Introduction
"Faisons un rêve", dit un
jour de 1976, Francis Delperée à l'occasion d'un colloque où il évoquait
l'avenir de la Wallonie, "imaginons un instant que le gouvernement, soutenu
soudain par une majorité qualifiée - c'est bien un rêve - confère aux autorités
régionales wallonnes une compétence législative ou quasi législative - de même
nature que celles des décrets dans les matières régionales. Dès lors, nous
serions", ajouta le Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Louvain,
"devant un Etat fédéral semblable aux propositions jadis formulées par des
Fernand Dehousse, Georges Truffaut, Jean Rey, etc". Et, mettant en garde les
mouvements wallons contre un fétichisme excessif à l'égard des procédures
institutionnelles et des institutions publiques, le constitutionnaliste
concluait : "La leçon est d'importance. Dans un pays comme le nôtre, le pouvoir
n'est jamais donné. Sans aller jusqu'à dire, avec le Général de Gaulle, qu'il se
ramasse, admettons qu'il se prend, qu'il se conquiert, qu'il se conserve de
haute lutte".
Assurément ! Qui pourrait
nier que les vingt-cinq dernières années ont été, pour la Wallonie, celles de la
difficile conquête d'une autonomie revendiquée depuis plus d'un siècle mais dont
les progrès ont été si lents et les avatars si nombreux que leur histoire en
démontre, aujourd'hui encore, toute la fragilité ?

I. Les extrémistes du possible (1970-1978)
Le Gouvernement Gaston
Eyskens - Joseph Jean Merlot se met en place le 17 juin 1968 en affirmant sa
volonté de remodeler la Belgique. Le Congrès du Mouvement populaire wallon qui
se réunit le 23 juin 1968 reste sceptique et critique le programme
gouvernemental. Mais, le 22 janvier 1969, le Vice-Premier Ministre JJ Merlot,
celui qui avait été l'artisan du Congrès des Socialistes wallons à Verviers, se
tue dans un accident de voiture. Il est remplacé par André Cools. Dès septembre
1969, le Groupe de Travail pour les Problèmes communautaires, représentant les
différents partis, est à l'oeuvre. Ce "Groupe des 28", présidé par Gaston
Eyskens et les deux ministres des Affaires communautaires, Léo Tindemans et
Freddy Terwagne, rassemble tous les partis et se réunit du 24 septembre au 13
novembre 1969. C'est là que, contre toute attente, la proposition du Professeur
Perin, Président du Rassemblement wallon depuis sa fondation en 1968, de confier
aux régions un pouvoir normatif de décision dans certaines matières, recueille
l'appui de Gérard Delruelle, député libéral de Liège, et au delà, celui du
PLP-PVV. Le remarquable journaliste André Méan a rapporté les propos de Gérard
Delruelle : "Il faut donner du pouvoir et des compétences aux trois régions.
[...] La Wallonie doit recevoir quelque chose sur le plan économique en échange
de l'autonomie culturelle que réclame la Flandre. Donnez aux régions des
milliards pour régler leurs problèmes prioritaires". Quand le groupe des 24
prend la relève de celui des 28, sans la Volksunie, il aboutit à des résultats
sur tous les points de son ordre du jour, excepté sur le problème de la création
de la région économique bruxelloise et sur celui du statut des communes
limitrophes de l'agglomération bruxelloise.
Dès lors, c'est le
gouvernement qui doit s'attaquer lui-même à ces points. Il parvient à un accord
global qui est présenté par le Premier Ministre à la Chambre, le 18 février
1970. L'accord précise que la Région linguistique bilingue de Bruxelles-capitale
s'étend sur le territoire des dix-neuf communes. Trois communautés culturelles
sont définies : française, néerlandaise et allemande; il en va de même pour les
régions politiques, l'Etat en comprend trois : la wallonne, la flamande et la
bruxelloise. "Une loi adoptée à une majorité spéciale attribue aux organes des
régions qu'elle crée et qui sont composées de mandataires politiques élus, la
compétence de régler les matières qu'elle fixe, dans le ressort et selon le mode
qu'elle détermine. " En outre, les minorités sont protégées, la parité flamands-
francophones au Conseil des Ministres ainsi que des majorités spéciales pour
plusieurs matières sont prévues. C'est une véritable restructuration de
l'organisation de l'Etat par l'autonomie culturelle et la mise en place des
pouvoirs régionaux qui est ainsi opérée.
