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Histoire politique et institutionnelle


Les étapes du combat wallon
- (1995)
Première partie - Deuxième partie - Troisième partie


Freddy Joris
Historien
Chef de Cabinet du Ministre-Président du Gouvernement wallon

 

 V. Les milieux politiques face aux revendications wallonnes dans l'entre-deux-guerres

Le parti catholique, durant l'entre-deux-guerres, continue de se montrer très complaisant envers les revendications flamandes, vu les succès électoraux des nationalistes. En 1936, l'aile flamande du parti catholique passe même un accord (éphémère) avec ces derniers. En revanche, il n'y a durant l'entre-deux-guerres aucune prise de position officielle des catholiques wallons (minoritaires dans leur parti) à l'égard des revendications wallonnes.

Tout au plus peut-on relever l'action de quelques individualités. Nous ne reviendrons pas sur celle de l'abbé Mahieu. Un autre ecclésiastique, l'abbé Omer Englebert, participe à l'Assemblée wallonne dès 1923 et est membre du Bureau permanent de celle-ci, comme Jean Duvieusart à partir de 1937. A Liège, Englebert Renier sera un des dirigeants de l'Action wallonne. Le hennuyer Elie Baussart anime de 1919 à 1940 une revue mensuelle, La Terre wallonne, nettement régionaliste, favorable à une décentralisation très poussée de l'Etat.

Ces thèses décentralisatrices se traduiront dans des projets de réforme de l'Etat via le provincialisme, envisagés dès 1940 par certains parlementaires catholiques wallons. Il n'y a donc pas une indifférence complète des catholiques wallons pour la question wallonne et le numéro spécial consacré au problème par La Cité chrétienne en mai 1939 en témoigne également. Mais fondamentalement, et comme l'écrit G. Hoyais dans ce numéro spécial, "nul d'entre-nous n'ignore que les facultés légales dont disposent les institutions catholiques en Wallonie reposent en définitive sur le système unitaire belge. L'abandon de ce régime aboutirait fatalement à réduire ces facultés. C'est ce à quoi, catholiques wallons, nous ne consentirons jamais de plein gré".

Les hommes politiques libéraux en revanche sont nombreux à s'être engagés dans le combat wallon durant l'entre-deux-guerres. Il suffit de rappeler les noms des députés Emile Jennissen, François Bovesse, Auguste Buisseret, Jean Rey - pour s'en tenir à quelques figures de proue. Quelques années avant la Seconde Guerre mondiale, la fondation de l'Entente libérale wallonne témoigne de ce que dans une certaine mesure, du côté libéral, les problèmes wallons ne sont plus considérés comme simple "affaire personnelle" des militants ou des mandataires. Cette Entente regroupe toutes les fédérations wallonnes du parti libéral, exceptés Verviers et la province de Luxembourg. Sa création sera l'occasion d'un congrès tenu à Namur le 27 juin 1937.

Mais les libéraux wallons refusent de se prononcer sur le fédéralisme; leur congrès se borne, sur le plan de la querelle linguistique, à la défense du français en Belgique. Et lorsque, quelques mois plus tard, les députés socialistes wallons sollicitent Jennissen de cosigner leur projet de loi instaurant un régime fédéral en Belgique, ce dernier refuse de s'y associer...

Bien plus qu'avant 1914, des militants et mandataires socialistes participeront aux groupements wallons durant l'entre-deux-guerres. Destrée et Troclet lors des premières années de l'Assemblée wallonne, François Van Belle, Georges Truffaut et bien d'autres dans l'Action wallonne et dans la Concentration wallonne. Mais socialistes flamands et bruxellois craignent leur minorisation dans une Belgique fédérale et sont d'autant plus opposés sur ce point à certains des socialistes wallons. Longtemps, la nécessité de sauvegarder l'unité du monde socialiste guidera, et freinera, l'action de celui-ci.

