I. Cadre général
La trajectoire historique de l'économie wallonne
L'économie wallonne fut
l'une des plus prospères en Europe au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Marquée
par le grand capitalisme européen, sa croissance est liée à l'industrie plutôt
qu'à l'agriculture, à la grande entreprise - spécialement dans les secteurs "de
base"- plutôt qu'aux petites et moyennes entreprises.
A l'heure de la première
révolution industrielle, la Wallonie disposait en effet de nombreux atouts pour
attirer les investisseurs tentés par les secteurs de pointe de l'époque : les
charbonnages, la sidérurgie et les activités qui en découlent. Ressources
naturelles et savoir- faire de ses ouvriers furent les atouts majeurs à partir
desquels la Wallonie put construire sa prospérité.
La révolution
industrielle marque le développement d'une mécanisation sans précédent, et donc
la croissance d'une demande pour les minerais dont on fait les machines et pour
la houille qui permet non seulement de fondre ces minerais, mais aussi de faire
fonctionner les machines. Les industries du charbonnage et de la sidérurgie sont
liées l'une à l'autre dans la croissance et, pour limiter le coût de transport
de la houille (il en faut sept tonnes pour brûler une tonne de minerai), les
forges vont se localiser à proximité des "fosses". La Wallonie disposant à cette
époque de charbon en suffisance, son industrialisation sera fondée sur ces
industries de base. Ces quelques chiffres en témoignent. De 3 millions de tonnes
en 1831, la production régionale de charbon passa à 23 millions en 1910. Tandis
que le nombre d'ouvriers décuplait sur cette même période, la production de
machines à vapeur passait quant à elle de 309 en 1830 à 13.361 en 1910.
L'autre atout majeur de
la Wallonie fut sans conteste, et pour longtemps, le savoir-faire des ses
ouvriers et le dynamisme de ses ingénieurs. Des siècles de labeur, dans
l'extraction de la houille et le travail du fer notamment, avaient forgés une
main d'oeuvre dont l'intelligence et l'habileté étaient reconnues à travers
l'Europe. Les débuts de la sidérurgie et de l'orfèvrerie wallonnes remontent à
l'an mille. Connaissant les mérites des fameux "fèvres wallons", le roi de Suède
organise au XVIe siècle leur immigration pour construire l'industrie du fer dans
son royaume.
Cette tradition est à la
source d'une créativité débridée parmi les ingénieurs wallons. En 1862, le
Luxembourgeois Lenoir réalisa un prototype du moteur à explosion qui fit la
fortune du pétrole et des constructeurs automobiles. En inventant la dynamo, le
liégeois Gramme permis l'utilisation de l'électricité dans des applications à
grande échelle (industrie, transports, villes,...) et fut de ce fait à l'origine
de la seconde révolution industrielle. Et la liste pourrait être longue : c'est
à la même époque qu'un ingénieur du nom de Solvay (du Brabant wallon) invente le
procédé de fabrication de la soude à partir de l'amoniaque tandis qu'en 1902
Fourcault étirait mécaniquement une feuille de verre dont le procédé fit la
renommée de l'industrie verrière carolorégienne.
Poussée par ce dynamisme,
l'économie wallonne va totalement changer de visage en l'espace d'un demi-siècle
: encore dominée par l'agriculture en 1856 (339.356 emplois, soit 44% du total
wallon, contre 310.360 emplois industriels qui représentaient 39% de l'emploi
total), elle se tourne résolument vers l'activité industrielle au cours de la
seconde moitié du XIXe siècle.
Graphique n° 1. Répartition sectorielle de
l'emploi en Wallonie (hors arrondissement de Nivelles) pour les années 1856 et
1910
Le graphique n° 1
illustre parfaitement cette évolution historique : en 1910, l'emploi industriel
a doublé pour atteindre 664.060 unités. Il représente de ce fait 53% de l'emploi
total wallon contre 13% laissés à l'activité agricole dont l'emploi a chuté de
moitié. Au même moment, en Flandres, l'agriculture représente encore 20% de
l'emploi total contre 44% à l'industrie.
