Folklore et tourisme
Ce qui précède montre à
suffisance que le folklore cesse d'être lui-même si le tourisme se mêle de
l'organiser à des fins commerciales. Il est essentiellement d'abord l'affaire
des folklorisants entre eux, sans souci de se donner en spectacle. Certes,
certaines réinterprétations, comme celle de la danse traditionnelle en danse de
groupe folklorique, ont permis de sauver bien des créations chorégraphiques d'un
irrémédiable effacement du souvenir.
Mais ce n'est jamais sans
un lourd tribut à un semi-professionnalisme, à des concessions de mise en scène,
à des arrangements de tempo et de forme, avec comme conséquence une profonde
dénaturation du sens de tant de danses, porteuses de conceptions esthétiques ou
rituelles qui, la plupart du temps, échappent aux spectateurs, quant ce n'est
pas aux danseurs eux-mêmes. L'essence du folklore, c'est l'adhésion libre et
spontanée à l'acte de foi, de travail, de jeu, de rite qui est la fonction du
fait folklorique. C'est l'effacement de l'individu dans la communauté, dans une
participation désintéressée. La contamination par la publicité, politique ou
commerciale, a beau être ancienne, elle n'a jamais été profitable à
l'authenticité du folklore.
Aussi la tâche du
tourisme n'est-elle pas d'amener le plus de gens possibles à venir contempler
les faits de folklore qu'il sélectionne en fonction de critères presque toujours
plus économiques qu'esthétiques et plus enclins à en mettre en valeur les
aspects spectaculaires que la vraie signification : elle est d'éduquer le
touriste, de lui rendre sensible "l'humanisme des humbles", de le pénétrer du
respect qu'il sied à toute personne qui a du coeur d'avoir pour les traditions
des autres hommes, ses frères, traditions souvent vénérables par leur
ancienneté, aimables par leur spontanéité, émouvantes par leur humanité.
Le folklore convie le
touriste sensible à une communion avec l'homme. Le choix des coutumes de chez
nous qui suit ce texte est une modeste contribution à une meilleure
compréhension de quelques-unes de nos traditions. Il se limite à évoquer les
genres de vie caractéristiques de notre terre : l'agriculture, l'artisanat,
l'industrie; le calendrier folklorique, par des quêtes, des mets, des fêtes, du
théâtre, une chanson; et quelques jeux typiques de nos terroirs. Ce faisant,
nous espérons donner le goût de la tradition populaire authentique au lecteur
qui se refuse à rester superficiel et à n'être que "dans le vent".
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Promenade au jardin de nos traditions
Et puissiez-vous, ami
lecteur, comme après toute communion avec le meilleur de l'homme, vous sentir
plus heureux et plus fraternel à la suite de la brève promenade au jardin de nos
traditions à laquelle je vous convie !
Boeuf attelé au joug, tirant une charrue à Odeigne, 1950
Symbole de l'ancien genre
de vie rurale. L'alliance de l'homme et du boeuf ne fut remplacée que peu à peu
par celle de l'homme et du cheval, et ce dans les régions agricoles riches
d'abord. Le joug, simple ou double, se posait entre les cornes et les oreilles,
sur un coussinet de cuir. Les chevilles fendues au-dessus du joug servaient à
attacher la longue courroie utilisée pour "joindre" le boeuf, qui ne peut
déplacer la tête latéralement.
Tisserand de Havelange manoeuvrant un métier à main, 1929
Après une préparation de
la laine, du lin ou du chanvre - pluchage et cardage (laine), teillage et
sérançage (chanvre, lin) -, on passait au filage au rouet, suivi du dévidage ou
haspelage, puis enfin au tissage. En Ardenne, un tisserand employait cinq
fileuses; son travail commençait à l'ourdissoir; il paraît ses chaînes à la
folle farine de seigle; il surveillait surtout l'encroix des fils et les
lisières.
Pipier d'Andenne
Il prépare des roles à
partir d'une terre qui a "mûri" en plein air. Ces ébauches de pipes seront
ensuite moulées, percées à l'aide d'un poinçon métallique au bout d'un manche;
la tête est évidée au moyen d'un chtoup. Les pipes sont cuites dans des
pots
en terre réfractaire de la forme d'un cône tronqué. Qui se souvient des "jacobs"
et des "montoises" à long tuyau ?