C'est dans cette optique - "établir les bases d'une entente cordiale entre Flamands et Wallons" - que le POB élabore dès mars 1929 un "Compromis des Belges", oeuvre de Jules Destrée et Camille Huysmans. Mais le "Compromis des Belges" sera rapidement dépassé par les faits. Il limitait le problème à ses seuls aspects culturels et linguistiques, et ne pouvait constituer une solution complète. Des socialistes wallons - liégeois surtout - iront rapidement bien plus loin.

En 1937, la Ligue d'Action wallonne confie à une Commission le soin d'élaborer un projet de statut fédéral pour l'Etat belge; la présidence de ce groupe sera assurée par Fernand Dehousse. Le député Truffaut participe à ses travaux. Il en sort au début de 1938 un projet, approuvé le 3 avril suivant par la Concentration wallonne. Ainsi pour la première fois "l'unanimité des groupements wallons agissants" se réalise autour d'une proposition précise de réforme de l'Etat faisant de la Belgique un Etat fédéral composé de trois Régions. Cette proposition va en outre bénéficier de l'appui de parlementaires socialistes wallons agissant en tant que tels : Truffaut, Van Belle et Martel (Dehousse n'était pas encore parlementaire) la déposent à la Chambre en mai 1938. Cette initiative - la première du genre du côté wallon - fit grand bruit.

C'est aussi à cette époque qu'eurent lieu les premiers Congrès des socialistes wallons. Le premier se tint à Liège, les 8 et 9 janvier 1938, le deuxième à Charleroi le 9 juillet suivant, avec à son ordre du jour la création d'un Conseil économique wallon notamment, et surtout le statut de la Wallonie. Finalement, la question fut confiée à une commission qui prit pour base de travail le projet Dehousse - Truffaut. On peut voir dans cet encommissionnement une preuve de la persistance des conceptions unitaristes, particulièrement dans les rangs des dirigeants du parti; mais on peut aussi noter que les socialistes wallons sont à l'époque les seuls à discuter dans une assemblée politique la solution fédéraliste, à laquelle quelques-uns d'entre eux viennent de donner pour la première fois un cadre juridique valable.

Enfin, on notera que les communistes wallons qui représentent alors un peu plus de 9% de l'électorat wallon auront leur congrès, le même jour et dans la même ville que les socialistes (8 janvier 1938, Liège). Henri Glineur, député de Charleroi, y présente un rapport (Sauvons la Wallonie !) sur la question nationale. La structure unitaire de l'Etat est dénoncée comme une entrave à la réalisation des aspirations de la Wallonie et les communistes wallons adopteront un "manifeste" appelant à l'autonomie la plus large dans le cadre d'une Belgique fédérale.

 

VI. Les mouvements wallons sous l'occupation et à la Libération

La Seconde Guerre mondiale creusa encore davantage le fossé entre les deux communautés belges. Il est indéniable que, si la collaboration ne fut pas exclusivement flamande et la résistance exclusivement wallonne, "tout concourt à montrer qu'une attitude, un comportement différent se révéla au nord et au sud du pays face à l'occupation" (José Gotovitch). Inutile d'épiloguer ici à ce propos.

Dès les tous premiers mois de l'occupation, quantité de militants membres de la Concentration wallonne rejoignent une organisation clandestine, "Wallonie libre", éditant un journal du même nom (appellation évidemment calquée sur celle de la "France libre" du général de Gaulle). François Van Belle en devient président et Maurice Bologne secrétaire; Fernand Schreurs, Arille Carlier, Eugène Duchesne, Englebert Renier - pour n'en citer que quelques-uns - en font partie. "Wallonie libre" participe activement à la lutte contre l'occupant, dans le cadre du Front wallon (qui se fond dans le Front de l'Indépendance en septembre 1942). Les membres de "Wallonie libre" poursuivent aussi en pleine clandestinité la réalisation d'un Conseil économique wallon, qui naît à Liège dès la fin de 1940. Des membres du comité liégeois de "Wallonie libre" sont aussi à l'origine en 1943, de la future Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, l'APIAW. Enfin, "Wallonie libre" prépare le Congrès wallon de la Libération dès 1942.

