'action de quelques individualités. Nous ne reviendrons pas sur celle
de l'abbé Mahieu. Un autre ecclésiastique, l'abbé Omer Englebert, participe à
l'Assemblée wallonne dès 1923 et est membre du Bureau permanent de celle-ci,
comme Jean Duvieusart à partir de 1937. A Liège, Englebert Renier sera un des
dirigeants de l'Action wallonne. Le hennuyer Elie Baussart anime de 1919 à 1940
une revue mensuelle, La Terre wallonne, nettement régionaliste, favorable
à une décentralisation très poussée de l'Etat.
Ces thèses
décentralisatrices se traduiront dans des projets de réforme de l'Etat via le
provincialisme, envisagés dès 1940 par certains parlementaires catholiques
wallons. Il n'y a donc pas une indifférence complète des catholiques wallons
pour la question wallonne et le numéro spécial consacré au problème par La
Cité chrétienne en mai 1939 en témoigne également. Mais fondamentalement, et
comme l'écrit G. Hoyais dans ce numéro spécial, "nul d'entre-nous n'ignore que
les facultés légales dont disposent les institutions catholiques en Wallonie
reposent en définitive sur le système unitaire belge. L'abandon de ce régime
aboutirait fatalement à réduire ces facultés. C'est ce à quoi, catholiques
wallons, nous ne consentirons jamais de plein gré".
Les hommes politiques
libéraux en revanche sont nombreux à s'être engagés dans le combat wallon durant
l'entre-deux-guerres. Il suffit de rappeler les noms des députés Emile Jennissen,
François Bovesse, Auguste Buisseret, Jean Rey - pour s'en tenir à quelques
figures de proue. Quelques années avant la Seconde Guerre mondiale, la fondation
de l'Entente libérale wallonne témoigne de ce que dans une certaine mesure, du
côté libéral, les problèmes wallons ne sont plus considérés comme simple
"affaire personnelle" des militants ou des mandataires. Cette Entente regroupe
toutes les fédérations wallonnes du parti libéral, exceptés Verviers et la
province de Luxembourg. Sa création sera l'occasion d'un congrès tenu à Namur le
27 juin 1937.
Mais les libéraux wallons
refusent de se prononcer sur le fédéralisme; leur congrès se borne, sur le plan
de la querelle linguistique, à la défense du français en Belgique. Et lorsque,
quelques mois plus tard, les députés socialistes wallons sollicitent Jennissen
de cosigner leur projet de loi instaurant un régime fédéral en Belgique, ce
dernier refuse de s'y associer...
Bien plus qu'avant 1914,
des militants et mandataires socialistes participeront aux groupements wallons
durant l'entre-deux-guerres. Destrée et Troclet lors des premières années de
l'Assemblée wallonne, François Van Belle, Georges Truffaut et bien d'autres dans
l'Action wallonne et dans la Concentration wallonne. Mais socialistes flamands
et bruxellois craignent leur minorisation dans une Belgique fédérale et sont
d'autant plus opposés sur ce point à certains des socialistes wallons.
Longtemps, la nécessité de sauvegarder l'unité du monde socialiste guidera, et
freinera, l'action de celui-ci.
C'est dans cette optique
- "établir les bases d'une entente cordiale entre Flamands et Wallons" - que le
POB élabore dès mars 1929 un "Compromis des Belges", oeuvre de Jules Destrée et
Camille Huysmans. Mais le "Compromis des Belges" sera rapidement dépassé par les
faits. Il limitait le problème à ses seuls aspects culturels et linguistiques,
et ne pouvait constituer une solution complète. Des socialistes wallons -
liégeois surtout - iront rapidement bien plus loin.