Méfiants par expérience,
les bureaux du Mouvement populaire wallon et de Wallonie libre réclament, fin
février 1970, le vote simultané de l'autonomie culturelle et de l'organisation
régionale. De plus, ils demandent la consultation des populations pour
déterminer les limites régionales. Le Congrès extraordinaire du Rassemblement
wallon réuni mi-mars à Namur sous la présidence de François Perin dénonce, lui
aussi, le fait que "le plan gouvernemental accorde immédiatement l'autonomie
culturelle aux Flamands mais repousse dans un avenir éloigné et incertain le
pouvoir régional sur le plan économique et social dont la Wallonie a un urgent
besoin". Le 25 avril 1970, le Conseil général des fédérations wallonnes du PSB
réclame à son tour que soient assurées simultanément la réalisation de
l'autonomie culturelle et la reconnaissance aux régions des pouvoirs de décision
en matières économique et sociale, c'est-à-dire la création d'un véritable
exécutif wallon. Le socialiste carolorégien Jacques Hoyaux, seul, considère le
projet en retrait par rapport aux résolutions des socialistes wallons et à leurs
revendications essentielles. "Il n'est pas interdit de penser qu'un jour, nous
réclamerons l'autodétermination des Wallons dans le cadre de l'Europe",
annonce-t-il. Mais le travail législatif se poursuit au Parlement et rien n'est
encore acquis.
Le 5 mai 1970, en
Commission du Sénat, le mot région est supprimé de la proposition
d'organisation régionale. On y parle d'organes régionaux. Il faut toute
la force déterminée de Freddy Terwagne, le 18 juin, pour emporter le vote sur le
projet d'accord initial : "Au centre de nos préoccupations fondamentales, il n'y
a pas seulement la langue ou le territoire, mais encore et surtout l'homme.
Instaurer un système régional, dans la Belgique de 1970, c'est construire une
démocratie nouvelle", proclame le ministre wallon des Relations communautaires.
Dès lors, l'article 107 quater, qui consacre l'existence de trois régions, la
Flandre, Bruxelles et la Wallonie, est accepté par l'ensemble des partis à
l'exception de la Volksunie.

Les compétences de ces
régions - qui ne peuvent être celles prévues en matière d'emploi des langues et
d'autonomie culturelle - restent à déterminer par une loi votée à majorité
spéciale. Les lois d'application vont néanmoins tarder : les Flamands vont
exiger que leur revendication de l'autonomie culturelle soit prioritaire et que
ses lois d'application soient adoptées dans les mois qui suivent. En effet, ils
considèrent que le vote du projet 125 sur la décentralisation économique et sa
concrétisation assurent le parallélisme revendiqué du côté wallon. Ce projet a
été approuvé les 2 et 3 juillet 1970 (Loi du 15 juillet 1970 ) et mis en vigueur
par le Gouvernement le 31 décembre 1970, le jour même de la parution au
Moniteur belge des articles constitutionnels révisés accordant l'autonomie
culturelle. Comme l'a écrit Claude Remy, ancien collaborateur de Freddy Terwagne,
"ce parallélisme a un mérite certain : pour la première fois dans l'histoire
politique de la Belgique, des revendications wallonnes sont satisfaites en même
temps que des aspirations flamandes". La Loi Terwagne, portant
organisation de la planification et de la décentralisation économique, prévoit
la mise en place de conseils économiques régionaux de droit public (installés en
octobre 1971) qui organiseront la concertation entre les forces politiques,
économiques et sociales des régions, la création de sociétés de développement
régional (une seule pour la Wallonie dès 1973), "véritables organes d'exécution
décentralisés", qui, comme l'a indiqué Terwagne, "auront à remplir les tâches de
conception, de promotion, de réalisation et de coordination de l'économie
planifiée de leur région", d'organes techniques de promotion et de réalisation
dans les matières économiques, le Bureau du Plan et l'Office de Promotion
industrielle. La tâche de tous ces organes est de poursuivre le travail du
Conseil économique wallon, né de la guerre. Néanmoins, comme l'a indiqué le
Bureau fédéral du MPW, "la décentralisation économique [...] n'aura de sens que
si la Wallonie est dotée de pouvoirs réels de décision qui lui permettront entre
autres de prendre des initiatives industrielles publiques".