Charbonniers de Signy-l'Abbaye en forêt
Il achève une faulde par
la couverture d'une meule coniquede bûches séchées au moyen de terre brûlée et
de feuilles séchées. La cuisson à l'étouffe de ce bois dure une semaineau moins
et produit un charbon approprié au traitement du minerai de fer ou aux usages
domestiques. il fut remplacé par le coke à partie de 1810.
Souffleur de verre à Jumet en 1949
De son ouvreau, l'ouvrier
cueille dans un pot une paraison ou masse de verre au bout d'une canne qu'il
manoeuvre ensuite selon des mouvements calculés en vue de la forme à donner à
cette masse. Le verre est le produit de la fusion d'un balle siliceux mêlé de
potasse ou de soude.
Potier d'étain liégeois coulant une pièce en 1926
Il verse un alliage
d'étain (90%), de plomb (8%), de cuivre (1,5%) et de zinc (0,5%) - ce sont des
proportions de l'étain à la rose - en fusion dans un moule en bronze
préalablement enduit à l'intérieur d'un mélange d'eau et d'argile et chauffe
dans le four en tôle que l'on voit, ouvert, à la droite de l'artisan. Celui-ci
se protège les jambes de coussins et enveloppe ses pieds de papier. Le four sert
aussi à la fonte du métal, dans un grand chaudron. Les parties de l'objet sont
démoulées, tournées, soudées, polies.
La Noël
C'est une fête familiale
par excellence. Autrefois on la célébrait bruyamment par des coups de feu, des
chants et des danses. Et on mangeait du porc, des charcuteries et des gâteaux -
ou cougnoles un peu partout en Wallonie, boûkètes au pays de Liège,
celles-ci ayant supplanté les cougnons par la vogue qu'elles acquirent
dès le XVIIIe siècle. La bouquette est une crêpe levée à la farine de sarrasin,
agrémentée fréquemment de raisins secs, frite à la poêle avec du beurre ou de
l'huile, que l'on mange chaude ou froide, garnie de sucre ou encore de sirop,
avec un verre de vin chaud.
Les cougnous namurois
Les deux premiers sont de
forme ancienne. Les enfants en reçoivent, de dimensions pouvant aller de vingt
centimètres à près d'une aune de longueur; ils croient que c'est le petit Jésus
qui les leur apporte. Cette croyance subsiste, tant en Pays flamand qu'en
Wallonie occidentale, dans les régions qui firent partie de l'ancien diocèse de
Cambrai. On trouve d'autre croyances et d'autres usage ailleurs. Les cougnous
(cugnoles en région picarde), ainsi que coquilles sont, en Flandre
comme en Wallonie, ornés de rondelles en plâtre qui adhèrent au milieu, parfois
aussi aux deux extrémités du gâteau, et qui représentent de nombreux motifs,
notamment, comme ici, l'enfant Jésus, mais aussi des fleurs, des animaux, des
personnages.
Gaufrier ou moule à galette "quatre quarts" traditionnelles au nouvel-an
La pâte levée, composée
de farine, sucre, beurre et lait, est écrasée entre deux plaques de fer à damier
au bout de longues tiges. On chauffe le fer au contact direct du feu; on le
retourne lorsque l'on juge la cuisson suffisante du côté exposé à la flamme.
"La fuite en Egypte" à Liège
Ce dessin illustre
l'affiche du théâtre de marionnettes du Musée de la Vie wallonne. Le thème, qui
a été d'abord traité en chanson dans le folklore wallon et flamand est ensuite
passé à la nativité du théâtre de marionnettes; il est tiré des évangiles
apocryphes.
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Saint-Pierre péchant
Dernier tableau du "béthléem"
ou théâtre de marionnettes à tige de Verviers. Sur un entablement courant autour
des quatre murs d'une salle et d'une profondeur d'un mètre environ sont
disposées dix-neuf scènes que montre un impresario qui annonce le sujet. Des
gamins, dissimulés derrière la scène, manoeuvrent les poupées et entonnent de
vieux noëls. Ici l'impresario dit : Volà saint Pîre qui pèhe et qui v's va
d'ner dèl bénéûte éwe po 'nnè raler. Loukiz, mès-éfants, tos lès bês pèhons !
('Voilà Saint Pierre qui pêche et qui va vous donner de l'eau bénite pour
rentrer chez vous. Voyez, mes enfants, tous les beaux poissons !) Et Saint
Pierre fait patch dans l'eau.