En 1937, la Ligue
d'Action wallonne confie à une Commission le soin d'élaborer un projet de statut
fédéral pour l'Etat belge; la présidence de ce groupe sera assurée par Fernand
Dehousse. Le député Truffaut participe à ses travaux. Il en sort au début de
1938 un projet, approuvé le 3 avril suivant par la Concentration wallonne. Ainsi
pour la première fois "l'unanimité des groupements wallons agissants" se réalise
autour d'une proposition précise de réforme de l'Etat faisant de la Belgique un
Etat fédéral composé de trois Régions. Cette proposition va en outre bénéficier
de l'appui de parlementaires socialistes wallons agissant en tant que tels :
Truffaut, Van Belle et Martel (Dehousse n'était pas encore parlementaire) la
déposent à la Chambre en mai 1938. Cette initiative - la première du genre du
côté wallon - fit grand bruit.
C'est aussi à cette
époque qu'eurent lieu les premiers Congrès des socialistes wallons. Le premier
se tint à Liège, les 8 et 9 janvier 1938, le deuxième à Charleroi le 9 juillet
suivant, avec à son ordre du jour la création d'un Conseil économique wallon
notamment, et surtout le statut de la Wallonie. Finalement, la question fut
confiée à une commission qui prit pour base de travail le projet Dehousse -
Truffaut. On peut voir dans cet encommissionnement une preuve de la persistance
des conceptions unitaristes, particulièrement dans les rangs des dirigeants du
parti; mais on peut aussi noter que les socialistes wallons sont à l'époque les
seuls à discuter dans une assemblée politique la solution fédéraliste, à
laquelle quelques-uns d'entre eux viennent de donner pour la première fois un
cadre juridique valable.
Enfin, on notera que les
communistes wallons qui représentent alors un peu plus de 9% de l'électorat
wallon auront leur congrès, le même jour et dans la même ville que les
socialistes (8 janvier 1938, Liège). Henri Glineur, député de Charleroi, y
présente un rapport (Sauvons la Wallonie !) sur la question nationale. La
structure unitaire de l'Etat est dénoncée comme une entrave à la réalisation des
aspirations de la Wallonie et les communistes wallons adopteront un "manifeste"
appelant à l'autonomie la plus large dans le cadre d'une Belgique fédérale.
VI. Les mouvements wallons sous l'occupation et à la Libération
La Seconde Guerre
mondiale creusa encore davantage le fossé entre les deux communautés belges. Il
est indéniable que, si la collaboration ne fut pas exclusivement flamande et la
résistance exclusivement wallonne, "tout concourt à montrer qu'une attitude, un
comportement différent se révéla au nord et au sud du pays face à l'occupation"
(José Gotovitch). Inutile d'épiloguer ici à ce propos.
Dès les tous premiers
mois de l'occupation, quantité de militants membres de la Concentration wallonne
rejoignent une organisation clandestine, "Wallonie libre", éditant un journal du
même nom (appellation évidemment calquée sur celle de la "France libre" du
général de Gaulle). François Van Belle en devient président et Maurice Bologne
secrétaire; Fernand Schreurs, Arille Carlier, Eugène Duchesne, Englebert Renier
- pour n'en citer que quelques-uns - en font partie. "Wallonie libre" participe
activement à la lutte contre l'occupant, dans le cadre du Front wallon (qui se
fond dans le Front de l'Indépendance en septembre 1942). Les membres de
"Wallonie libre" poursuivent aussi en pleine clandestinité la réalisation d'un
Conseil économique wallon, qui naît à Liège dès la fin de 1940. Des membres du
comité liégeois de "Wallonie libre" sont aussi à l'origine en 1943, de la future
Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, l'APIAW.
Enfin, "Wallonie libre" prépare le Congrès wallon de la Libération dès 1942.
On notera encore
l'existence de "Wallonie indépendante", d'inspiration communiste, et surtout
(pour son avenir) de "Wallonie catholique", groupement de résistants chrétiens
qui donna naissance en 1943 au Mouvement wallon catholique dont sortirait après
la Libération "Rénovation wallonne". Il n'est pas inutile de citer également un
groupe à la fois plus éphémère et moins connu : le Rassemblement démocratique et
socialiste wallon; essentiellement liégeois, il fut constitué à la fin de 1942
et regroupait des hommes politiques et militants wallons libéraux et
socialistes. Il envisagea sans succès la création d'une sorte de parti unique
des "gauches" en Wallonie. Les travaux de ce groupe (auxquels participèrent
notamment le libéral Fernand Schreurs et le socialiste Fernand Dehousse)
portèrent aussi sur le statut futur de la Wallonie.