Freddy Terwagne,
dynamique artisan de la réforme, meurt brutalement le 15 février 1971. Il est
remplacé par un militant wallon de toujours, Fernand Dehousse. Ce dernier est
forcé d'accepter le découplage de l'autonomie culturelle et de la mise place des
régions, le 11 avril 1971. C'est pour les Wallons une mise au frigo du 107
quater. Mais l'échec n'est pas celui d'un homme ou d'un parti. Dans un manifeste
intitulé Quelle Wallonie ? Quel socialisme ?, le Groupe B-Y qui réunit
des progressistes d'horizons divers autour de Max Bastin et de Jacques Yerna
indique au même moment : "Wallons et francophones bruxellois ont oscillé trop
souvent entre ce qu'il faut bien appeler un esprit vichyssois et certains
irréalismes ou nostalgies. Les fruits amers de cette situation sont à déguster
chaque jour à l'occasion des lois d'application et des autres domaines où la
dynamique flamande pourra s'exercer et s'exercera. Par la nature des choses,
certains Wallons parmi les plus sensibilisés n'ont pas toujours senti les
réalités, ni changé de cap à temps. Les fédéralistes progressistes sont engagés
dans des organisations et aussi dans des partis divers auxquels il arrive de
s'affronter durement..."
Aux élections du 7
novembre 1971, provoquées par la fronde des députés CVP contre un projet de loi
visant à résoudre le problème des Fourons, le Parti libéral francophone
s'écroule alors qu'il vient de se séparer du PVV, tandis que FDF et RW, de plus
en plus associés, doublent le nombre de leurs représentants en obtenant 24
députés, dont 14 RW. Dès lors, le Rassemblement wallon s'impose comme deuxième
parti de Wallonie. Alors qu'Edmond Leburton constitue une coalition des trois
familles traditionnelles, le 26 janvier 1973, son gouvernement ne parvient pas à
dégager de nouvelles pistes sur les dossiers communautaires et force le MPW - et
particulièrement son président Jacques Yerna - à réclamer à nouveau, dans une
Lettre au Roi en février 1973, un Exécutif et une assemblée régionale pour
la Wallonie. Le Gouvernement Leburton tombe sur l'affaire de la raffinerie
iranienne Ibramco qui devait être implantée en Wallonie.
Marquant sa volonté
d'aboutir à la mise en place de la régionalisation, le Rassemblement wallon
entre, le 11 juin 1974, dans le Gouvernement que Léo Tindemans a formé le 25
avril avec les libéraux et les sociaux-chrétiens. La Loi Perin-Vandekerckhove
est votée le 1er août 1974. Ne disposant pas d'une majorité qualifiée, le
Gouvernement a créé des institutions régionales à "titre préparatoire" à
l'application de l'article 107 quater. Celles-ci sont issues des négociations de
Steenokkerzeel, les 19 et 20 avril 1974, auxquelles François Perin a participé,
négociations revues lors de l'entrée du RW au gouvernement (Accord du 10 juin
1974). Le 11 juin 1974, Jean Gol et Etienne Knoops, députés RW, sont nommés
respectivement secrétaires d'Etat à l'Economie régionale wallonne et adjoint au
ministre des Affaires économiques. Le 4 octobre, ils sont rejoints par Robert
Moreau, Secrétaire d'Etat aux Affaires sociales, Adjoint au Ministre des
Affaires wallonnes. La loi Perin- Vandekerckhove prévoit que, dans les limites
des circonscriptions existantes, chaque région sera dotée d'un Conseil et d'un
Comité ministériel "spécial" rassemblant les ministres et secrétaires d'Etat
ayant des attributions en matières culturelle et régionale. Il s'agira donc
d'une assemblée consultative
composée des sénateurs de la région. Chaque région doit recevoir une dotation
financière de l'Etat central, fixée suivant trois critères de répartition,
chacun comptant pour un tiers : la superficie, la population et le rendement de
l'impôt des personnes physiques. Le vote, à majorité simple, a lieu le 20
juillet 1974 et permet aux régions de déterminer leurs politiques dans les
domaines de l'expansion économique régionale, de l'emploi, de la santé, de
l'eau, de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme, de la politique foncière,
du logement, de la politique familiale et démographique, de la santé publique et