Billet des Rois
Feuille de seize
vignettes xylographiques, accompagnées chacune d'un quatrain sur un air
folklorique très ancien, à découper pour "tirer" (au sort) le roi du banquet de
l'Epiphanie. Il en fut surtout produit à Tournai, en imitation de Lille; mais
Mons en produisait aussi au début du XIXe siècle. Aux "billets des Rois" du
Hainaut et du centre de la Wallonie s'oppose le gâteau des Rois plus répandu
ailleurs. Il contient une fève, une noisette, un noyau d'abricot ou une figurine
de poupon en porcelaine. Le gâteau de Liège, comme celui de Namur ici
représenté, est divisé en huit portions, mais sa partie centrale est séparée par
un creux de la couronne extérieure et appelée mirou, ce qui lui donne la
forme d'une étoile à huit branches.
Une haguète circulant dans la foule en 1928 à Malmédy
Ce masque est le plus
ancien du cwarmê
ou carnaval de Malmedy. Il fait claquer un hape-tchâr ou zigzag, en
jetant le cri de "oûrousse ! vous' bin vite dumander pardon ?" (veux-tu
bien demander pardon ?), à voix de tête avant de capturer une personne au bord
du trottoir qu'il fait s'agenouiller et demander pardon au manche de son balai :
pardon, haguète, à l'cawe do ramon ! Dju nu l' frè djamais pus !
Un scène d'un rôle carnavalesque dans une cour de ferme en 1951 à
Ster-Francorchamps
Le courrier, sorte
de jockey sur un cheval enrubanné, parcourt le village le matin pour annoncer
que la troupe des jeunes gens est prête à jouer une bouffonnerie wallonne
apprise en secret et qui diffère chaque année. Tous les rôles sont joués par des
hommes. La scène ici représentée est bien connue dans le folklore international
: c'est l'intervention du docteur miraculeux. Le courrier, dès la représentation
terminée, va annoncer la pièce plus loin, où on la recommence.
Chinels défilant dans les rues de Fosses-la-Ville lors du carnaval du Laetare en
1948
Chinel est une
forme abrégée de Polichinel, ce qui en explique les bosses (très stylisées) et
le costume, en satin brillant. Le Chinel
est peut-être une évolution d'un masque plus ancien, le doudou,
c'est-à-dire le "gros difforme", terme qui aurait qualifié les gros-gn' gnos
(les gros genoux); ceux-ci portant le pantalon bouffant arrêté sous les genoux,
de larges vestes bourrées de foin et des manches très longues. Les Chinels
ont remplacé les sabots des doudous par des escarpins, mais ont gardé la
mitre emplumée et enrubannée. Les deux groupes sont porteurs d'un sabre recourbé
avec lequel ils taquinent les femmes et les fumeurs. Les doudous ont
abandonné leur ceinture de grelots.
Le grand rondeau final du carnaval de Binche
Toutes les sociétés de
Gilles binchoises y participent. Le Gilles est un personnage complexe, qui
perpétue des usages antiques : il danse pour célébrer la venue du printemps,
jette des oranges (qui ont pris place de fruits ou légumes du pays) pour
susciter la fécondité, porte la ceinture de grelots (l'apèrtintaye) pour
chasser les démons, et tient un balai à la main comme la haguète
autrefois, en symbole du renouveau. Il a subi l'influence du Gilles (et du
Polichinelle) du théâtre forain de Paris, lui-même héritier du théâtre italien :
cette influence se marque surtout dans le costume. Mais le chapeau de plumes
d'autruche est le développement d'un shako primitif orné de quelques plumes de
coq.
Le grand feu à Parfondruy (Stavelot)
Il existe de nombreuses
sortes de feux collectifs au cours de l'année folklorique :
- des feux cycliques : de
carnaval-carême (tel celui de Parfondruy); de Pâques (Auvelais,
Merbes-Sainte-Marie); de mai (Neufvilles); du solstice d'été (Borinage, Mons);
d'automne (la Saint-Hubert à Montegnée; la Saint-Martin de l'est de la province
de Liège); du cycle des douze jours (Liège, autrefois, à l'Epihanie);
- des feux calendaires
non cycliques : à la Saint-Nicolas (région de Tournai), à la Sainte-Gertrude
(Trembleur); le feu d'artifice des ducaces;
- des feux agraires,
allumés pour faire périr magiquement mauvaises herbes ou vermine; le brandonnage
borain pourrait y être rattaché;
- des feux épisodiques :
les feux de joie, souvent remplacés par deux feux d'artifices; les feux de
mariage dans la vallée du Geer; les feux de charivari;
- les feux coactés par
frottement, destinés à combattre épidémies et épizooties, comme le nodfyr
dont parle le concile de Leptines en 743;
- les feux utilitaires,
comme le brûlage des fanes de pommes de terre, cérémonialisées en cûtenées
ou cûchenées au pays de Stavelot- Malmedy.