Sur le plan européen, la
précocité du développement industriel de la Wallonie est étonnante. D'un point
de vue géographique, on voit se profiler très tôt le fameux "Sillon industriel
wallon" appelé aujourd'hui "le Sillon Sambre-et-Meuse". A la manière d'un
"croissant fertile" basé sur la pré industrie de la houille et du fer,
l'industrialisation de la Wallonie s'est essentiellement concentrée autour des
gisements de houilles localisés dans le sillon Sambre-et-Meuse, et plus
particulièrement dans les provinces de Liège et de Hainaut. Les provinces de
Namur et de Luxembourg ont quant à elles conservés leur caractère
essentiellement rural en se ménageant toutefois chacune un pôle industriel : la
Basse-Sambre à quelques kilomètres de Namur, et pour le Luxembourg la région d'Athus
qui a vu se développer l'activité métallurgique dans le prolongement de
l'expansion de la Lorraine française et du Grand Duché de Luxembourg.
D'autres pôles se
développent dans des branches plus ou moins proches de la métallurgie : la
fabrication de fusils et de vélos à Herstal, l'industrie textile dans les
régions de Verviers et de Tournai, la verrerie le long de la Sambre.
Un dernier aspect à
souligner à propos de l'industrialisation de la Wallonie. Les activités de la
sidérurgie et des houilles exigeaient des capitaux considérables : d'abord pour
acheter les machines, ensuite pour faire face à la concurrence grandissante qui
imposait une réduction des coûts de production par une plus grande
concentration. La capacité de financement du "capitalisme familial" étant trop
faible, la porte était ouverte pour l'arrivée des grands groupes financiers
belges et européens à la direction du processus d'industrialisation. C'est ainsi
que l'économie wallonne sera gérée par des capitalistes soucieux de leur intérêt
au plan national, puis international et non directement de l'avenir de la
région.
A l'aube du XXe siècle,
l'économie wallonne présente donc les caractéristiques suivantes :
-
tirant profit de ses
ressources naturelles et du savoir-faire de sa main d'oeuvre, elle est
dominée par la grande entreprise dans l'industrie du fer et de la houille;
-
elle se trouve à la
pointe du progrès technique, tant sur le plan de la recherche que sur celui
de l'innovation industrielle;
-
elle est ouverte sur
le monde où elle écoule une part importante de sa production;
-
elle est dirigée de
l'extérieur par le capitalisme belge et progressivement international.
Ce profil brillant
comporte cependant les germes d'un déclin irrémédiable qui commencera dès
l'entre-deux-guerre. L'économie wallonne est un colosse au pied d'argile. Au
cours du XXe siècle, une série de facteurs viennent perturber ce cycle
"vertueux" :
-
les ressources
naturelles s'épuisent, il devient de plus en plus coûteux de les extraire et
les premiers puits ferment en 1958 : le rendement journalier d'un mineur
wallon est en 1965 de 1.577 kilos contre 2372 kilos pour l'ensemble de la
Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier;
-
d'autres ressources
naturelles doivent être importées par mer et arrivent via le port d'Anvers,
ce qui avantage la localisation des activités en Flandre;
-
bénéficiant de coûts
moindres, la concurrence des pays d'Europe occidentale et orientale pour la
fourniture de biens industriels "de base" devient insoutenable au fil des
ans;
-
la production se
cantonne en "amont" des filières de production sans se diversifier dans les
produits finis.
Les grandes entreprises
sont touchées de plein fouet. Jusque là confinées dans la sous- traitance, les
petites entreprises ne sont pas prêtes à prendre le relais. Pendant un temps
trop long les décideurs économiques, sociaux et politiques adopteront des
stratégies qui se révéleront néfastes pour la Wallonie : tandis que le capital
international se détourne progressivement d'une région dont la prospérité se
trouve compromise, les pouvoirs publics, gestionnaires et syndicats
engloutissent les deniers publics dans des investissements de type défensif qui
ne font que retarder l'échéance d'inévitables fermetures et restructurations.
Dans ce contexte, la
crise sidérurgique survint mal à propos et entraîna dans son sillage une série
d'activités industrielles connexes. L'offre d'emploi chuta brutalement. Le
chômage commençait ses ravages au sein de la population active wallonne.
Dans le même temps,
l'incontournable mécanisation de l'agriculture entraîna la disparition des
exploitations de petite taille, et de ce fait, l'emploi disponible dans ce
secteur.