On notera encore l'existence de "Wallonie indépendante", d'inspiration communiste, et surtout (pour son avenir) de "Wallonie catholique", groupement de résistants chrétiens qui donna naissance en 1943 au Mouvement wallon catholique dont sortirait après la Libération "Rénovation wallonne". Il n'est pas inutile de citer également un groupe à la fois plus éphémère et moins connu : le Rassemblement démocratique et socialiste wallon; essentiellement liégeois, il fut constitué à la fin de 1942 et regroupait des hommes politiques et militants wallons libéraux et socialistes. Il envisagea sans succès la création d'une sorte de parti unique des "gauches" en Wallonie. Les travaux de ce groupe (auxquels participèrent notamment le libéral Fernand Schreurs et le socialiste Fernand Dehousse) portèrent aussi sur le statut futur de la Wallonie.

Durant la période d'après-guerre, "Wallonie libre" pourra se présenter comme l'héritière des différents mouvements wallons d'avant-guerre; elle joue dans le Congrès national wallon d'octobre 1945 un rôle prépondérant. Successivement présidée par deux députés socialistes liégeois, François Van Belle et Simon Paque, l'organisation regroupe une grande partie de l'élite agissante du mouvement wallon.

Quant à "Rénovation wallonne", elle fut fondée en juin 1945 par des hommes tels le chanoine Jacques Leclercq et Robert Royer. Dans le courant du second semestre de 1945, une commission prépara les bases d'une réforme de l'Etat allant dans le sens d'un "régionalisme fédéral". "Rénovation wallonne" ne participera pas en tant que telle au Congrès national wallon; le mouvement estimait ne pas disposer de garanties suffisantes quant à la composition et à l'orientation (essentiellement libérale et socialiste) de celui-ci; mais ses membres les plus éminents y prirent part à titre individuel.

L'organisation du Congrès wallon de la Libération avait été confiée sous l'occupation à un comité présidé par François Van Belle. Ce comité se met au travail vers mars 1944. A la Libération, il veille à faire entrer dans ses rangs des personnalités de toutes les tendances d'opinion et à répartir les invitations de telle sorte que l'Assemblée soit représentative. La présidence du Congrès est attribuée à l'ancien ministre socialiste Joseph Merlot, rentrant de déportation. Le Congrès a lieu à Liège les 20 et 21 octobre 1945. Il réunit plus de mille participants. Quatre solutions sont proposées aux congressistes pour le statut futur de la Wallonie : maintien de la structure unitaire de l'Etat belge, autonomie dans le cadre d'un Etat belge réformé, indépendance, rattachement à la France.

Un premier vote, purement "sentimental", donne la majorité relative à la thèse extrémiste du rattachement à la France (486 voix), 154 voix pour l'indépendance de la Wallonie, 391 pour l'autonomie dans le cadre du fédéralisme et 17 seulement pour le statu quo unitaire. Un second vote, dit "de raison", donnera l'unanimité moins 12 voix au principe de l'autonomie. Un Comité permanent de 35 membres est ensuite institué avec mission de mettre au point pour un prochain congrès la forme de l'autonomie. Le Congrès de Liège eut un énorme retentissement; il était difficile de contester la représentativité de l'assemblée qui s'était prononcée en majorité pour la destruction de la Belgique puis à l'unanimité pour la solution fédéraliste.

Un deuxième congrès se tient sept mois plus tard à Charleroi, le 11 et 12 mai 1946. Il chargera son Comité permanent de faire déposer au Parlement un projet formel de révision constitutionnelle que devait élaborer la Commission des Questions constitutionnelles. Un texte fut déposé à la Chambre le 6 mars 1947 par deux députés socialistes (Marcel-Hubert Grégoire et Jules Blavier), deux libéraux (Jean Rey et Edmond Leclercq) et deux communistes (Julien Lahaut et Willy Frère); il sera désormais évoqué sous le nom de projet Grégoire - Rey. Il faisait de la Belgique une Confédération formée de deux Etats et d'une région fédérale, tous trois disposant de leur assemblée.