Les feux ont divers
pouvoirs : de purifier, fertiliser, protéger (réellement ou par magie),
d'associer la collectivité, d'honorer, de jalonner le temps. La Wallonie connaît
le grand feu sous ce nom, sous celui de feûreû
dans la région du Centre, d'escouvion et variantes en Hainaut rouchi,
d'adrèche- puns dans le Tournaisis, de bûle
en Gaume et de boûre en zone champenoise. En Condroz, Famenne et Ardenne,
il es précédé d'un petit feu, churaude,
hirâde, hirêye.
Crécelleurs du Samedi-Saint à Rochefort en 1927
Ils portent le buis et
l'eau bénite au domicile des fidèles. Ils s'annoncent avec leurs instruments et
reçoivent en paiement de ce service et de leur travail de crécelleurs pendant
que "les cloches étaient parties à Rome" quelques menues monnaies, des fruits,
des oeufs. Les cruches et le seau dont ils sont porteurs sont des mesures.
Les types organologiques des crécelles
En Wallonie et en
Flandre, ils sont au nombre de dix : la crécelle tournante, la tapette, le
batelet, la cliquette, le moulin, le claquoir ou signal, le livre, les
claquettes, la cloche de bois (dans l'église Saint-Jean à Liège) et la
gligline de Mons. Les crécelles servaient surtout, mais non exclusivement,
pendant la Semaine Sainte en remplacement des cloches "parties à Rome".
Aujourd'hui, ce sont des bruiteurs que l'on agite à l'occasion des compétitions
sportives. A droite, au-dessus, la tapette ou martê de Fauvillers;
en-dessous, la crécelle tournante à deux lames et la cliquette.
Moulin, appelé martale (féminin dialectal de "marteau"). Des crécelleurs de
Fauvillers en 1926
C'est une boîte sonore à
laquelle est adaptée une crécelle; elle se porte en bandoulière sur la poitrine
et s'actionne à la manivelle. Quand elle est de grande dimension, le porteur la
pose à terre et la maintient immobile à l'aide des genoux pendant qu'il la
manoeuvre.
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Les "trimousettes" de Longlier en 1949
Les fillettes de la
paroisse accompagnent l'une d'elles vêtue de blanc en "petite mariée",
c'est-à-dire en communiante. Elles chantent tous les dimanches de mai devant
chaque maison, recueillant de l'argent pour l'autel de la Vierge. Le mot
trimousette est champenois, mais la coutume est surtout gaumaise et chestrolaise.
En Gaume, la mariâye va et vient dans le cercle de ses compagnes,
marchant à pas mesurés, et s'inclinant chaque fois que le nom de Jésus revient
au cours du chant. On y connaît aussi des couplets de remerciement et de
malédiction, celui-ci pour ceux qui ne donnent rien. Alors que les chants et les
remerciements sont en français, la malédiction est en dialecte.
Contraste que l'on
observe dans les noëls dialogués du pays de Liège, où la Vierge use du français,
les bergers du wallon.
Préparation du "chaudeau" à Boris-d'Haine à la Saint-Jean de 1955
Le caudia est une
sorte de lait-de-poule apprécié en Hainaut, mais produit ici à partir de lait,
sucre et mastelles obtenues par la jeunesse qui va quêter jusqu'au crépuscule de
ferme en ferme dans la commune et aux environs et ce, au son d'une musique et de
tambours. La quête terminée, une dizaine de cavaliers aux montures ornées de
banderoles multicolores vont rechercher les quêteurs et les ramènent sous un
vénérable marronnier où l'on suspend deux chaudrons au moyen d'un joug
par-dessus un feu de fagots. Les quêteurs s'habillent alors en marmitons,
produisent le chaudeau, en portent un pot au curé, puis tout le monde se
précipite avec un récipient vers le breuvage apprécié. Il y a en outre un comité
en sarrau, un char de jeunes filles costumées en paysannes, musique, chants et
légende faisant remonter la célébration à 1411. Il y a un autre tchaudia
au hameau des Wespes à Leernes qui se célèbre le premier dimanche de juillet,
mais dont le cri caractéristiques de "Vive saint Pierrot" prouve qu'il s'agit
d'une ancienne fête solsticiale de la Saint-Pierre. Les jeunes gens ont ici un
chant de quête et une chanson de circonstance pendant la distribution du mets.
