IV. Affirmer haut et clair la Wallonie (1992-1994)
Les élections de novembre
1991 ne clarifient pas la situation politique mais ouvrent une nouvelle et
difficile phase de négociations au niveau de l'Etat central. La première, la
Région wallonne voit se conclure un accord de majorité, par la reconduction de
l'alliance du Parti socialiste et du Parti social chrétien.
Mais c'est Guy Spitaels
qui crée la surprise. Le 6 janvier 1992, le Président du PS, dont
l'éditorialiste flamand Léo Marijnissen écrivait trois mois auparavant qu'il
était devenu "l'homme fort de la Belgique", prend la tête du Gouvernement
wallon. Il désigne à ses côtés les deux régionalistes Robert Collignon et Guy
Mathot. "Je mettrai toute ma force de travail au service de l'espoir que peut
avoir la Wallonie dans son développement", annonce Guy Spitaels. Il avait ainsi
bousculé l'échelle de valeurs de bien des observateurs et membres de son propre
Parti. Quant à Robert Collignon, il déclare qu'une chose est sûre : nous avons
clairement l'intention d'affirmer haut et clair la Wallonie ! Le 9 janvier 1992,
renouant avec le geste symbolique de Jean-Maurice Dehousse en 1985, le nouveau
Premier Ministre wallon, accompagné de plusieurs membres de son gouvernement,
dépose des fleurs sur la tombe de François Bovesse. Dans Vers l'Avenir,
l'éditorialiste Paul Piret évoque les perspectives institutionnelles en
percevant des affirmations plus poussées, plus palpables, de l'identité wallonne
et de l'importance de ses organes officiels. Dès la crise des armes, écrit-il,
il s'avérait une fois de plus que la Belgique ne serait plus tout à fait comme
avant... Dans sa déclaration de politique régionale au Conseil wallon, le 22
janvier 1992, Guy Spitaels annonce que son Exécutif propose aux Wallons un
projet de société : ensemble, et dans un contexte parfois difficile, faire de la
Wallonie une région où le développement économique et technologique, la
solidarité avec les moins favorisés ainsi que la transmission aux générations
futures d'un patrimoine préservé, ne seront pas de vaines paroles. Ainsi, Guy
Spitaels inscrit son action future dans un projet pour la Wallonie où se marque
en premier lieu la volonté du gouvernement wallon de contrecarrer le
développement d'une société duale entre riches et pauvres, nationaux et
immigrés. Pour le Président de l'Exécutif, les instruments de la lutte contre
l'exclusion sociale passent par une coordination en matière de logement, de
promotion de l'emploi, d'aménagement du territoire, d'énergie et de transport en
commun, de pouvoirs locaux et de politique économique. Certes, malgré les
espoirs dont il est porteur tant dans le mouvement wallon que dans la majorité
gouvernementale wallonne, cet élan n'est pas unanime. Le 8 février, le chef de
groupe PRL au Conseil régional wallon estimant que l'Etat wallon est une
illusion lyrique, réactive sa proposition de décret relative à l'exercice par
les organes de la Communauté française des compétences des organes de la Région
wallonne.
C'est avec force que, de
son côté, le mouvement Wallonie Région d'Europe, tenant ses assises à
Liège le 17 avril 1992, en présence de Robert Collignon, Jean-Maurice Dehousse
et de son président José Happart, s'oppose à toute dérive nationaliste et
s'insurge contre la tentative d'usurpation de la revendication wallonne par l'extrême-droite.
C'est Agir qui est visé. Ainsi, pour Wallonie Région d'Europe -
qui revendique d'ailleurs le droit de vote pour tous les habitants majeurs en
Wallonie pour les élections communales et régionales - sont de Wallonie tous
ceux qui habitent en Wallonie.