La Wallonie face aux nouvelles réalités économiques
Les problèmes régionaux
d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'hier. La Wallonie doit depuis une décénnie
faire face à une série de phénomènes récents et interreliés qui constituent un
défi pour les entrepreneurs, les politiques, les chercheurs et les travailleurs
wallons. La manière dont les régions répondent aujourd'hui à ce défi détermine
en effet la redistribution spatiale des activités et de la croissance.
Il n'est donc pas inutile
de tracer en quelques lignes les mutations qui déterminent
l'environnement de la Wallonie productive d'aujourd'hui . La globalisation de
l'économie qui place les régions dans un cadre décloisonné et mondial. Une
rupture de l'ancien paradigme techno-industriel qui modifie radicalement le
processus de production. L'émergence de la recherche développement et des
facteurs immatériels qui constitue une toute autre donne dans la création des
avantages comparatifs des régions les unes par rapport aux autres.
1. La globalisation de l'économie
Autrefois, on parlait
d'internationalisation, d'économie entre nations. Tous les capitalismes
industriels, construits à la fin du siècle dernier, étaient basés sur des
économies nationales, elles-mêmes basées sur des grands secteurs nationaux
contrôlés par des banques nationales, par des grands groupes financiers
nationaux et réglés par des Etats nationaux. Les Etats pouvaient intervenir
puisque l'économie était organisée sur l'espace national. Les entreprises
vendaient leurs produits sur le marché national d'abord et sur le marché
extérieur seulement après saturation du marché intérieur. Partant de l'économie
domestique, les entreprises accédaient au marché national puis international.
Ce système est terminé;
maintenant, l'entreprise va d'emblée au niveau mondial. A titre d'exemple, on
relance une beurrerie en fabriquant de la poudre de lait de haute qualité pour
bébés et l'étude de marché révèle que le produit est trop cher en Europe mais
qu'il peut se vendre au Japon. C'est la globalisation de l'économie : le marché
d'une entreprise n'est pas nécessairement dans son pays, il peut se trouver dans
n'importe quelle partie du monde.
A l'inverse, un marché
autrefois protégé de la concurrence étrangère peut, du jour au lendemain, être
couvert par une firme coréenne, hongroise ou canadienne. Cette concurrence
accrue demande donc dans le chef des investisseurs wallons une recherche
constante de l'optimalité et de la performance pour garder ses parts de marchés
et pour en conquérir de nouvelles.
2. Le nouveau processus de
production
L'Europe favorise l'accès
des entreprises au marché mondial en créant un marché intérieur. Ce qui rend la
globalisation de l'économie plus performante, c'est la manière de produire en se
servant des technologies. Autrefois, l'avantage provenait des ressources
matérielles abondantes. L'important était d'avoir la capacité technique de
transformer la matière première en produits. D'où l'importance de la formation
technique; les ingénieurs et les techniciens dominaient l'économie. Le processus
était maîtrisable; les mutations s'opéraient dans le temps, l'introduction des
techniques se réalisait sur plusieurs années. Les cycles de vie d'un produit
pouvaient durer dix ans. Beaucoup d'entreprises fonctionnent encore sur ce
schéma.
Maintenant, c'est le
rapport entre la science et la technologie et non la technique, qui fait le
produit. Les résultats de la recherche fondamentale introduisent des
possibilités de fabriquer directement des nouveaux produits. Par exemple, en
créant de nouveaux matériaux, on construit des maisons où n'entrent plus les
briques d'argile.
C'est ainsi la maîtrise
du trio "science-technologie-marché" qui permet à une entreprise wallonne de
fabriquer, à usage des hôpitaux nord-américains, les accélérateurs de particules
(mini-cyclothrons) utilisés là-bas pour le traitement du cancer.
3. La recherche-développement
La science a développé
des domaines qui, de plus en plus, influent sur la production : céramiques,
biotechnologies, pharmacie génétique, télécommunications sont les domaines-clefs
de la recherche-développement. Elle nécessite des capitaux qui ne sont pas
toujours disponibles et ne se rentabilisent pas forcément. La recherche pour le
goût de yogourt a coûté 720 millions de francs qu'il a fallu dépenser avant la
fabrication du produit. Il faut beaucoup d'argent dans la phase de création d'un
produit, mais, au moment où il est rentable sur le marché, il faut déjà investir
dans la création de son remplacement; et cela de façon continue, ce qui aboutit
à multiplier le nombre de produits sur une période courte.