Le Congrès national wallon fut à nouveau réuni les 3 et 4 mai 1947 à Namur, essentiellement pour approuver le projet Grégoire-Rey (en raison de cette approbation, les membres du PSC s'abstiendront par la suite d'encore participer au Congrès). Le Congrès de Namur décida également la constitution d'un Comité d'Action wallonne chargé de propager les thèses fédéralistes. Enfin, peu de jours après le Congrès de Namur eut lieu le dépôt du premier rapport du Conseil économique wallon. Ce dernier avait été officiellement constitué en juillet 1945 sous forme d'Asbl et les divers centres économiques wallons comme les principales branches d'activité de la Wallonie y étaient représentés.

Le 20 mai 1947, le Conseil remit donc au gouvernement un rapport très substantiel, qui mettait en cause la responsabilité directe du pouvoir central dans la situation économique de la Wallonie. Le diagnostic posé par le Conseil économique wallon devait se confirmer comme on sait au cours des années suivantes, mais son cri d'alarme ne fut alors guère entendu dans les milieux gouvernementaux.

 

VII. Les années de désillusion du mouvement wallon

Comme le projet Dehousse-Truffaut en 1938, la proposition Grégoire-Rey fut repoussée par la majorité au Parlement. Cette défaite des fédéralistes wallons au niveau parlementaire porta un coup sérieux au mouvement wallon. Le Comité permanent du Congrès national wallon avait convoqué un quatrième congrès qui eut lieu à Bruxelles en février 1948. Après des débats houleux, celui-ci décida d'adopter une politique "réformiste".

Les fédéralistes wallons revinrent à la charge au Parlement en 1952, dans la perspective de la révision constitutionnelle de 1953 - qui devait inscrire dans la Constitution le principe de la cession de pouvoirs nationaux à des institutions supranationales. Le 27 mai, les députés socialistes liégeois Van Belle et Merlot déposaient à la Chambre un nouveau projet de révision instaurant un régime fédéral en Belgique. Ce projet échoua à nouveau devant la Chambre. Peu de jours avant l'ouverture du débat, le Congrès wallon avait été réuni pour la première fois depuis 1950, à Charleroi, les 3 et 4 octobre 1953.

Le Congrès de 1953 fut aussi l'occasion pour le mouvement wallon de se prononcer sur des contacts entre fédéralistes flamands et wallons, contacts qui avaient pris naissance au sein du "Centre Harmel". Des contacts entre fédéralistes des deux camps se poursuivirent aussi en dehors du Centre. Ils aboutirent en décembre 1952 à la publication d'un Manifeste commun en faveur du fédéralisme, connu sous le nom de ses deux principaux signataires : Schreurs et Couvreur. Le Congrès national wallon approuva ces travaux, qui débouchèrent en 1954 sur un projet complet de réforme de l'Etat dans un sens fédéraliste : il s'agissait là d'une préfiguration du dialogue de communauté à communauté.

Mais bien sûr, la période qui nous occupe fut surtout marquée par la fin de la question royale; le mouvement wallon y joua un rôle. On sait que les partis laïcs et progressistes en général étaient opposés à ce que Léopold III puisse poursuivre son règne après avoir adopté durant la guerre une attitude qu'ils jugeaient critiquable, qu'en revanche cette attitude ne gênait nullement les catholiques. Comme dans la question de l'amnistie aux collaborateurs, Flandre et Wallonie allaient se diviser autour du chef d'Etat.

Une consultation populaire fut organisée le 12 mars 1950. Si les oui l'emportèrent très largement en Flandre (72%), la Wallonie avait, elle, voté non à 58%. Le Gouvernement organisa le retour du Roi au pays, sans tenir compte de l'hostilité wallonne. Les forces syndicales et politiques de gauche déployèrent une activité intense en Wallonie (manifestations, grèves après le retour du Roi en juillet) jusqu'à ce que Léopold consente à s'effacer en faveur de son fils.