Le Gouvernement central
qui se met en place début mars 1992 sur base d'un accord CVP- PS-PSC-SP avec un
programme dit d'urgence annonce son intention d'engager un nouveau dialogue de
communauté à communauté non seulement avec les représentants des partis mais
aussi avec les membres des Exécutifs. L'enjeu : l'élection séparée des Conseils,
la réforme du système bicaméral, l'adaptation du système de financement des
Communautés et des Régions, une nouvelle répartition des compétences fédérales,
le règlement du droit de conclure des traités et la représentation des
Communautés et des Régions dans les insti- tutions internationales, ainsi que la
scission de la province du Brabant. Toutefois, le Gouvernement ne disposant pas
de la majorité qualifiée, un appel a été lancé à la Volksunie et aux écologistes
pour permettre à la coalition parlementaire d'atteindre la barre des deux tiers.
Par la voix de Jacky Morael, les écologistes annoncent que le prix de leur appui
sera le refinancement des communautés mais aussi des régions. Du côté libéral,
Daniel Ducarme s'étonne que l'artisan de la nouvelle coalition ne parle pas de
la régionalisation de l'agriculture qui a pourtant fait l'objet d'une motion
unanime du Conseil wallon.
Le dialogue commence le 6
avril sous la co-présidence de Gérard Deprez et de Hugo Schiltz (VU). Les dix
partis démocratiques ont été invités mais, le 23 juin, ils ne sont plus que sept
autour de la table car le PRL, le PVV et le FDF - qui n'ont pas manifesté la
disponibilité nécessaire et la volonté d'aboutir avec la plate-forme
Schiltz-Deprez - ont été écartés. Pour Jean Gol, "les francophones ont choisi de
combattre moins que la chèvre de M. Seguin [... ] ils se sont couchés pour que
le loup les mange". Ce dernier n'aura pas l'occasion de ce festin : le 10
juillet, les sept constatent leur impossibilité d'aboutir et reportent à plus
tard le dialogue. Néanmoins, le 19 juillet, Albert Liénard, chef de file des
ministres sociaux-chrétiens du Gouvernement wallon répète son souhait de voir le
tourisme, le transport scolaire et la formation professionnelle transférés aux
régions.
Septembre 1992. Alors que
Guy Mathot vient d'estimer, dans son discours d'ouverture des Fêtes de Wallonie
à Seraing, que la solidarité Wallonie-Bruxelles s'exprimera mieux par une
cogestion - par les régions - des matières culturelles et de l'enseignement que
par une survie de la Communauté française , le 7 septembre, le Bureau du PS, par
la bouche de son président Philippe Busquin, propose une nouvelle plate-forme
institutionnelle aux francophones. D'une part, rompant avec le statu quo
prévu jusqu'en 1994 décidé au Congrès des Socialistes wallons à Ans, le PS
propose de ne laisser à la Communauté française que les compétences en matière
d'enseignement, de culture, d'audiovisuel et de recherche scientifique. D'autre
part, Philippe Busquin propose un plan destiné à déléguer l'organisation des
écoles primaires et secondaires du réseau de la Communauté française aux
provinces et communes. La Région wallonne emprunterait environ dix milliards
pour aider la Communauté. Cette somme serait garantie par les bâtiments
scolaires qui lui seraient cédés. Le jour même, au nom du PRL, Jean Gol estime
cette dernière proposition positive car, selon lui, elle assure un financement
de l'enseignement et va dans le sens de la décentralisation que les libéraux ont
toujours souhaitée. Quant à Gérard Deprez, relayant Busquin sur l'institutionnel
mais non sur l'enseignement, il souligne que c'est une idée saine et c'est une
idée sage de vouloir recentrer, d'abord vers les Régions, les compétences qui ne
seront pas exécutées demain par l'Etat national.