Durant la période
d'après-guerre, "Wallonie libre" pourra se présenter comme l'héritière des
différents mouvements wallons d'avant-guerre; elle joue dans le Congrès national
wallon d'octobre 1945 un rôle prépondérant. Successivement présidée par deux
députés socialistes liégeois, François Van Belle et Simon Paque, l'organisation
regroupe une grande partie de l'élite agissante du mouvement wallon.
Quant à "Rénovation
wallonne", elle fut fondée en juin 1945 par des hommes tels le chanoine Jacques
Leclercq et Robert Royer. Dans le courant du second semestre de 1945, une
commission prépara les bases d'une réforme de l'Etat allant dans le sens d'un
"régionalisme fédéral". "Rénovation wallonne" ne participera pas en tant que
telle au Congrès national wallon; le mouvement estimait ne pas disposer de
garanties suffisantes quant à la composition et à l'orientation (essentiellement
libérale et socialiste) de celui-ci; mais ses membres les plus éminents y
prirent part à titre individuel.
L'organisation du Congrès
wallon de la Libération avait été confiée sous l'occupation à un comité présidé
par François Van Belle. Ce comité se met au travail vers mars 1944. A la
Libération, il veille à faire entrer dans ses rangs des personnalités de toutes
les tendances d'opinion et à répartir les invitations de telle sorte que
l'Assemblée soit représentative. La présidence du Congrès est attribuée à
l'ancien ministre socialiste Joseph Merlot, rentrant de déportation. Le Congrès
a lieu à Liège les 20 et 21 octobre 1945. Il réunit plus de mille participants.
Quatre solutions sont proposées aux congressistes pour le statut futur de la
Wallonie : maintien de la structure unitaire de l'Etat belge, autonomie dans le
cadre d'un Etat belge réformé, indépendance, rattachement à la France.
Un premier vote, purement
"sentimental", donne la majorité relative à la thèse extrémiste du rattachement
à la France (486 voix), 154 voix pour l'indépendance de la Wallonie, 391 pour
l'autonomie dans le cadre du fédéralisme et 17 seulement pour le statu quo
unitaire. Un second vote, dit "de raison", donnera l'unanimité moins 12 voix au
principe de l'autonomie. Un Comité permanent de 35 membres est ensuite institué
avec mission de mettre au point pour un prochain congrès la forme de
l'autonomie. Le Congrès de Liège eut un énorme retentissement; il était
difficile de contester la représentativité de l'assemblée qui s'était prononcée
en majorité pour la destruction de la Belgique puis à l'unanimité pour la
solution fédéraliste.
Un deuxième congrès se
tient sept mois plus tard à Charleroi, le 11 et 12 mai 1946. Il chargera son
Comité permanent de faire déposer au Parlement un projet formel de révision
constitutionnelle que devait élaborer la Commission des Questions
constitutionnelles. Un texte fut déposé à la Chambre le 6 mars 1947 par deux
députés socialistes (Marcel-Hubert Grégoire et Jules Blavier), deux libéraux
(Jean Rey et Edmond Leclercq) et deux communistes (Julien Lahaut et Willy
Frère); il sera désormais évoqué sous le nom de projet Grégoire - Rey. Il
faisait de la Belgique une Confédération formée de deux Etats et d'une région
fédérale, tous trois disposant de leur assemblée.
Le Congrès national
wallon fut à nouveau réuni les 3 et 4 mai 1947 à Namur, essentiellement pour
approuver le projet Grégoire-Rey (en raison de cette approbation, les membres du
PSC s'abstiendront par la suite d'encore participer au Congrès). Le Congrès de
Namur décida également la constitution d'un Comité d'Action wallonne chargé de
propager les thèses fédéralistes. Enfin, peu de jours après le Congrès de Namur
eut lieu le dépôt du premier rapport du Conseil économique wallon. Ce dernier
avait été officiellement constitué en juillet 1945 sous forme d'Asbl et les
divers centres économiques wallons comme les principales branches d'activité de
la Wallonie y étaient représentés.