de l'hygiène, de la politique industrielle et énergétique, du tourisme et de la
politique d'accueil, de la chasse, la pêche, les forêts, l'organisation
communale et la politique de l'eau. Si la Loi Perin est boycottée par les
socialistes qui la jugent inconstitutionnelle et refusent de participer au
Conseil wallon qu'elle crée, il n'en reste pas moins que la régionalisation
préparatoire met en place une ébauche d'organes législatif et exécutif
régionaux, un budget régional ainsi qu'un début de régionalisation interne des
administrations concernées. En fait, le Conseil régional ne reçoit pas mission
de régler les matières régionales - sinon on se serait trouvé dans le champ
d'application du 107 quater, ce qui aurait nécessité une majorité qualifiée -
mais donne un avis, par voie de motions motivées sur des projets gouvernementaux
ou encore émet des propositions. Comme le souligne François Perin, Ministre de
la Réforme des Institutions, "au niveau de l'élaboration des normes régionales,
c'est évidemment toujours le Parlement qui vote les lois - dont le champ
d'application peut être limité à une région - mais chaque Conseil régional doit,
dans les matières régionalisées, être consulté". Le Conseil d'Etat décida
pourtant de limiter le caractère contraignant de cette consultation.

Le 25 novembre 1974, le
Comité ministériel wallon se réunit pour la première fois, à Namur, sous la
présidence du démocrate-chrétien Alfred Califice, Ministre des Affaires
wallonnes. Le lendemain, c'est au tour du nouveau Conseil régional wallon,
composé des Sénateurs et présidé par le libéral carolorégien Franz Janssens, de
tenir sa première séance à Namur.
C'est au printemps 1976
que, à l'occasion du 25e anniversaire du règne du Chef de l'Etat, une nouvelle
lettre au Roi est adressée à Baudouin Ier. Elle est signée par Marcel Thiry,
Fernand Dehousse, Francis Delperée, Joseph Hanse, Maurice Leroy et Jean Rey.
Dénonçant la persistance du régime unitaire malgré les modifications de la
Constitution, les signataires regrettent une nouvelle fois que la
régionalisation, bien que votée par l'article 107 quater, soit restée lettre
morte : "Tous ceux qui vivent quotidiennement la vie de la Wallonie, tous ceux
qui ont sous les yeux le spectacle de ses usines fermées ou menacées, tous ceux
qui savent que le grave chômage qu'elle connaît sera loin d'être résorbé avec la
fin de la crise actuelle s'inquiètent de cette carence. Ils réclament des
actions politiques qui lui donnent enfin la possibilité de lutter efficacement
contre le sous-développement et le sous- emploi".
Le 16 juin 1976, François
Perin fait l'éloge du projet d'accord sur l'application de l'article 107 quater,
que le PSB a élaboré avec la FGTB. Cette proposition de régionalisation
définitive a été présentée dix jours plus tôt aux socialistes des trois régions
et sera approuvée au congrès national du PSB, le 27 juin. Un important Congrès
des Socialistes wallons se réunit à Jolimont le 19 juin. Guy Spitaels, qui y a
présenté le rapport sur la démographie et l'emploi, a déclaré que "la
minorisation de la Wallonie continue à s'accentuer". Alors qu'à l'époque du
rapport Sauvy, en 1962, le taux de natalité était de 15,2 pour mille, il est
tombé en 1974 à 12,8 pour mille. L'orateur peut annoncer que "nous avons
commencé à mourir collectivement". Quant au chômage, il est 30% plus élevé en
Wallonie qu'en Flandre. Marcel Hicter, qui fait le rapport culturel, rappelle
"qu'on ne peut dissocier la révolution culturelle des révolutions sociales et
économiques". Le mouvement fédéraliste s'est à nouveau ébranlé. Le 29 juin, le
Comité directeur du PSC marque son assentiment sur une formule de dialogue entre
les communautés, nouvelle table ronde à mettre en place après les élections
communales d'octobre 1977. Le Premier Ministre Tindemans marque sa préférence
pour cette formule début septembre tandis que les socialistes wallons se
revoient à Seraing le 12 septembre 1976. Ils élaborent un plan de développement
économique et social pour la Wallonie.