Le 19 septembre, à Namur
avant que le Grognon n'étincelle des lumières du spectacle Wallonia
conçu par l'Institut Jules Destrée et consacré à l'identité wallonne, Guy
Spitaels relève les forces et les faiblesses de sa région et annonce aux Wallons
que "Dès lors, nous ne resterons pas indéfiniment là où nous sommes. Nous avons
rôdé des compétences qui en appellent d'autres, connexes et complémentaires,
parce que tout se lie dans la gestion moderne. Nous n'admettrons plus que
restent en friche des gisements de renouveau et d'expansion qui sont à notre
portée". Inaugurant le Perron liégeois restauré le 26 septembre à Liège, Robert
Collignon se déclare peu impressionné tant par les accusations flamandes d'une
Wallonie vivant au crochet de la Flandre que par les menaces de séparatisme :
Dotée d'un Gouvernement, d'un Parlement, de décrets et d'un budget propres, la
Wallonie possède aujourd'hui les instruments de sa dignité retrouvée, de son
émancipation et de son redressement. [...] la Wallonie, loin d'être une
perpétuelle assistée, est prête à prendre ses responsabilités dans le domaine de
l'enseignement sans tendre la main du mendiant. Tandis que Jean-Luc Dehaene
tente de sauver son Gouvernement en négociant avec les présidents de parti des
solutions pour la réforme de l'Etat et le budget 1993, la Fête de la Communauté
française donne l'occasion à la Présidente du Conseil, la carolorégienne
Anne-Marie Corbisier, et au Ministre-Président de l'Exécutif de la Communauté
française Bernard Anselme, de réclamer une fois encore le refinancement des
Communautés et des Régions. Néanmoins, tandis que la présidente appelle des
changements structurels qui aillent dans le sens d'une clarification des
pouvoirs pour le citoyen, le Ministre-Président déclare : Gaston Eyskens a dit,
en 1970, "L'Etat unitaire est dépassé par les faits. Moi, je vous dis que la
Communauté française - en son état actuel - est aujourd'hui dépassée par les
faits".
Un accord intervient à la
Saint-Michel (le 28 septembre 1992). Il s'agit d'une avancée fédéraliste où l'on
perçoit, comme l'indique Jean-Maurice Dehousse, la dynamique régionale à plein
régime. En effet, dans la proposition, la Région wallonne se voit octroyer
l'autonomie constitutive, des conseils élus sur une base régionale, tandis que
des compétences seront transférées vers les régions, en matières de commerce
extérieur, d'agriculture ainsi que des lois organiques des pouvoirs locaux. Pour
Robert Collignon, "cet accord, c'est Ans plus ! Le fédéralisme des Régions a
triomphé du fédéralisme communautaire". De son côté, Wallonie Région d'Europe
salue l'accord tout en regrettant que l'enseignement n'ait pas été régionalisé
et en continuant à revendiquer le transfert aux régions de la coopération au
développement, du secteur public du crédit et des compétences résiduaires. En
fait, la surprise est venue des sociaux-chrétiens qui, à l'initiative de Gérard
Deprez et du Ministre communautaire Michel Lebrun, ont, lors de leur comité
directeur du 19 octobre, abandonné le principe de la fusion devant le fait
régional au profit d'une reconfiguration ou "recepage" de la Communauté.
Cependant, cette opération sera coûteuse pour la Région wallonne qui apporte
déjà à la Communauté française, en 1992, 2,4 milliards de francs et 1,2 milliard
en 1993. En effet, le mécanisme imaginé dans le cadre du plan Busquin prévoit
que les bâtiments de la Communauté seront rachetés par la Région, via un
emprunt, ce qui implique que, à partir de 1995, la Wallonie verserait 4
milliards par an pour ces bâtiments.