La capacité de
recherche-développement renforce les disparités entre les régions, ce qui
amplifie les problèmes de cohésion. Les entreprises allemandes investissent en
recherche- développement, quarante fois plus que les entreprises grecques.
L'écart entre la Grèce, le Portugal et l'Allemagne est de 1 à 11. Mais si on
enlève Athènes et Lisbonne, l'écart est de 1 à 44 !. Si la
recherche-développement impulse la croissance, la disparité entre régions n'est
plus relative aux matières premières mais à la recherche et au développement
technologique.
A l'intérieur de la
Communauté européenne ce sont les régions "locomotives" qui passent des accords
de coopération technologique entre elles : c'est le cas de la Lombardie, du
Bade- Wurtenberg, de la région Rhône-Alpes et de la Catalogne. Très intimement
liée à la prospérité des régions et au niveau de vie de leurs citoyens, le
potentiel de Recherche/Développement devient une question centrale de la
cohésion socio-économique européenne et pose le problème de la solidarité
économique et technologique entre les régions prospères et les régions
défavorisées.
4. Les facteurs immatériels
La prédominance des
facteurs immatériels sur les facteurs matériels dans la croissance économique
est un nouveau paradigme. Par facteurs immatériels, il faut d'abord comprendre
la science et la technique. On doit se préoccuper de ce que l'on veut faire. La
science a des possibilités fabuleuses. La question posée est celle de l'éthique
scientifique. Le problème ne se trouve plus du côté de l'offre mais de la
demande, et nous sommes concernés ! Le rapport entre la science-technologie et
les besoins humains devient primordial; c'est un problème tout à fait culturel.
Par facteurs immatériels,
il faut comprendre encore l'intelligence et les ressources humaines de la
collectivité. On demande aux gens d'être de plus en plus intelligents, de faire
fonctionner leur matière grise de mieux en mieux. On n'a plus besoin de gens qui
savent faire une belle pièce mécanique. Il y a des robots qui fabriquent des
robots. Un homme ne peut pas faire un robot, ses yeux n'en sont pas capables.
L'homme conçoit le robot, il doit le commander. Quand on parle de matière grise,
il s'agit de l'homme et c'est sa capacité intellectuelle et d'initiative qui
prime. C'est une clef qui ouvre des possibilités inouïes.
Jusqu'à la fin des années
septante, les facteurs matériels (matières premières, réseaux de transports,
disponibilité de terrains industriels, ...) ont été les principaux déterminant
de la localisation des activités productives.
Devenus beaucoup plus
mobiles et/ou également disponibles à travers l'espace, ces facteurs sont
aujourd'hui supplantés par l'immatériel, finalement par ce qui détermine la
spécificité d'une région et qui - par définition - reste lié au territoire : le
savoir-faire de la main d'oeuvre, le dynamisme entrepeneurial et public, la
qualité d'un environnement naturel, la valeur des systèmes de formation et de
recherche.
5. Ainsi se façonne l'économie
européenne
La dynamique du global et
du local n'est pas une contradiction pour l'économie européenne. Les entreprises
considèrent que si la technologie et l'argent sont
mobiles, les gens ne le sont pas. Elles doivent se localiser. D'où des
mutations extraordinaires au niveau territorial; suite à l'amorce de
l'achèvement du Grand Marché intérieur, ces mutations ne concernent pas
seulement les grandes entreprises, mais aussi les petites. La croissance est
faite de 20 % provenant des technologies dues à la science, et de 80 % venant de
la capacité des entrepreneurs à intégrer les nouvelles technologies dans
leurs produits. Demain, cette capacité sera à la portée de n'importe quel
industriel.
La mutation de l'économie wallonne
Il est correct d'affirmer
que la Wallonie est en train de réussir l'adaptation de son tissu productif aux
nouvelles réalités du monde économique que nous venons de décrire :
globalisation, rupture dans le mode de production, avènement des facteurs
immatériels. Mais il importe de relever que cette mutation se réalise dans un
processus évolutif et qu'il est plus juste de parler d'étape de transition
plutôt que de renouveau économique.