Dès 1949, au cours d'une assemblée tenue à Liège les 1er et 2 octobre, le Congrès national wallon avait pris parti dans la question léopoldienne en exigeant que, en cas de consultation populaire, le dépouillement soit effectué de manière régionale. Un Congrès extraordinaire fut convoqué à Charleroi le 26 mars 1950, avec pour seul objet l'attitude à adopter dans l'affaire royale. Le 26 juillet, le président du Congrès national wallon, Joseph Merlot, évoqua l'éventualité d'une convocation d'Etats généraux de Wallonie si le Roi ne se retirait pas. Mais dès ce retrait (1er août), les dirigeants des partis firent en sorte que le mouvement ne se poursuive pas sur la revendication autonomiste.

Bien des militants wallons qui avaient espéré beaucoup de cette période insurrectionnelle en furent déçus. Au moins les événements de 1950 firent-ils progresser la conscience wallonne dans les masses. A cet égard, il faut souligner que c'est au cours du Congrès wallon du 26 mars 1950 qu'eut lieu la première rencontre entre ce dernier et le leader syndical liégeois André Renard, qui apportera au mouvement wallon "l'adhésion de 85.000 travailleurs".

Après les élections de 1954, un gouvernement "des gauches" est constitué sous la direction du socialiste Van Acker. Le mouvement wallon croit évidemment pouvoir compter sur lui pour des réformes sérieuses : pour la première fois, un gouvernement est établi sur une base paritaire et surtout ses six membres wallons font partie du Comité permanent du Congrès wallon. Or ce gouvernement se signalera, en matière communautaire, par son peu d'activité, malgré de très nombreuses démarches du mouvement wallon auprès des ministres et des dirigeants des partis de la coalition : ceux-ci sont surtout accaparés par la politique scolaire - et la "guerre scolaire" qui en découle.

Après trois années de désillusion, le Congrès national wallon est convoqué à Charleroi les 25 et 26 mai 1957. De nombreux militants, désenchantés, le boudent; des hommes politiques s'abstiennent par prudence. La réunion est terne : la plupart des participants étant socialistes ou libéraux éprouvent une sorte de malaise. Les élections de 1958 seront une défaite pour la coalition au pouvoir. Après un bref ministère catholique homogène (juin-novembre), Gaston Eyskens forme un gouvernement avec les libéraux.

A la demande de "Wallonie Libre", un neuvième Congrès wallon se tient à Liège les 25 et 26 avril 1959. Peu de militants de la base y assistent; des heurts se produiront entre eux et les hommes politiques présents. Joseph Merlot, qui avait présidé les Congrès de 1945 à 1953, a été remplacé par Maurice Delbouille. Ce Congrès marque le début d'une relance de l'action wallonne, qui se manifeste aussi dans les assemblées tenues la même année par les libéraux et les socialistes wallons. Cette relance s'explique par un mécontentement justifié. Les années cinquante n'avaient apporté aucune satisfaction substantielle aux revendications wallonnes. La situation économique s'était au contraire encore plus dégradée.

 

 

VIII. La tiédeur des partis face aux fédéralistes wallons

En août 1945, le Parti catholique a rénové ses structures et cédé la place au Parti social- chrétien (PSC). L'attitude de ce dernier à l'égard des revendications wallonnes n'en est pas modifiée pour autant. Le PSC demeure alors le plus tiède défenseur de la Wallonie. En matière communautaire, les catholiques s'en tiennent à une solution timide : le provincialisme, c'est-à-dire une déconcentration "hardie" au profit des provinces. Ils condamnent sans réserves le fédéralisme et même le régionalisme fédéral défendu par "Rénovation wallonne".

Les sociaux-chrétiens wallons tenteront de contrecarrer le mouvement wallon en l'encommisionnant. Le député liégeois Pierre Harmel et cinq de ses collègues déposent en mai 1946 une proposition de loi fondant un "Centre de recherches pour la solution nationale des problèmes politiques, sociaux et juridiques en régions wallonne et flamande". Celui-ci est créé effectivement par une loi du 3 mai 1948. Ses travaux (particulièrement lents) dureront plusieurs années; des Flamands et des Wallons de toutes tendances y participaient. Ils furent clôturés en octobre 1955, pour ainsi dire dans l'indifférence générale.