Cette dernière aurait été complétée en 1825 par un aveugle.
Quête de la Saint-Grégoire par les écoliers de Boneffe le 12 mars 1926
Les enfants sont
endimanchés et coiffés d'une mitre en carton richement ornée de bande de
tapisseries et de fleurs printanières; le tout encadré d'un large liseré bleu ou
rouge. Ils chantent leur demande et leurs voeux : on leur donne de la farine, du
lard, des oeufs, que les deux plus grands écoliers recueillent dans leur panier.
L'après-midi on leur fait des gaufres et du café. Le saint, que les garçons
seuls en principe célèbrent en Wallonie et en Flandre, est Grégoire le Grand :
il fonda les premières écoles de clercs. En son honneur, le pape Grégoire IV
institua une fête scolaire.
Quête de la Saint-Grégoire par les écoliers de Gouy-lez-Piéton en 1974
Comme rarement ailleurs
autrefois, les filles sont associées aux garçons. Ces enfants ont perdu la
mitre, et s'habillent au goût enfantin de fantaisie à la mode de nos jours.
Cette désacralisation a subi l'influence du cinéma, de la télévision et du
carnaval. On donne aux quêteurs de l'argent ou des fruits, des bonbons. Il y a
partage, mais pas de repas communautaire. La coutume est maintenue par
l'administration communale aidée du corps enseignant.
Petit autel de l'Assomption
Il fut érigé dans une rue
du quartier d'Outre-Meuse à Liège en 1924. Les enfants - les fillettes surtout -
dressaient de petits autels sur le trottoir et demandaient une offrande aux
passants : Ine çanse po l'âté d' saint Mâcrawe ! (une pièce de 2 centimes
pour l'autel de saint Macaire !) A quoi on leur répondait plaisamment : Awè,
po l'âté dè gozî ! (oui, pour l'autel du gosier !) Avec l'argent, ils
s'achetaient des friandises. Des quêtes semblables avec autels avaient lieu au
Borinage à l'occasion des fêtes solsticiales de la Saint-Jean ou de la
Saint-Pierre; on en connut à Paris aussi.
Bûcher du feu de la Saint-Martin au quartier d'Outrelepont à Malmedy en 1938
De semblables bûchers
d'automne ne s'allument plus qu'au pays de Malmedy, mais on en a noté autrefois
en Hesbaye sèche, ainsi que dans les arrondissements de Liège et de Verviers. Le
combustible est obtenu à Malmedy par une quête au chant des enfants et de la
jeunesse : On stocou ramon - Po fé l' èveûye du Sint-Mârtin... (Un balai
usé - Pour faire la fête du feu de la Saint-Martin, littéralement : la veille de
Saint-Martin). Ailleurs, on allumait des feux semblables pour obtenir des pommes
et des poires. A Herstal, par exemple, on allumait au bûcher des cordes
goudronnées ou enduites de résine, et on parcourait les rues en faisant
tournoyer ces brandons et en criant une formule de quête alimentaire.
Maillet à bouriner âs-ouh
Il était utilisé "pour
frapper aux portes" la veille de la Saint-Hubert au soir. Les jeunes gens et les
enfants le faisaient en récitant sur un ton monotone : Saint-hubert qu'èst
riv' nou / Avou s' mayèet à s' cou ! "Saint-Hubert qui est revenu / Avec son
maillet au cul !" Dessin de Maurice Salme.
Drapelet de saint Hubert
Instructions quant à la
manière de faire la neuvaine de saint Hubert et la manière de donner le répit en
cas de rage, avec attestation d'insertion d'une parcelle de l'école miraculeuse
dans le front d'une fidèle. Date du XVIIIe siècle.
Ce type de drapelet
triangulaire est un souvenir de pèlerinage à usage protecteur qui eut une grande
vogue en Belgique. Généralement on y trouve représentés le sanctuaire dans son
milieu et les principaux épisodes de la légende du saint.
Pains de saint Hubert produits à Namur
Ils doivent être bénis
par un prêtre le 3 novembre avant d'être consommés à jeun, après récitation de 3
ou 5 pater et ave. Ceux qui ont un chien ont soin d'en faire manger un morceau à
l'animal : car ce pain protège contre les morsures des chiens enragés.