Le 20 mai 1947, le
Conseil remit donc au gouvernement un rapport très substantiel, qui mettait en
cause la responsabilité directe du pouvoir central dans la situation économique
de la Wallonie. Le diagnostic posé par le Conseil économique wallon devait se
confirmer comme on sait au cours des années suivantes, mais son cri d'alarme ne
fut alors guère entendu dans les milieux gouvernementaux.
VII. Les années de désillusion du mouvement wallon
Comme le projet
Dehousse-Truffaut en 1938, la proposition Grégoire-Rey fut repoussée par la
majorité au Parlement. Cette défaite des fédéralistes wallons au niveau
parlementaire porta un coup sérieux au mouvement wallon. Le Comité permanent du
Congrès national wallon avait convoqué un quatrième congrès qui eut lieu à
Bruxelles en février 1948. Après des débats houleux, celui-ci décida d'adopter
une politique "réformiste".
Les fédéralistes wallons
revinrent à la charge au Parlement en 1952, dans la perspective de la révision
constitutionnelle de 1953 - qui devait inscrire dans la Constitution le principe
de la cession de pouvoirs nationaux à des institutions supranationales. Le 27
mai, les députés socialistes liégeois Van Belle et Merlot déposaient à la
Chambre un nouveau projet de révision instaurant un régime fédéral en Belgique.
Ce projet échoua à nouveau devant la Chambre. Peu de jours avant l'ouverture du
débat, le Congrès wallon avait été réuni pour la première fois depuis 1950, à
Charleroi, les 3 et 4 octobre 1953.
Le Congrès de 1953 fut
aussi l'occasion pour le mouvement wallon de se prononcer sur des contacts entre
fédéralistes flamands et wallons, contacts qui avaient pris naissance au sein du
"Centre Harmel". Des contacts entre fédéralistes des deux camps se poursuivirent
aussi en dehors du Centre. Ils aboutirent en décembre 1952 à la publication d'un
Manifeste commun en faveur du fédéralisme, connu sous le nom de ses deux
principaux signataires : Schreurs et Couvreur. Le Congrès national wallon
approuva ces travaux, qui débouchèrent en 1954 sur un projet complet de réforme
de l'Etat dans un sens fédéraliste : il s'agissait là d'une préfiguration du
dialogue de communauté à communauté.
Mais bien sûr, la période
qui nous occupe fut surtout marquée par la fin de la question royale; le
mouvement wallon y joua un rôle. On sait que les partis laïcs et progressistes
en général étaient opposés à ce que Léopold III puisse poursuivre son règne
après avoir adopté durant la guerre une attitude qu'ils jugeaient critiquable,
qu'en revanche cette attitude ne gênait nullement les catholiques. Comme dans la
question de l'amnistie aux collaborateurs, Flandre et Wallonie allaient se
diviser autour du chef d'Etat.
Une consultation
populaire fut organisée le 12 mars 1950. Si les oui l'emportèrent très
largement en Flandre (72%), la Wallonie avait, elle, voté non
à 58%. Le Gouvernement organisa le retour du Roi au pays, sans tenir compte de
l'hostilité wallonne. Les forces syndicales et politiques de gauche déployèrent
une activité intense en Wallonie (manifestations, grèves après le retour du Roi
en juillet) jusqu'à ce que Léopold consente à s'effacer en faveur de son fils.
Dès 1949, au cours d'une
assemblée tenue à Liège les 1er et 2 octobre, le Congrès national wallon avait
pris parti dans la question léopoldienne en exigeant que, en cas de consultation
populaire, le dépouillement soit effectué de manière régionale. Un Congrès
extraordinaire fut convoqué à Charleroi le 26 mars 1950, avec pour seul objet
l'attitude à adopter dans l'affaire royale. Le 26 juillet, le président du
Congrès national wallon, Joseph Merlot, évoqua l'éventualité d'une convocation
d'Etats généraux de Wallonie si le Roi ne se retirait pas. Mais dès ce retrait
(1er août), les dirigeants des partis firent en sorte que le mouvement ne se
poursuive pas sur la revendication autonomiste.