En décembre 1951, le député PSC Lamalle fonde à Namur un groupement baptisé "Mouvement des Provinces wallonnes". Celui-ci condamne toute solution fédéraliste à la question communautaire et estime qu'une solution peut être trouvée "dans le cadre des institutions actuelles, par la mise en oeuvre d'une saine politique de décentralisation". Le mouvement adhéra en 1960 au "compromis linguistique" publié en février par le PSC. Or ce texte provoqua au contraire une réaction et une réactivation de "Rénovation wallonne" qui y vit - ainsi que les autres mouvements wallons - une capitulation devant les exigences flamandes. Le texte en question répondait en effet largement aux exigences flamandes dans l'énumération des principes qui devaient selon lui présider à une révision des lois linguistiques de 1932.

Au contraire, des membres wallons du Parti libéral continuèrent de jouer un rôle de tout premier plan dans le mouvement wallon de l'après-guerre (pensons à Schreurs, à Jean Rey par exemple), des parlementaires libéraux wallons prirent une part active aux propositions de révision constitutionnelle élaborées par le Congrès national wallon et déposées en vain à la Chambre. D'un autre côté, ces hommes (Rey, Buisseret notamment), devenus ministres dans le gouvernement Van Acker en 1954 - 1958, acceptèrent de se soumettre à la politique unitaire de leur parti et de cautionner un cabinet qui se signala par son immobilisme en matière communautaire.

L'Entente libérale wallonne poursuivit ses activités après la guerre. Elle se réunit en Congrès en avril 1947, et opta à l'unanimité des présents pour le fédéralisme. Elle réaffirma son attachement à cette idée en décembre suivant et au début de 1948. Après quoi, la question des rapports entre Flamands et Wallons fut éclipsée durant une dizaine d'années. La relance de l'action wallonne eut lieu en 1959. Du côté libéral, elle fut marquée par un nouveau Congrès de l'Entente libérale wallonne tenu le 27 juin à Namur. Les libéraux wallons s'y affirmèrent à nouveau fédéralistes...

On retrouve le même scénario au PSB wallon. Des militants et mandataires socialistes, liégeois principalement, participèrent au mouvement wallon de l'après-guerre : Joseph Merlot, François Van Belle, Fernand Dehousse, etc. Mais, ici aussi, il n'y eut pas toujours conformité entre les prises de position au sein des assemblées du mouvement wallon d'une part, et les attitudes dans l'action politique d'autre part.

Les dirigeants nationaux du PSB préféraient mener une politique unitaire. Le président du Parti, Max Buset, était plutôt tiède envers le mouvement wallon. Lors de la discussion à la Chambre sur le fédéralisme en 1953, il s'abstint d'appuyer la proposition Van Belle-Merlot. Il n'empêche que c'est dans les milieux socialistes que le mouvement wallon puisait ses forces les plus vives.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Parti socialiste clandestin avait eu une vie relativement intense, spécialement dans la région liégeoise où fut entrepris, en même temps que l'action de Résistance, un travail de remise à jour de la doctrine et du programme socialistes. De multiples Commissions s'adonnèrent à cette tâche. Celle dite des affaires wallonnes élabora un Projet d'instauration du fédéralisme en Belgique que la Fédération liégeoise du PSB publia peu après la Libération. Un Congrès des socialistes wallons se tint à Mons les 5 et 6 juillet 1947. Fernand Dehousse plaida évidemment en faveur du fédéralisme : les congressistes s'y rallièrent par 62 mandats contre 38 et une abstention. Le vote témoigna de l'adhésion au moins de principe des six dixièmes des socialistes wallons au fédéralisme, mais le Congrès de Mons resta pratiquement sans lendemain. Il n'eut pour ainsi dire pas de conséquences politiques.