Une colonne de pains de saint Eloi à Bouillon en 1928
On transporte ces pains
de formes variées sur des civières pour qu'ils soient bénis et distribués en
morceaux pendant la messe ou répartis par la suite. Cette coutume fut reprise
vers 1870 pour les ferronniers aux miquelets ou bûcherons qui
pratiquaient la même coutume à la Saint-Nicolas.
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Houilleurs assistant à Montegnée en 1935 à la messe de la Sainte-Barbe au fond
de la mine
C'est un jour chômé; mais
tous les houilleurs, croyants ou incroyants, assistent au service religieux,
soit à l'église paroissiale proche de leur charbonnage, soit à la chapelle
dédiée à leur protectrice, soit à un autel élevé dans la cour du charbonnage, à
la lampisterie, dans une dépendance, à l'accrochage, au-dessus du puits, ou dans
une galerie souterraine.
La statue de la sainte,
assez fréquemment taillée par un ouvrier, trône au milieu de lampes de mineurs
et de fleurs. Les houilleurs sont fêtés chez eux par leur épouse et leurs
enfants, et à leur café habituel par les tenanciers. Au Borinage, ils recevaient
autrefois des fleurs de papier piquées dans des pommes. Ils chantent ce jour-là
des cantiques et des chansons célébrant leur profession. Au pays de Liège on ne
sait quand sainte Barbe s'est adjointe à saint Léonard, fêté le 6 novembre. Les
mineurs descendent dans la bure en se recommandant A l' wâde di Diu, d' saint
Linâ et d'sainte Bâre (à la garde de Dieu, de saint Léonard et de sainte
Barbe).
Sapeurs de la compagnie de Hymiée
Ils défilent à Gerpinnes
le lundi de la Pentecôte à l'occasion de la "marche" de sainte Rolende en 1949.
Une "marche" est l'escorte armée d'une procession. Elle se compose, du moins
dans l'Entre-Sambre-et-Meuse et un peu dans la vallée de la Sambre, d'un groupe
de sapeurs mené par un sergent-sapeur, de tambours animés par un fifre et
commandés par un tambour-major, d'officiers à cheval, éventuellement d'une
société de musique; viennent ensuite le peloton des grenadiers, le drapeau de la
jeunesse entouré d'enfants en costume d'officier, le peloton des voltigeurs,
parfois celui des zouaves et enfin un dernier rang armé de tromblons. La
"marche" effectue certains déploiements, rend les honneurs à certaines
notabilités, mais surtout à la procession à des endroits fixés par la tradition.
Sauf à Jumet, où la variété des costumes est très grande, les uniformes sont
inspirés surtout de ceux des soldats de Napoléon, parfois des armées pré- ou
post-napoléoniennes. On compte plus de quarante "marches", dont les plus
célèbres sont celles de Gerpinnes, Walcourt, Thuin, Ham-sur-Heure et Fosses-
la-Ville (celui-ci septennale). A Gerpinnes elles sort à 4 heures du matin,
parcourt 35 kilomètres à travers dix villages et hameaux, et rentre vers 6
heures du soir.
Tambours et grenadiers de Gerpinnes à la "marche" de Walcourt
Lors de la fête de la
Sainte-Trinité, qui est l'occasion d'un pèlerinage fameux d'où l'on vient d'une
vaste région qui s'étend de la Basse-Sambre au Nord de la France et couvre toute
l'Entre-Sambre-et-Meuse. Le pèlerinage est suivi d'une procession. L'épisode
dramatique de l'abbaye du Jardinet Notre-Dame est célèbre. Arrivé près d'un
bouleau fourni par l'administration communale, celui qui représente le compte
Thierry de Rochefort pousse par trois fois son cheval vers la statue de la
Vierge qui s'y est réfugiée après l'incendie de la collégiale, assure la
légende. La statue est maintenue sur une branche par un homme monté sur un
escabeau et à demi caché. Le comte - le rôle est tenu traditionnellement par un
homme d'une même famille - s'agenouille alors, récite une prière traditionnelle
et reçoit la Vierge qui est descendue de l'arbre au moyen d'un ruban. La foule
se précipite alors sur l'arbre et le dépouille de ses branches et de son écorce.