Dans la nuit du 30 au 31
octobre 1992, l'accord de la Saint-Quentin est conclu à Val- Duchesse entre les
partis de la majorité du Gouvernement fédéral et les écologistes, sous l'égide
du Premier Ministre. Cet accord prévoit la révision de la loi de financement de
1988 contre laquelle certains au PS s'étaient jadis insurgés, en adaptant, à
partir de 1994, le montant global de la partie du produit de l'impôt sur les
personnes physiques à la croissance du produit national brut. De plus, pour
1993, une enveloppe de 4,5 milliards complémentaires sera accordée aux
communautés. Dès lors, la Saint-Quentin ouvre la porte de la majorité qualifiée
au Gouvernement Dehaene pour réaliser sa nouvelle réforme de l'Etat. En outre,
le PS, le PSC et Ecolo ont déterminé, ce même 31 octobre, les grands axes des
transferts de compétences de la Communauté française à la Région wallonne et à
la Commission communautaire française de la Région bruxelloise, les deux partis
de la majorité gouvernementale wallonne s'étant engagés à assurer jusqu'en 1999
une croissance annuelle moyenne de 1% en termes réels des moyens financiers
affectés par l'ensembles des pouvoirs publics au financement des compétences
actuelles de la Communauté française... Enfin, comme l'indique le Ministre
fédéral de la Politique scientifique Jean-Maurice Dehousse, qui est, avec le
Premier Ministre Jean-Luc Dehaene, l'artisan de la réforme institutionnelle,
l'obtention de l'autonomie constitutive que l'on va confier aux conseils de
régions et de communautés, c'est l'embryon d'une constitution régionale, le
signe de l'accélération du fédéralisme. Mais, même parmi les signataires de
l'accord, certains restent méfiants. Le 16 novembre, Jacky Morael déclare qu'il
se considérait comme "régionaliste" mais, poursuit-il, "quand je vois la dérive,
la mégalomanie, la réécriture de l'histoire, l'appel au "peuple wallon" auxquels
on assiste dans le sud du pays, je redoute la naissance d'un effrayant
nationalisme populiste".
La visite éclair de Guy
Spitaels à Paris en janvier 1993 et ses rencontres avec François Mitterand,
Raymond Barre et Michel Rocard ont constitué l'occasion d'envisager des liens
privilégiés entre la France et la Wallonie, comme ceux que la République
entretient avec le Québec. Il n'est d'ailleurs pas indifférent que Michel Rocard
ait explicitement posé la question d'une Délégation générale de la Wallonie à
Paris. Le 13 janvier, en inaugurant les nouveaux locaux du PRL à Bruxelles, Jean
Gol salue l'initiative de Guy Spitaels envers la France mais, en prenant le
contre-pied, il appelle au renforcement de la Nation en devenir que forment les
francophones de Belgique.
Le 19 janvier 1993, la
Commission des Réformes institutionnelles de la Chambre entame la discussion de
l'article 59 quater, concernant les élections directes des Conseils dont les
membres seront élus pour cinq ans et du 59 quinquies qui permettra à la
Communauté française, à la Région wallonne et à la Commission communautaire
française de Bruxelles de décider de commun accord le transfert de compétences
de la Communauté vers la Wallonie et Bruxelles. L'enjeu est considérable et
polarise le monde politique. Ainsi, pour le député Valmy Féaux, Président des
socialistes wallons, l'autonomie constitutive aux entités fédérées est
l'aboutissement concret d'une revendication vieille de trente ans et représente
la clef de voûte de cette réforme [...] Les Wallons peuvent ainsi donner, comme
ils le veulent, la priorité aux régions. De son côté, Jean Gol le considère
comme le plus inacceptable de la Saint-Michel. C'est donc après un débat houleux
avec l'opposition libérale qui s'est véritablement emparée de la tribune qu'il
est voté à la Chambre le 10 février 1993. Le Sénat l'inscrit dans la
Constitution le 23 avril.
Le 24 avril, le
Parlement, Chambre et Sénat, a fermé le chantier institutionnel. La Belgique est
devenue un Etat fédéral jusque dans les textes puisque l'article 1er l'a
consigné. Le 5 mai, les textes de la Saint-Michel sont publiés au Moniteur.