La création du Club
Réformes-Europe-Régions (CRéER) par François Perin, Etienne Knoops et Jean
Gol, en juillet 1976, est le point de départ de l'éclatement du Rassemblement
wallon. Cette initiative, qui a notamment pour objet l'intégration du concept
européen et de préoccupations tournées vers le monde de l'entreprise pour casser
l'image d'une "Wallonie rouge", va susciter un débat idéologique de type
droite-gauche au sein du RW et mettre en porte-à-faux les ministres par rapport
à la direction du Parti et notamment par rapport à son président, Paul-Henry
Gendebien. Celui-ci lance, le 21 octobre 1976, avec Robert Moreau et Germain
Capelleman, Secrétaire général du Mouvement ouvrier chrétien de Charleroi, un
appel au peuple wallon, sous le signe de l'autonomie de la Wallonie intitulé
L'Action wallonne pour le fédéralisme et les réformes de structures. Ainsi,
s'affirmant fidèle aux sources profondes du mouvement wallon, la direction du
Rassemblement wallon proclame que "le combat fédéraliste est aussi un combat
social qui doit être mené par et pour les Wallons". Ce document, qui appelle la
mise en place d'une majorité de progrès en Wallonie, est perçu comme l'abandon
de la volonté pluraliste du RW et va accélérer la rupture entre les deux
tendances du Parti. Ainsi, après l'échec d'un rapprochement avec un PSC
francophone qu'il voudrait voir "déconfessionalisé", c'est le 24 novembre 1976
que le groupe Créer fonde, avec le PLP, le Parti des Réformes et de la
Liberté en Wallonie (PRLW). Estimant que le PLP wallon s'est rallié à la
grande tradition wallonne incarnée par Jean Rey, François Perin explique aux
militants que, lui-même socialiste de gauche il y a quinze ans, il a "mis
plusieurs années à soumettre un idéalisme excessif à la critique des faits et
des hommes. J'ai ainsi pris conscience", écrit-il, "que la révolution rêvée, ou
bien restait enfermée dans des évocations verbales, ou bien, quand la tentative
avait lieu, se soldait par de tragiques échecs [...]".
Au même moment, Combat,
l'organe du MPW, s'insurge, sous la plume de Jean- Marie Roberti, "contre le
simulacre de régionalisation instaurée par la loi Perin qui n'accorde aucun
pouvoir, aucune autonomie ni aucune responsabilité politique aux institutions de
la Région et qui a, dès lors, tenté d'entretenir une dangereuse illusion de
régionalisation auprès des Wallons".

Un important congrès du
Rassemblement wallon se tient à Namur, le 4 décembre 1976. Alors que Marcel
Thiry y souligne que Paul-Henry Gendebien - qui a été plébiscité par les 1200
militants et parlementaires présents - l'a persuadé que les participants
représentaient encore "le RW dans toute sa force", Robert Moreau constate que
c'est la première fois depuis quinze ans qu'il participe à un congrès wallon en
l'absence de François Perin. Bien que, paraphrasant Jean Duvieusart, l'ancien
syndicaliste des Acec proclame que les congressistes sont "des extrémistes, des
extrémistes de la vérité, de la loyauté, de la fidélité et du courage" et qu'ils
vont jusqu'au bout du combat wallon, on sent que quelque chose s'est cassé au
Rassemblement wallon. Le 8 décembre, François Perin quitte son poste ministériel
et est remplacé par le Wallon Michel Toussaint (PRLW) comme Ministre de la
Réforme des Institutions tandis que Pierre Bertrand (RW) entre au Gouvernement.
En vue de son congrès
constitutif du 15 janvier 1977, le nouveau parti patronné par Jean Rey lance un
"Appel aux Wallons". Il y est précisé que "La reconnaissance des régions n'est
pas seulement, comme on l'a dit trop souvent, la résultante de conflits basés
sur des désaccords d'ordre linguistique. Elle s'impose aussi et de plus en plus,
pour des raisons économiques, sociales et culturelles.[...] Il faut donc fédérer
pour unir et doter notre Région wallonne des structures qui lui permettent
d'envisager un devenir propre et d'engager un dialogue avec les autres régions
et communautés". Au Congrès lui- même, Jean Rey qui préside le directoire
constitutif du nouveau parti, précise les axes de la démarche commune qui unira
les troupes de Pierre Descamps à celles de François Perin : fédéralisme,
pluralisme, réformisme et intégration européenne. Et le Ministre d'Etat
d'évoquer la mémoire de Charles Magnette, d'Emile Jennissen, de François Bovesse,
"chefs incontestés du libéralisme wallon" ainsi que de Georges Thone, "fondateur
et animateur du Rassemblement wallon" et de conclure : "Nous espérons être
restés fidèles à leur mémoire et garder le souvenir de leurs efforts d'hier qui
seront pour nous un guide et un stimulant pour nos efforts d'aujourd'hui et de
demain."