Bien des militants
wallons qui avaient espéré beaucoup de cette période insurrectionnelle en furent
déçus. Au moins les événements de 1950 firent-ils progresser la conscience
wallonne dans les masses. A cet égard, il faut souligner que c'est au cours du
Congrès wallon du 26 mars 1950 qu'eut lieu la première rencontre entre ce
dernier et le leader syndical liégeois André Renard, qui apportera au mouvement
wallon "l'adhésion de 85.000 travailleurs".
Après les élections de
1954, un gouvernement "des gauches" est constitué sous la direction du
socialiste Van Acker. Le mouvement wallon croit évidemment pouvoir compter sur
lui pour des réformes sérieuses : pour la première fois, un gouvernement est
établi sur une base paritaire et surtout ses six membres wallons font partie du
Comité permanent du Congrès wallon. Or ce gouvernement se signalera, en matière
communautaire, par son peu d'activité, malgré de très nombreuses démarches du
mouvement wallon auprès des ministres et des dirigeants des partis de la
coalition : ceux-ci sont surtout accaparés par la politique scolaire - et la
"guerre scolaire" qui en découle.
Après trois années de
désillusion, le Congrès national wallon est convoqué à Charleroi les 25 et 26
mai 1957. De nombreux militants, désenchantés, le boudent; des hommes politiques
s'abstiennent par prudence. La réunion est terne : la plupart des participants
étant socialistes ou libéraux éprouvent une sorte de malaise. Les élections de
1958 seront une défaite pour la coalition au pouvoir. Après un bref ministère
catholique homogène (juin-novembre), Gaston Eyskens forme un gouvernement avec
les libéraux.
A la demande de "Wallonie
Libre", un neuvième Congrès wallon se tient à Liège les 25 et 26 avril 1959. Peu
de militants de la base y assistent; des heurts se produiront entre eux et les
hommes politiques présents. Joseph Merlot, qui avait présidé les Congrès de 1945
à 1953, a été remplacé par Maurice Delbouille. Ce Congrès marque le début d'une
relance de l'action wallonne, qui se manifeste aussi dans les assemblées tenues
la même année par les libéraux et les socialistes wallons. Cette relance
s'explique par un mécontentement justifié. Les années cinquante n'avaient
apporté aucune satisfaction substantielle aux revendications wallonnes. La
situation économique s'était au contraire encore plus dégradée.
VIII. La tiédeur des partis face aux fédéralistes wallons
En août 1945, le Parti
catholique a rénové ses structures et cédé la place au Parti social- chrétien
(PSC). L'attitude de ce dernier à l'égard des revendications wallonnes n'en est
pas modifiée pour autant. Le PSC demeure alors le plus tiède défenseur de la
Wallonie. En matière communautaire, les catholiques s'en tiennent à une solution
timide : le provincialisme, c'est-à-dire une déconcentration "hardie" au profit
des provinces. Ils condamnent sans réserves le fédéralisme et même le
régionalisme fédéral défendu par "Rénovation wallonne".
Les sociaux-chrétiens
wallons tenteront de contrecarrer le mouvement wallon en l'encommisionnant. Le
député liégeois Pierre Harmel et cinq de ses collègues déposent en mai 1946 une
proposition de loi fondant un "Centre de recherches pour la solution nationale
des problèmes politiques, sociaux et juridiques en régions wallonne et
flamande". Celui-ci est créé effectivement par une loi du 3 mai 1948. Ses
travaux (particulièrement lents) dureront plusieurs années; des Flamands et des
Wallons de toutes tendances y participaient. Ils furent clôturés en octobre
1955, pour ainsi dire dans l'indifférence générale.