"Après vingt-trois ans d'errances apparentes et de cohérences masquées", peut
écrire le constitutionnaliste Marc Uyttendaele, "le fédéralisme du possible à la
belge commence tout doucement à ressembler à un système fédéral normal". Le 4
juin, un nouvel accord entre PS, PSC et Ecolo permet un refinancement de la
Communauté française. Celle-ci, réduite à l'enseignement, la culture et
l'audiovisuel, recevra 60 milliards d'argent frais des deux régions, de 1993 à
1996. Ainsi, le 25 juin 1993, le Conseil de la Communauté française vote le
décret organisant le transfert des bâtiments scolaires du réseau de la
Communauté aux régions wallonne et bruxelloise. Quant à la loi spéciale de
réforme institutionnelle, elle est adoptée le 14 juillet. Trois jours plus tard,
le Conseil régional wallon vote les accords de la Saint-Quentin par 79 voix
contre 11 et une abstention. Pour Jacques Lefèvre, chef de groupe PSC, dans la
course de vitesse entre séparatistes et fédéralistes, les fédéralistes ont
gagné. Et d'évoquer les figures du Chanoine Leclercq, de l'Abbé Mahieu et d'Elie
Baussart ! De son côté, dans un communiqué diffusé le 20 juillet, le Parti
socialiste estime que la réforme répond, quatre-vingts ans plus tard, aux
espérances de ceux qui figurent, avec Jules Destrée, parmi les éveilleurs de la
conscience wallonne : notamment, Georges Truffaut, André Renard, Freddy Terwagne,
et André Cools.
Le débat portant sur les
compétences n'est pourtant pas clos. Le 13 mai, le secrétaire général de la CGSP
Enseignement, Jean-Marie Ansciaux, a relancé le débat par ce que Le Soir
appelle déjà "le scénario du pire", c'est-à-dire la régionalisation de
l'enseignement, défendue aussi par Englebert Renier qui souligne que, si nous
voulons créer les conditions du renouveau de la Wallonie, nous devons maîtriser
toutes les fonctions sociales de notre région. L'un et l'autre sont appuyés par
Jacques Fostier, Secrétaire général de l'Interrégionale wallonne de la FGTB qui
estime que la régionalisation de l'enseignement est dans l'ordre des choses et
rentre dans une structure fédérale à trois régions. Dans La Wallonie du
19 mai 1993, José Happart rejoint les syndicalistes en estimant que
l'enseignement maternel, primaire, secondaire et l'enseignement supérieur court
doivent être de compétences régionales tandis que l'enseignement universitaire
et para-universitaire doit être coorganisé, cofinancé et cogéré par la Région
wallonne et la Cocof. De même, José Happart préconise la scission de la Rtbf.
C'est aussi contre la Rtbf que Jean-Claude Van Cauwenberghe s'insurge en
évoquant le recul de l'identité wallonne que constitue la suppression des
émissions régionales à la Rtbf. Quelques semaines plus tard, c'est dans le même
sens que le journaliste liégeois de la Rtbf Guy Fontaine rappelle que, au regard
de l'information institutionnelle, l'information régionale - si on l'entend
comme information de la région... wallonne - n'existe plus qu'en modèle réduit.
Sans doute, ajoute-t-il, s'agit-il d'un autre débat qu'il faudra bien ouvrir un
jour pour déboucher sur des initiatives nouvelles.
Rompant la morosité
politique des
Fêtes de Wallonie namuroises encore marquées par le décès du Chef de l'Etat
belge et une exacerbation du nationalisme belge déjà battu en brèche par les
Flamands à la tour de l'Yser fin août, c'est de Charleroi que proviennent les
appels à aller plus loin dans les transferts de compétences. En effet, le 24
septembre 1993, Jean-Claude Van Cauwenberghe réclame une meilleure cohérence
entre la Wallonie économique et ses leviers de formation et de culture. De même,
le Bourgmestre de Charleroi exige que l'on fasse tout pour éviter que la Région
wallonne soit un Etat nation en réduction qui aurait plus de chances de
favoriser l'inquisition administrative que d'accroître les libertés civiques. Le
matin même, le Président de l'Institut Jules Destrée, Jean-Pol Demacq,
s'exprimant au monument à Arille Carlier, avait souligné les aspirations du
mouvement wallon : "notre enseignement, notre télévision, nos propres moyens
d'appréhender notre culture et notre histoire ainsi que de participer, sous
notre nom propre de Wallons, à la civilisation française, européenne et
universelle. Si nous n'obtenons pas les conditions de cet avenir, craignons que,
longtemps encore, le journal Le Soir
puisse, comme il l'a fait ce 20 septembre, nous qualifier de peuple sans
passé à l'avenir incertain ".