Il fallut attendre douze ans et le retour des socialistes dans l'opposition pour qu'ait lieu un nouveau Congrès des socialistes wallons. Il se tint à Namur les 6 et 7 juin 1959, sous la présidence de Léo Collard. André Génot, secrétaire-adjoint de la FGTB et président de la Fédération socialiste de Namur, y joua un rôle de premier plan. Ce Congrès vota à l'unanimité une motion réaffirmant son attachement au fédéralisme à trois. Le Congrès vota aussi une motion économique reflétant l'esprit du programme de réformes de structures adopté par la FGTB sous la pression du leader syndicaliste liégeois André Renard. Sous la poussée de son aile wallonne, le PSB fit sien ce programme économique lors de son congrès de novembre 1959.

Nous terminerons en signalant que les communistes, qui manifestèrent leur opposition au fédéralisme européen auquel le mouvement wallon devait adhérer, se retirèrent pour ce motif du Congrès wallon en 1953. Ils ne renoueront avec lui qu'en 1959. Nous mentionnerons aussi l'existence d'un Parti wallon durant l'après-guerre. Ce Parti d'Unité wallonne avait été fondé par Victor Van Michel, qui avait milité dans les rangs de la Ligue d'Action wallonne avant 1940. Il se présenta aux élections de 1946, 1949, 1958, sans plus de succès que le Parti wallon indépendant en 1939. En fait, il faudra attendre le milieu des années soixante pour qu'une fraction significative du mouvement et de l'électorat wallons se détourne des partis traditionnels.

 

IX. Le choc de la "grande grève" et les victoires flamandes

La grande "grève" de décembre 1960 - janvier 1961 annonçait une série de bouleversements importants du côté des forces politiques et syndicales wallonnes, et du mouvement wallon. Elle eut un impact considérable quant au progrès de la revendication fédéraliste. A l'origine du conflit, le projet de "loi unique" du gouvernement chrétien - libéral de Gaston Eyskens, déposé le 4 novembre. Dans le pays et dans les milieux socialistes en particulier, la loi unique fut fort mal accueillie. En Wallonie surtout, elle fut le point de cristallisation d'une inquiétude profonde due à la stagnation économique, aux fermetures de mines, etc.

Le 17 novembre une réunion des cadres wallons de la FGTB se tenait à Charleroi à l'initiative de Renard et d'André Génot. On y décida, entre autres, de la parution à partir de janvier 1961 d'un journal de lutte "spécifiquement wallon" (ce serait Combat) et la mise sur pied d'un organe de coordination syndicaliste wallon.

La grève contre la "loi unique" démarre spontanément le 20 décembre (à Anvers, Liège et Charleroi), jour d'ouverture du débat sur le projet de loi à la Chambre. L'action est essentiellement localisée en Wallonie. Elle durera plus d'un mois, marquée en certains endroits par des incidents violents. Ses objectifs évolueront : de l'opposition à la loi unique, l'accent sera déplacé vers les problèmes spécifiquement wallons et la revendication étendue aux réformes de structures économiques et politiques.

Un Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB avait été créé le 23 décembre à Namur. Il déclare dès le 2 janvier 1961 que "dès à présent se pose le problème des réformes de structures seules capables d'assurer l'expansion économique et la prospérité de la Wallonie dans le cadre des structures politiques du pays révisées". Le même jour, les représentants des Fédérations wallonnes du PSB réunis à Namur décident de constituer un Comité permanent de liaison entre les Fédérations et soulignent la nécessité d'une révision des structures politiques du pays. Pour la première fois, la revendication d'une réforme radicale de l'Etat est voulue par les travailleurs wallons en lutte et trouve un réel contenu populaire.