Plus concrètement, il
serait judicieux de distinguer dans cette étape de transition deux phases
d'adaptation.
-
Une première qui a
consisté en une restructuration des industries traditionnelles par la
recherche d'une plus grande productivité sans modifier fondamentalement
l'appareil de production. Cette phase a constitué l'essentiel des politiques
industrielles mises en place tant au niveau national que régional au cours
de la période 70-80.
-
Une seconde phase de
réelle reconversion du tissu productif qui à la fois réoriente les
industries traditionnelles (sidérurgie, verre, fabrications
métalliques,...), mais aussi tend à une diversification accrue des activités
vers des secteurs à haute valeur ajoutée tels que l'industrie
pharmaceutique, les plastiques, les arts graphiques,...
1. La restructuration des
industries traditionnelles
A l'heure d'affronter la
récession des années septante et du début des années quatre- vingts, la Wallonie
était encore beaucoup trop dépendante de ses secteurs traditionnels. Les grandes
entreprises des secteurs métal - mécanique pesaient non seulement par la place
qu'elles occupaient dans l'emploi et la production régionale, mais aussi et
surtout par la dépendance qu'elles avaient créée vis-à-vis de tout un réseau de
PME sous-traitantes dont elles étaient les seules clientes.
Graphique n° 2. Répartition sectorielle de
l'emploi en 1975 - Wallonie et Royaume (en %)
Ainsi le graphique n° 2
illustre très bien la spécialisation sectorielle de l'industrie wallonne du
début des années septante, les filières dans lesquelles la spécialisation
étaient alors la plus manifeste étant précisément les filières les plus
traditionnelles. En 1975, la métallurgie représentait encore 23% de l'emploi
industriel contre 10% au niveau national; la filière des Bâtiments et Travaux
publics (BTP) 12% contre 7%; les biens d'équipements 23% contre 16%. Ces trois
filières traditionnelles représentaient donc encore 58% de l'emploi industriel
wallon en 1975 tandis qu'elles ne pesaient plus que 33% au niveau national !
Certes, cette
spécialisation est le propre des régions européennes de tradition industrielle
telles que le Nord-Pas-de Calais (France), le Pays Basque (Espagne), le
Strathclyde et le South Yorkshire (Grande-Bretagne) ou la Nord-Rhein Westphalie
(Allemagne). Mais par comparaison à ces cinq autres régions, un handicap
supplémentaire a longtemps gêné la reconversion de l'économie wallonne : sa
spécialisation dans l'amont des filières, c'est-à-dire dans les produits
semi-finis qui contiennent beaucoup moins de valeur ajoutée que les produits de
l'aval des filières qui, eux, sont proches des marchés et peuvent générer de
plus grandes marges bénéficiaires. Le graphique n 3 illustre cette spécificité
wallonne.
Graphique n° 3. Répartition de l'emploi
industriel sur les stades de production (1986 - 1987)
En comparaison de la
moyenne des six régions européennes de tradition industrielle, la Wallonie
présente un profil beaucoup plus en "amont" des filières industrielles : en
1986-87 encore, 17% du tissu productif wallon se trouvait en amont contre 10%
pour la moyenne des six autres régions. En position "aval" des filières, par
contre, la Wallonie ne concentrait que 38% de son emploi industriel contre 43%
au niveau de la moyenne des six régions de tradition industrielle.
Cette situation est la
résultante des politiques menées face à la récession par les acteurs
économiques, sociaux et politiques en charge des secteurs traditionnels. Leur
première réaction fut de défendre becs et ongles les industries wallonnes de la
métallurgie, du textile et du charbon à travers une attitude de repli
protectionniste. On connaît aussi l'ampleur du gonflement des effectifs dans le
service public : accroissement de 26.640 emplois de 1975 à 1986 (source : ONSS).
A partir des années
quatre-vingts, la crise persistant, il fallut se résoudre à effectuer de
douloureuses restructurations de l'appareil productif : modernisation technique,
dégraissement de personnel, rationnalisation de la gestion,... Mais ce n'est que
dans la seconde moitié des années quatre-vingts qu'un véritable changement de
mentalité s'est opéré dans les secteurs traditionnels (la sidérurgie en
particulier) avec une recherche de nouveaux débouchés, une diversification de la
production, des innovations de produits et un cheminement progressif vers l'aval
des filières.