Douze jours à peine après
l'entrée en vigueur du Traité de Maastricht, le Premier Conseil informel de la
Politique régionale et de l'Aménagement du territoire se tient à Liège les 12 et
13 novembre 1993, sous la présidence de Guy Spitaels. C'est l'occasion pour le
Chef du Gouvernement wallon de souhaiter la mise en place rapide du Comité des
régions où doivent siéger deux représentants de la Région wallonne. Cette
inscription de la Wallonie dans l'Europe en construction, tout comme
l'aboutissement des efforts pour persuader la Commission européenne d'aider
prioritairement des parties importantes de la Région illustrent bien le propos
de Guy Spitaels, lorsqu'il souligne le 23 novembre que le mouvement des faits a
modelé les contours d'une autonomie régionale, cohérente. Présentant une
déclaration complémentaire de politique régionale, pour traiter en termes
d'objectifs les nouvelles compétences qui seront transférées à la Région le 1er
janvier 1994, Guy Spitaels donne la mesure de la réforme en matières de commerce
extérieur, tourisme, recherche, action sociale, agricole, etc. Enfin,
annonce-t-il, la Région accède à la souveraineté internationale pour les
gestions dont elle a la charge. La Wallonie peut conclure des traités. Dès le 11
décembre, le Ministre Robert Collignon annonce qu'il va utiliser pour la
première fois cette prérogative en déposant sur la table du conseil le projet de
décret ratifiant la Convention de Paris pour la protection du patrimoine
mondial, culturel et naturel, en notant que la Belgique est un des rares pays
d'Europe et de la planète à ne pas avoir ratifié cette convention.
Plus d'un an après la
demande pressante de Daniel Ducarme pour que son parti n'oublie pas l'Appel
aux Wallons de Jean Rey - "moi, je reste fidèle à ce message de Jean Rey" -
les libéraux semblent l'avoir entendu puisque le samedi 20 janvier 1994, le PRL,
qui depuis septembre 1993 s'est rapproché du FDF, réunit son comité permanent à
Waterloo pour entendre des projets régionaux présentés respectivement par Hervé
Hasquin et Serge Kubla. Jean Gol, qui doit présider la nouvelle Assemblée des
délégués des fédérations wallonnes annonce que les libéraux montreront ainsi
leur attachement à la Wallonie, à quelques jours du cinquantième anniversaire du
grand libéral et du grand Wallon que fut François Bovesse.
Le vendredi 21 janvier
1994, avec la même surprise pour les observateurs que celle qui avait marqué son
arrivée à la présidence du Gouvernement wallon, Guy Spitaels renonce à ses
fonctions ministérielles. Quelques instants plus tard, Guy Mathot fait de même.
Avec le Vice-Premier Ministre fédéral Guy Coëme, ils sont emportés dans la
tourmente d'une affaire judiciaire relative à l'achat des hélicoptères Agusta
pour le Ministère fédéral de la Défense et remontant à fin 1988. En effet,
soupçonnés d'avoir participé à un financement occulte du Parti socialiste, ils
faisaient tous trois l'objet, depuis le 20 décembre, d'une demande de levée de
leur immunité parlementaire aux titres respectifs d'ancien Ministre de la
Défense (Guy Coëme), d'ancien Président du Parti socialiste (Guy Spitaels) et de
Sénateur (Guy Mathot). Albert Liénard, vice-président PSC du Gouvernement wallon
estime qu'il ne faut pas qu'une affaire extérieure vienne compromettre le
fonctionnement de l'institution wallonne.