En décembre 1951, le
député PSC Lamalle fonde à Namur un groupement baptisé "Mouvement des Provinces
wallonnes". Celui-ci condamne toute solution fédéraliste à la question
communautaire et estime qu'une solution peut être trouvée "dans le cadre des
institutions actuelles, par la mise en oeuvre d'une saine politique de
décentralisation". Le mouvement adhéra en 1960 au "compromis linguistique"
publié en février par le PSC. Or ce texte provoqua au contraire une réaction et
une réactivation de "Rénovation wallonne" qui y vit - ainsi que les autres
mouvements wallons - une capitulation devant les exigences flamandes. Le texte
en question répondait en effet largement aux exigences flamandes dans
l'énumération des principes qui devaient selon lui présider à une révision des
lois linguistiques de 1932.
Au contraire, des membres
wallons du Parti libéral continuèrent de jouer un rôle de tout premier plan dans
le mouvement wallon de l'après-guerre (pensons à Schreurs, à Jean Rey par
exemple), des parlementaires libéraux wallons prirent une part active aux
propositions de révision constitutionnelle élaborées par le Congrès national
wallon et déposées en vain à la Chambre. D'un autre côté, ces hommes (Rey,
Buisseret notamment), devenus ministres dans le gouvernement Van Acker en 1954 -
1958, acceptèrent de se soumettre à la politique unitaire de leur parti et de
cautionner un cabinet qui se signala par son immobilisme en matière
communautaire.
L'Entente libérale
wallonne poursuivit ses activités après la guerre. Elle se réunit en Congrès en
avril 1947, et opta à l'unanimité des présents pour le fédéralisme. Elle
réaffirma son attachement à cette idée en décembre suivant et au début de 1948.
Après quoi, la question des rapports entre Flamands et Wallons fut éclipsée
durant une dizaine d'années. La relance de l'action wallonne eut lieu en 1959.
Du côté libéral, elle fut marquée par un nouveau Congrès de l'Entente libérale
wallonne tenu le 27 juin à Namur. Les libéraux wallons s'y affirmèrent à nouveau
fédéralistes...
On retrouve le même
scénario au PSB wallon. Des militants et mandataires socialistes, liégeois
principalement, participèrent au mouvement wallon de l'après-guerre : Joseph
Merlot, François Van Belle, Fernand Dehousse, etc. Mais, ici aussi, il n'y eut
pas toujours conformité entre les prises de position au sein des assemblées du
mouvement wallon d'une part, et les attitudes dans l'action politique d'autre
part.
Les dirigeants nationaux
du PSB préféraient mener une politique unitaire. Le président du Parti, Max
Buset, était plutôt tiède envers le mouvement wallon. Lors de la discussion à la
Chambre sur le fédéralisme en 1953, il s'abstint d'appuyer la proposition Van
Belle-Merlot. Il n'empêche que c'est dans les milieux socialistes que le
mouvement wallon puisait ses forces les plus vives.
Pendant la Seconde Guerre
mondiale, le Parti socialiste clandestin avait eu une vie relativement intense,
spécialement dans la région liégeoise où fut entrepris, en même temps que
l'action de Résistance, un travail de remise à jour de la doctrine et du
programme socialistes. De multiples Commissions s'adonnèrent à cette tâche.
Celle dite des affaires wallonnes élabora un Projet d'instauration du
fédéralisme en Belgique que la Fédération liégeoise du PSB publia peu après la
Libération. Un Congrès des socialistes wallons se tint à Mons les 5 et 6 juillet
1947. Fernand Dehousse plaida évidemment en faveur du fédéralisme : les
congressistes s'y rallièrent par 62 mandats contre 38 et une abstention. Le vote
témoigna de l'adhésion au moins de principe des six dixièmes des socialistes
wallons au fédéralisme, mais le Congrès de Mons resta pratiquement sans
lendemain. Il n'eut pour ainsi dire pas de conséquences politiques.
Il fallut attendre douze
ans et le retour des socialistes dans l'opposition pour qu'ait lieu un nouveau
Congrès des socialistes wallons. Il se tint à Namur les 6 et 7 juin 1959, sous
la présidence de Léo Collard. André Génot, secrétaire-adjoint de la FGTB et
président de la Fédération socialiste de Namur, y joua un rôle de premier plan.