Trois pèlerins de la ducace de Marbisoux (Marbais-en-Brabant), 1952
Ils rentrent avec leur
butin attaché à leur bâton. Le lundi de la fête locale, qui a lieu le dimanche
le plus rapproché du 15 août, douze "pèlerins" de la Confrérie Saint-Roch, créée
en 1860 au plus tard sous le vocable de saint Jacques, assistent à la messe de 8
heures, puis "partent pour Jérusalem" par groupe de trois. Ils vont collecter
des légumes, des fruits, des fleurs, de l'argent. La quête terminée, les
musiciens et les pèlerins se rendent au kiosque de la fête, où l'un d'eux narre
avec humour leur voyage. Puis on procède à la "vente du bien d'autrui", avec
"notaire" qui pratique la vente forcée. Celle-ci terminée, la danse des pèlerins
a lieu entrecoupée d'interruptions et de disputes; on paye à boire aux
musiciens, on chasse les femmes parce qu'elles dansent mal. Soudain s'affale un
"frère". On chante une marche funèbre, l'ausculte; il refuse de l'eau, dont il
asperge les curieux. D'un bond, il reprend sa place : la fête est terminée. Ce
thème de ducace couvre une aire importante à cheval sur le Brabant (13
communes), le Hainaut (7 communes) et la province de Namur (12 communes).
La lumerodje de Presles et son conducteur, le lundi de la ducace en 1951
Celle-ci se célèbre le
premier dimanche d'octobre. La lumerodje a une vague ressemblance avec
une vache. Elle est formée d'un perche pour la colonne vertébrale, à laquelle
sont attachés des demi-cercles en bois pour les côtés. Le tout est recouvert de
serpillière descendant jusqu'à terre. La bouche, avec de longues dents en bois
et une langue en drap rouge, est articulée. Les yeux sont des tessons de
bouteille, les cornes sont en bois. La bête nécessite deux porteurs et un
conducteur muni d'un bâton. Elle est suivie d'une charrette tirée par un âne
avec le "vétérinaire Canabot" porteur d'une valise avec des outils de forgeron.
Jadis des "chevaux-godets" entouraient l'animal. Celui-ci s'affale
périodiquement, exténué : le "vétérinaire" le soigne, mais la douleur d'une
"piqûre" rend vie à la bête qui, entre 11 heures et midi, "vêle" d'un petit
chien. Deux collecteurs quêtent de l'argent, avec lequel s'abreuvent les acteurs
de cette farce, qui s'achève vers 15 heures, quand ils sont ivres-morts. Ce
divertissement, avec des variantes, a été noté aussi à Fosses-la-Ville, Aisemont,
Vitrival et Le Roux.
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Goliath et Madame Goliath au cortège des géants de la ducace d'Ath en 1926
Le quatrième dimanche
d'août a lieu le cortège des géants, qui comprend l'Aigle bicéphale chevauché
par un enfant, la barque des Pêcheurs napolitains transportant un "sauvage" qui
crie très fort, le groupe des Bleus, compagnie de canonniers-fusiliers, Samson,
le char de l'Horticulture, Ambiorix appelé aussi Tirant, les hallebardiers de
son escorte, le char des Etats provinciaux escorté de cinq hérauts d'are à
cheval, le char de la Navigation au XVIe siècle, Mademoiselle Victoire, le char
de l'Agriculture, celui d'Albert et Isabelle, le cheval Bayard portant quatre
enfants, le char des Neuf provinces, celui de la ville d'Ath, les géants
Gouyasse et Madame, David, un enfant vêtu de blanc et muni d'une balle,
Mangnon, le diable aux cornes rouges, armé d'une vessie gonflée, les "hommes de
feuilles". Bayard remonte à 1462, mais disparut au XVIe siècle; Goliath remonte
à 1480 au plus tard. Certains géants sont beaucoup plus récents. Le samedi, aux
vêpres, a lieu le mariage de Gouyasse et de sa femme sur le parvis de
l'église Saint-Julien. Puis a lieu le jeudi-parti, attesté depuis 1487, entre
David et Goliath, qui est censé mourir de la balle que lui jette David. Celui-ci
s'écrie : "il en tient, le vilain !" A quoi le porteur riposte : "je n' sus nieu
co mort !".
Joueur de crosse à Thieu (entre Mons et La Louvière) en 1950
Le jeu de crosse se joue
en plaine à travers champs et prairies; il se pratique de la Toussaint à la
mi-mars, avec certaines dates privilégiées, comme la Toussaint, la Saint-Antoine
(à Mons), le mardi gras (dans le Centre), le lundi de Pâques. La crosse se
compose d'un fût ou bâton courbé ou coudé, à manier à deux mains. Le jeu
consiste à parcourir une distance souvent très longue d'un point de départ à un
but à toucher au plus vite, non sans être contrecarré. Ce but peut être un
tonneau devant un cabaret, ou la porte de celui-ci. La crosse chasse une boule
en bois de forme ovoïde. Le jeu a été pratiqué dans toute la Wallonie et en
Flandre (Kolven), mais il ne se pratique plus vraiment qu'en Hainaut, à
l'exception du pays de Charleroi. C'est un vieux jeu hérité du moyen âge, et
dont le vocabulaire a été contaminé par celui du jeu de la soule, lequel
continue l'harpastum romain, dont le nom est d'origine grecque, et qui
était une sorte de rugby.