Assurément, le choc est à
la mesure de l'espérance que Guy Spitaels avait insufflée lors de son arrivée à
Namur. Mais, comme le souligne l'éditorialiste Joseph Coppé, "la démocratie,
quand elle est exercée par des hommes de bonne volonté, n'est pas le système
affaibli ou décadent que certains observateurs ont voulu décrire. Après la
tourmente, elle reprend vite ses droits". Ainsi, une nouvelle équipe est mise en
place. Aux partisans de l'identité wallonne que furent les ministres Guy
Spitaels et Guy Mathot succèdent les régionalistes Bernard Anselme et Willy
Taminiaux, tandis que Robert Collignon est appelé à assumer les fonctions de
président du Gouvernement wallon.
Dans la déclaration qu'il
fait le 9 février 1994 devant l'Assemblée wallonne encore sous le choc, Robert
Collignon se dit conscient que, "dans un contexte particulièrement éprouvant,
[...] on observera nos résultats sans complaisance. Mais la Wallonie a besoin de
lucidité et d'efficacité, et non d'un discours qui occulterait tant ses réels
redressements que ses faiblesses structurelles".
Conclusion
Un séminaire de
l'Assemblée des Régions d'Europe a été consacré au Fédéralisme, en janvier 1992.
A cette occasion, Philippe Suinen inventoriait les éléments favorables à un
fonctionnement démocratique, proche du citoyen et efficace, des régions et
entités fédérées. Parmi ces facteurs, le Directeur général des Relations
extérieures de la Région wallonne relevait la consistance du pouvoir et la
réalité des moyens. Ainsi, la consistance du pouvoir wallon est déterminée par
le caractère exclusif des compétences reconnues à la Région, par l'équipollence
des normes fédérales et des normes fédérées - qui donne la même force juridique
au décret régional qu'à la loi du pouvoir central -, ainsi que par la faculté de
mettre directement en oeuvre, au niveau international, les compétences exercées
par la Région. Quant à la réalité des moyens, elle apparaît clairement par le
relevé des compétences régionales dans les matières vitales au développement. De
plus, elle s'accroîtra considérablement lorsque se réalisera effectivement le
transfert des compétences résiduaires de l'Etat central vers les pouvoirs
fédérés.
Enfin, ainsi que l'a
montré le deuxième Congrès "La Wallonie au Futur", l'avenir du projet régional
est largement lié à la faculté de recherche et de découverte d'un personnel
administratif et politique capable de relever le défi de l'abandon de
souveraineté du pouvoir central. En acquérant un statut d'autonomie
institutionnelle, la Wallonie est confrontée à un double apprentissage. D'abord,
la Région doit être à même d'animer des structures administratives valorisant
l'esprit d'initiative et la responsabilité de ses membres. Ensuite, elle doit
réunir les conditions qui rendent possible la prise en charge par les citoyens
de leur devenir collectif et associatif.
Là sont les enjeux de la
Région. D'ailleurs, une enquête récente de l'Observatoire interrégional du
Politique, organisme français, montre que les régions doivent relever cinq défis
: faire face au recentrage des attentes - particulièrement en matière de
formation professionnelle - maîtriser la fiscalité régionale, devenir un acteur
majeur, secteur où la région est désignée pour préparer l'avenir par son
intervention dans le problème de la formation des jeunes comme dans celui de
l'aménagement de l'espace, préserver l'identité régionale et, enfin, produire de
la mobilisation citoyenne.
Ce dernier point est
fondamental et, comme l'indique l'étude, on approche ici l'un des défis majeurs
que doivent relever les régions, celui de consolider, par l'implication
politique des citoyens, l'édifice d'attitudes extrêmement positives à l'égard du
fait régional qui se sont développées jusqu'ici. C'est assurément de cet espace
public régional où seront débattues les modalités du "vivre ensemble régional"
que la Wallonie a besoin. L'élection directe et séparée de la prochaine
Assemblée wallonne devrait y contribuer grandement. Elle ne pourra pourtant pas
y suffire.
Orientation bibliographique
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