Ce Congrès vota à l'unanimité une motion réaffirmant son attachement au
fédéralisme à trois. Le Congrès vota aussi une motion économique reflétant
l'esprit du programme de réformes de structures adopté par la FGTB sous la
pression du leader syndicaliste liégeois André Renard. Sous la poussée de son
aile wallonne, le PSB fit sien ce programme économique lors de son congrès de
novembre 1959.
Nous terminerons en
signalant que les communistes, qui manifestèrent leur opposition au fédéralisme
européen auquel le mouvement wallon devait adhérer, se retirèrent pour ce motif
du Congrès wallon en 1953. Ils ne renoueront avec lui qu'en 1959. Nous
mentionnerons aussi l'existence d'un Parti wallon durant l'après-guerre. Ce
Parti d'Unité wallonne avait été fondé par Victor Van Michel, qui avait milité
dans les rangs de la Ligue d'Action wallonne avant 1940. Il se présenta aux
élections de 1946, 1949, 1958, sans plus de succès que le Parti wallon
indépendant en 1939. En fait, il faudra attendre le milieu des années soixante
pour qu'une fraction significative du mouvement et de l'électorat wallons se
détourne des partis traditionnels.
IX. Le choc de la "grande grève" et les victoires flamandes
La grande "grève" de
décembre 1960 - janvier 1961 annonçait une série de bouleversements importants
du côté des forces politiques et syndicales wallonnes, et du mouvement wallon.
Elle eut un impact considérable quant au progrès de la revendication
fédéraliste. A l'origine du conflit, le projet de "loi unique" du gouvernement
chrétien - libéral de Gaston Eyskens, déposé le 4 novembre. Dans le pays et dans
les milieux socialistes en particulier, la loi unique fut fort mal accueillie.
En Wallonie surtout, elle fut le point de cristallisation d'une inquiétude
profonde due à la stagnation économique, aux fermetures de mines, etc.
Le 17 novembre une
réunion des cadres wallons de la FGTB se tenait à Charleroi à l'initiative de
Renard et d'André Génot. On y décida, entre autres, de la parution à partir de
janvier 1961 d'un journal de lutte "spécifiquement wallon" (ce serait Combat)
et la mise sur pied d'un organe de coordination syndicaliste wallon.
La grève contre la "loi
unique" démarre spontanément le 20 décembre (à Anvers, Liège et Charleroi), jour
d'ouverture du débat sur le projet de loi à la Chambre. L'action est
essentiellement localisée en Wallonie. Elle durera plus d'un mois, marquée en
certains endroits par des incidents violents. Ses objectifs évolueront : de
l'opposition à la loi unique, l'accent sera déplacé vers les problèmes
spécifiquement wallons et la revendication étendue aux réformes de structures
économiques et politiques.
Un Comité de coordination
des régionales wallonnes de la FGTB avait été créé le 23 décembre à Namur. Il
déclare dès le 2 janvier 1961 que "dès à présent se pose le problème des
réformes de structures seules capables d'assurer l'expansion économique et la
prospérité de la Wallonie dans le cadre des structures politiques du pays
révisées". Le même jour, les représentants des Fédérations wallonnes du PSB
réunis à Namur décident de constituer un Comité permanent de liaison entre les
Fédérations et soulignent la nécessité d'une révision des structures politiques
du pays. Pour la première fois, la revendication d'une réforme radicale de l'Etat
est voulue par les travailleurs wallons en lutte et trouve un réel contenu
populaire.
Le 3 janvier, les députés
socialistes wallons avaient déclaré que si la politique gouvernementale était
poursuivie, "le peuple wallon n'aurait d'autre issue que la révision des
institutions politiques du pays afin de choisir lui-même les voies de son
expansion économique et sociale". Le 13, 400 élus socialistes wallons réunis à
Saint-Servais réclament pour la Wallonie "le droit de disposer d'elle-même" et
mettent leur mandat à la disposition du Parti. Mais les socialistes flamands et
bruxellois ne se sentent guère solidaires avec les objectifs wallons de la
grève, et rares sont les parlementaires socialistes wallons réellement disposés
à risquer l'"aventure". Le 14 janvier, des parlementaires socialistes wallons
remettent au Roi une déclaration demandant une réforme institutionnelle
garantissant les Wallons contre les effets du déséquilibre interne du pays.