Le 26 février 1977, le
Bureau du Rassemblement wallon accuse le PSC et le PVV de bloquer le dialogue de
Communauté à Communauté entamé depuis le 30 novembre à l'initiative de Tindemans
et de ses deux ministres des réformes institutionnelles. Impatient, le RW
réclame, le 28 février, la conclusion immédiate d'un accord politique sur la
révision du 107 quater et, arguant de l'urgence de la situation économique,
Paul-Henry Gendebien réaffirme la volonté de son parti "d'installer au plus tôt
un gouvernement wallon". Une date d'évaluation est fixée : le 4 mars, la veille
du congrès du RW. S'agit-il d'un ultimatum au Gouvernement ? Le 3 mars, alors
qu'un accord semblait possible sur une note en quatre points présentée par
Jean-Maurice Dehousse, négociateur socialiste, un incident éclate à l'occasion
du vote du budget des Affaires économiques et provoque une tension au sein du
gouvernement. Le lendemain, Robert Moreau et Pierre Bertrand sont démis de leur
fonction par le Roi, sur proposition du Premier Ministre. C'est l'échec de
l'ultimatum du RW, pris de vitesse par Léo Tindemans. Mais le Gouvernement n'a
plus de majorité et chancelle.
A leur tour, le 8 mars,
André Cools et Willy Claes, co-présidents du PSB-BSP reprochent aux partis de la
majorité de bloquer la régionalisation définitive du pays et la révision
constitutionnelle mais refusent de faire du futur Parlement une Constituante.
Les élections sont organisées le 17 avril 1977; celles-ci concrétisent
l'effondrement du RW : le parti fédéraliste perd 8 de ses 13 sièges à la
Chambre, tandis que, de son côté, le PRLW en totalise 14. Au total, comme
l'écrit Le Soir, "la régionalisation du pays s'est affirmée" : CVP en
Flandre, Socialistes en Wallonie et FDF à Bruxelles ont renforcé leur
"prédominance".
Tindemans, désigné comme
formateur, a mis en place des négociations gouvernementales entre les
socialistes, les sociaux-chrétiens, la VU et le FDF. Réunis au Palais d'Egmont
du 9 au 25 mai, ils élaborent un Pacte communautaire qui prévoit que la
Constitution "consacrera le principe de la décentralisation politique d'un
certain nombre de matières vers les communautés et les régions". Conformément à
une démarche fédéraliste, il est spécifié que ce sont les conseils régionaux qui
régleront les matières d'intérêt régional non reprises dans les listes des
compétences nationales, communautaires et régionales, "dans la mesure où les
Chambres législatives ne font pas usage de leurs droits de légiférer [...]". En
ce qui concerne le niveau régional, le pacte définit les conseils régionaux,
prévoit leur élection au suffrage universel direct, l'incompatibilité entre le
mandat de conseiller régional et de membre de la Chambre des Représentants, la
tâche des exécutifs et leurs compétences, en distinguant entre compétences
exclusives et compétences concurrentes. La faiblesse - majeure - du projet
réside toutefois dans le peu de moyens accordé aux régions et dans le mécanisme
de financement soumettant une véritable subsidiation au vote du parlement et à
l'action du gouvernement. L'accord signé le 24 mai est intitulé Pacte
communautaire.