En attendant cette
évolution des mentalités, la combinaison des effets de la récession économique
et des politiques, d'abord défensives puis de rationnalisation, eut un impact
économique et social très marqué. Quelques chiffres indicatifs montrent l'effet
disruptif de ces politiques pour la Wallonie productive.
Le graphique n° 4
illustre l'ampleur du déclin industriel wallon et son impact sur l'emploi au
cours de ces années 1980-86
Graphique n° 4. Variation de l'emploi
industriel wallon par filières entre 1980 et 1986.
Les filières métal,
bâtiments et travaux publics et électronique perdent respectivement 26.129,
8.995, et 14.606 emplois sur une période de six ans : de 1980 à 1986, l'emploi
industriel wallon affiche une perte totale de plus de 59.000 unités ! Les effets
du déclin des secteurs traditionnels traversent toutes les filières, preuve
supplémentaire de la trop grande dépendance de l'économie wallonne par rapport à
des méga-industries.
Cette importante baisse
de l'emploi au cours des années septante et quatre-vingts a causé un très net
accroissement du chômage.
Graphique n° 5. taux de chômage de la
Wallonie et du Royaume pour 1982 - 1994.
A partir de 1982, le taux
de chômage wallon dépasse les 18% de la population active (23% en 1985 !). La
première moitié des années quatre-vingts constitue une véritable rupture de la
Wallonie par rapport au reste du pays : alors qu'en Flandre les activités se
diversifient et se développent, la Wallonie n'en finit pas de rationnaliser, de
licencier, de bloquer l'embauche dans le secteur public (qui jusqu'ici avait
plus ou moins bien masqué les carences des secteurs productifs marchands).
Dès lors on voit le taux
de chômage wallon décoller très nettement de la moyenne nationale, et ceci
quelles que soient les embellies conjoncturelles : entre 1985 et 1990, le taux
de chômage wallon diminuera sans se rapprocher du niveau national. Le graphique
n° 5 indique donc très clairement que le chômage wallon est, beaucoup plus qu'au
niveau national, lié à la structure même de son économie, ses inerties et sa
fragilité.
Les stratégies
d'accroissement de la productivité poursuivies dans un premier temps par les
grandes entreprises wallonnes se sont également traduites par une diminution de
la contribution régionale au PIB national.
Il s'agit d'un autre
indicateur du déclin wallon des années septante et quatre-vingts.
Graphique n° 6. Contribution de la Wallonie
au PIB national (Royaume = 100) : période 1970-1990.
En 1970, la contribution
régionale de la Wallonie au PIB national était encore de 29,1%. Au cours des
vingt ans qui ont suivi, cette contribution n'a cessé de décroître pour
atteindre 26,3% en 1988. Un léger accroissement se dessine à partir de 1988.
Néanmoins, la part qu'a perdu la Wallonie dans le PIB belge la place très en
dessous de son poids démographique dans le Royaume (33% de la population
totale).
Il faut noter que cette
période de transition a été plus longue que pour une région comme le Nord-Rhein
Wesphalie (Allemagne) dont le PIB par habitant se situe aujourd'hui à 11% au-
dessus de la moyenne européenne tandis que la Wallonie se trouve -elle- à 16%...
en dessous de la même moyenne (source : Eurostat).
C'est au milieu des
années quatre-vingts que l'économie wallonne touche le fond. La situation n'est
guère brillante tant sur le plan productif que sur celui de l'emploi.
Certes la structure
historique de l'économie wallonne est l'une des principales causes de ce déclin
: grandes entreprises concentrées dans des secteurs traditionnels, réseau de PME
très dépendant de ces grandes entreprises, fuite des capitaux nationaux et
étrangers,... A cela, il faut cependant ajouter la persistance de freins
culturels importants tant des acteurs économiques que politiques locaux qui
restaient très centrés sur la culture industrielle passée (croyance à la
transformation technique plus qu'en la technologie et en la grande industrie
plus que dans les PME) et des schémas de développement régional de type
croissance polarisée (recherche illusoire d'industries motrices de
remplacement).
.../...
Michel Quévit, Vincent
Lepage, La Wallonie, une région économique en mutation, dans
Wallonie. Atouts et références d'une
Région, (sous la direction
de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.