Le 3 janvier, les députés socialistes wallons avaient déclaré que si la politique gouvernementale était poursuivie, "le peuple wallon n'aurait d'autre issue que la révision des institutions politiques du pays afin de choisir lui-même les voies de son expansion économique et sociale". Le 13, 400 élus socialistes wallons réunis à Saint-Servais réclament pour la Wallonie "le droit de disposer d'elle-même" et mettent leur mandat à la disposition du Parti. Mais les socialistes flamands et bruxellois ne se sentent guère solidaires avec les objectifs wallons de la grève, et rares sont les parlementaires socialistes wallons réellement disposés à risquer l'"aventure". Le 14 janvier, des parlementaires socialistes wallons remettent au Roi une déclaration demandant une réforme institutionnelle garantissant les Wallons contre les effets du déséquilibre interne du pays.

La grève ne pouvant donc plus trouver d'issue politique immédiate, le mouvement se relâche dès le 16 janvier. Le 21, il reste 150.000 grévistes wallons seulement. La Chambre avait adopté la loi unique le 13. Le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB décide de "suspendre" la grève pour le 23 et de "donner de nouvelles formes à l'action". La loi unique est donc adoptée par le Parlement, mais le gouvernement décide de dissoudre les Chambres et de procéder à des élections anticipées. Le scrutin a lieu le 21 mars. Le Président du PSC, Théo Lefèvre, constituera en avril avec Paul-Henri Spaak un gouvernement social-chrétien - socialiste.

Le gouvernement PSC-PSB issu des élections de mars 1961 manifeste clairement sa volonté d'aborder de front et de résoudre le contentieux Flamands - Wallons. Sa déclaration gouvernementale (2 mai) contient un programme d'action ambitieux à cet égard. De fait, une série de mesures importantes seront prises durant la législature.

Sous la pression flamande, le gouvernement Lefèvre - Spaak avait fait voter une loi supprimant du recensement les questions relatives à l'usage des langues. L'opposition wallonne à cette loi avait été médiocre; en fait, les mouvements wallons désiraient eux aussi fixer définitivement la frontière linguistique. Ils auraient certes souhaité que cette opération soit effectuée sur base de données récentes, mais ils s'inclinèrent (en tous cas au niveau parlementaire) devant la volonté flamande.

Le sort des Fourons, à l'occasion de la fixation définitive de la frontière linguistique, souleva davantage les passions. Après un premier vote de la Chambre rattachant les Fourons au Limbourg, en février 1962, malgré l'opposition déjà connue des autorités et de la population locale, pétitions, prises de position, manifestations en faveur des Fouronnais se multiplient en Wallonie. A l'appel d'André Renard, une immense manifestation a lieu à Liège le 15 avril 1962. Quant le projet arrive devant le Sénat, la question des Fourons a pris une toute autre ampleur que lors de son premier passage à la Chambre. Le 9 octobre, le Sénat adopte néanmoins l'ensemble du projet Gilson : le vote a lieu selon un clivage communautaire au sein des trois partis traditionnels, la quasi totalité des sénateurs wallons votant contre.

Le texte retourne ensuite devant la Chambre. A ce moment, une deuxième manifestation en faveur des Fourons a lieu à Liège, le 24 octobre, rassemblant 15.000 personnes. Le 28, le Conseil provincial organise une consultation populaire des Fouronnais. Les résultats ne laissent aucun doute quant à la volonté des habitants. Le vote final a lieu le 31 octobre 1962. La loi est adoptée contre la volonté de la majorité des députés wallons et francophones.

Après le vote de la loi fixant la frontière linguistique, le gouvernement s'attacha encore à deux autres projets de lois linguistiques : celui sur le régime linguistique de l'agglomération bruxelloise et de l'administration de l'Etat et celui sur l'enseignement des langues dans les écoles. La question de la périphérie bruxelloise et des communes à "facilités" ne souleva pas de réelles passions en Wallonie et les parlementaires wallons, quasi indifférents, laissèrent à leurs collègues bruxellois le soin de défendre les intérêts de l'agglomération. Il semble que les parlementaires francophones, en cette année 1963, se soient comme résignés à la poussée flamande au sein de l'Etat, en cédant devant les exigences flamandes.

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Freddy Joris, Les étapes du combat wallon, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.


 

 

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