L'équipe gouvernementale
Tindemans-Hurez-Vanden Boeynants est mise en place le 2 juin 1977. Alors que,
dans sa déclaration gouvernementale, le Premier Ministre Tindemans appelle
l'opposition à se rallier au pacte communautaire, François Perin a déjà répondu
dans la presse que, en dépit des imperfections du texte, il se voyait mal
refuser de voter un document qui lui apparaissait comme l'héritage de
négociations et d'évolutions qui durent depuis huit ans. Mais, tel un augure,
l'ancien Ministre souligne qu'il est clair que le pacte résulte avant tout d'un
accord Martens-Cools. En effet, François Perin estime que M. Tindemans n'a
jamais été un chaud partisan des Exécutifs régionaux car, dit-il, "il avait la
hantise des contre-pouvoirs". Néanmoins, le mouvement manifestement wallon a
obtenu une garantie par la désignation du Sénateur Jacques Hoyaux qui se voit
attribuer le secrétariat d'Etat à la Réforme des Institutions, en même temps que
son collègue flamand Ferdinandus De Bondt. Le militant socialiste wallon
s'attache à transcrire en projets de loi le Pacte d'Egmont et à préparer les
textes mettant en place la régionalisation définitive et la Cour d'arbitrage,
textes qu'il dépose le 15 décembre 1977 sur la table du gouvernement.
Afin de préciser
certaines dispositions du Pacte d'Egmont, le Gouvernement organise des
discussions au Palais du Stuyvenberg du 24 septembre au 17 janvier 1978. Les
résultats de ces travaux font l'objet d'un complément à la déclaration
gouvernementale relative au Pacte communautaire qui est adoptée au Parlement le
28 février. Un comité gouvernemental examine ces documents à partir du 27 avril
et le projet de loi 461 est déposé à la Chambre début juillet 1978. Il est
adopté en seconde lecture par sa Commission spéciale mais le rapport de cette
commission ne sera jamais adopté. Dans sa présentation du texte, le 13 juillet,
Jacques Hoyaux avait annoncé que, si le texte était voté, dès l'année suivante
des conseils régionaux wallon, flamand et bruxellois, composé de députés et
sénateurs de la région, prendraient des ordonnances ayant force de loi dans
toute une série de matières importantes reconnues en tant que compétences
exclusives et "à propos desquelles est donc exclue toute intervention du
Parlement national". Mais, Léo Tindemans et ses amis n'ont pas résisté aux
pressions du mouvement flamand - opposé aux accords depuis leur signature - et
le Premier Ministre se dérobe spectaculairement le 11 octobre, ouvrant une crise
politique. Après un renouvellement de la coalition pour former un gouvernement
de transition permettant une déclaration de révision de la Constitution, des
élections ont lieu le 17 décembre 1978. Le dernier parti unitaire n'a pas
résisté au choc : c'est séparés que socialistes wallons et flamands vont à la
bataille.
Les élections ouvrent une
longue période d'incertitude pendant laquelle formateurs et médiateurs royaux se
succèdent. Des déclarations communes PS-PSC-FDF et CVP-BSP- VU sont échangées.
Un accord intervient toutefois le 30 mars 1979, entre cinq partis, sur base
d'une note rédigée le 9 mars par André Cools, Président du PS. Ce texte reprend
la proposition de Wilfried Martens, Président du CVP, d'une réforme de l'Etat en
trois phases, prévoyant d'abord la formation du gouvernement dans lequel trois
exécutifs régionaux seraient incorporés mais disposeraient dès le début d'une
administration régionale. Le 107 quater serait appliqué immédiatement et
l'article 59bis élargi aux matières personnalisables. Pour la phase définitive
de la révision constitutionnelle, seules les options fondamentales seraient
définies dans la déclaration gouvernementale. En ce qui concerne les compétences
des régions, la proposition de Cools va plus loin que celle de Martens,
notamment en matière de crédit et d'énergie.
La pression de la rue n'a
pas cessé en Wallonie pour réclamer une avancée autonomiste de la Wallonie. Le
29 mars 1979 encore, l'Interrégionale wallonne la FGTB et le Comité wallon de la
CSC ont réuni à Namur près de 100.000 travailleurs pour revendiquer la
régionalisation et les réformes de structures. Combat se fait
l'interprète des manifestants : "la Wallonie entend obtenir une assemblée élue
au suffrage universel, un exécutif choisi en son sein et responsable devant
elle, des compétences permettant une politique globale de développement
régional, des moyens humains et financiers".
.../...
Philippe Destatte, Du
rêve autonomiste à la souveraineté internationale, dans
Wallonie. Atouts et références d'une
Région, (sous la direction
de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.