La grève ne pouvant donc
plus trouver d'issue politique immédiate, le mouvement se relâche dès le 16
janvier. Le 21, il reste 150.000 grévistes wallons seulement. La Chambre avait
adopté la loi unique le 13. Le Comité de coordination des régionales wallonnes
de la FGTB décide de "suspendre" la grève pour le 23 et de "donner de nouvelles
formes à l'action". La loi unique est donc adoptée par le Parlement, mais le
gouvernement décide de dissoudre les Chambres et de procéder à des élections
anticipées. Le scrutin a lieu le 21 mars. Le Président du PSC, Théo Lefèvre,
constituera en avril avec Paul-Henri Spaak un gouvernement social-chrétien -
socialiste.
Le gouvernement PSC-PSB
issu des élections de mars 1961 manifeste clairement sa volonté d'aborder de
front et de résoudre le contentieux Flamands - Wallons. Sa déclaration
gouvernementale (2 mai) contient un programme d'action ambitieux à cet égard. De
fait, une série de mesures importantes seront prises durant la législature.
Sous la pression
flamande, le gouvernement Lefèvre - Spaak avait fait voter une loi supprimant du
recensement les questions relatives à l'usage des langues. L'opposition wallonne
à cette loi avait été médiocre; en fait, les mouvements wallons désiraient eux
aussi fixer définitivement la frontière linguistique. Ils auraient certes
souhaité que cette opération soit effectuée sur base de données récentes, mais
ils s'inclinèrent (en tous cas au niveau parlementaire) devant la volonté
flamande.
Le sort des Fourons, à
l'occasion de la fixation définitive de la frontière linguistique, souleva
davantage les passions. Après un premier vote de la Chambre rattachant les
Fourons au Limbourg, en février 1962, malgré l'opposition déjà connue des
autorités et de la population locale, pétitions, prises de position,
manifestations en faveur des Fouronnais se multiplient en Wallonie. A l'appel
d'André Renard, une immense manifestation a lieu à Liège le 15 avril 1962. Quant
le projet arrive devant le Sénat, la question des Fourons a pris une toute autre
ampleur que lors de son premier passage à la Chambre. Le 9 octobre, le Sénat
adopte néanmoins l'ensemble du projet Gilson : le vote a lieu selon un clivage
communautaire au sein des trois partis traditionnels, la quasi totalité des
sénateurs wallons votant contre.
Le texte retourne ensuite
devant la Chambre. A ce moment, une deuxième manifestation en faveur des Fourons
a lieu à Liège, le 24 octobre, rassemblant 15.000 personnes. Le 28, le Conseil
provincial organise une consultation populaire des Fouronnais. Les résultats ne
laissent aucun doute quant à la volonté des habitants. Le vote final a lieu le
31 octobre 1962. La loi est adoptée contre la volonté de la majorité des députés
wallons et francophones.
Après le vote de la loi
fixant la frontière linguistique, le gouvernement s'attacha encore à deux autres
projets de lois linguistiques : celui sur le régime linguistique de
l'agglomération bruxelloise et de l'administration de l'Etat et celui sur
l'enseignement des langues dans les écoles. La question de la périphérie
bruxelloise et des communes à "facilités" ne souleva pas de réelles passions en
Wallonie et les parlementaires wallons, quasi indifférents, laissèrent à leurs
collègues bruxellois le soin de défendre les intérêts de l'agglomération. Il
semble que les parlementaires francophones, en cette année 1963, se soient comme
résignés à la poussée flamande au sein de l'Etat, en cédant devant les exigences
flamandes.
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Freddy Joris, Les
étapes du combat wallon, dans
Wallonie. Atouts et références d'une
Région, (sous la direction
de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.