Une partie de balle au tamis à Tournai vers 1930
Les jeux de balle au
gants, très répandus en Hainaut, en Brabant et dans la province de Namur
surtout, sont la continuation des jeux de longue paume du Moyen Age. On en
connaît trois variétés principales, qui sont chacune organisées en fédérations :
le jeu de balle demi-dure, le jeu de balle pelote et celui de la balle au tamis.
Ce sont des jeux de places publiques surtout, et de rues à l'occasion des fêtes
de quartiers. Très souvent l'emplacement du jeu est marqué d'une manière
permanente. Le comptage se fait comme au tennis, qui continue la courte paume.
Le tamis sert à donner de l'élan à la balle. Le jeu est connu en Flandre aussi
depuis le Moyen Age.
Jeu de la décapitation de l'oie à Saives (Celles-lez-Waremme)
Le jeu qui consiste à
décapiter un ou plusieurs animaux (oie, coq, dindon, canard, remplacé parfois
par un jambon ou un bloc de bois ou de fer), morts ou vivants, suspendus par le
cou, moins souvent par les pattes, à une branche, un piquer, une roue, ou encore
enfouis jusqu'au cou, ou enfermés dans un panier, cou sortant, présente beaucoup
de variétés : on peut essayer de trancher le cou de la ou d'une victime avec un
sabre, un bâton, une barre de fer, des cisailles, une faucille ou une arme à
feu, ou tenter de l'arracher à la main, soit en passant près de l'animal à
cheval ou trot, ou à pied et les yeux bandés, ou en tentant de l'atteindre d'une
certaine distance, avec un instrument de jet. Le vainqueur reçoit l'animal ou
une contre- valeur en nature ou en espèce dans le cas des blocs, qui ont
remplacé l'animal au XIXe siècle. Le jeu paraît avoir une origine rituelle.
Jeu à neuf quilles sur le grand'place de Binche
La Wallonie connaît
plusieurs variétés de jeux de quilles : à 3 quilles (Bouillon et le sud de l'Entre-Sambre-et-Meuse
jusqu'au pays de Chimay), 5 quilles (vallée de la Semois, Famenne, Namurois,
Entre-Sambre-et-Meuse, Carolorégie, Centre et région de Mons), 9 quilles
(partout), 10 quilles (Grand- Hallet), 12 quilles (Bastogne). On joue au plus de
quilles abattues, ou au moins de quilles, ou à pair ou impair, à la "boulée"; à
l'enjeu, au parolî
(Chiny), au défi, à deux manches et la belle, etc. On abat les quilles avec des
boules de bois ou de fer ou avec un gourdin. Les quilles sont petites ou
grandes, plus ou moins bien sculptées ou tournées, et de formes extrêmement
variées. Le jeu paraît avoir une origine médiévale.
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Cacafougna sortant de sa boîte
Cet ancien jouet d'enfant
est un diablotin qui surgit d'une boîte et fait peur. D'oû l'emploi du
mot pour désigner un croquemitaine. Il semble qu'il a désigné d'abord un
personnage du théâtre de marionnettes, qu'il n'apparut pas avant 1850, mais
qu'il est probablement venu du sud, où le Cafougna aurait été un
personnage nasillard imitant l'auvergnat. Par ce jouet, nous avons voulu
symboliser les surprises agréables qu'offre à l'observateur attentif l'étude du
folklore des régions de Wallonie.
Combats d'échasseurs à Namur au XVIIIème siècle
Cette peinture de facture
populaire et quelque peu gauche fournit des détails très vivants sur un combat
d'échasseurs - dont l'origine est lointaine et la première attestation remonte à
1411. Il oppose les Avresses, en rouge, et les Mélans, en jaune, ceux-ci données
comme vainqueurs par une alfer qui agite leur étendard, alors que
l'étendard rouge des Avresses est baissé. C'est un des plus anciens sports
attestés en Wallonie; il a subi des éclipses mais il até ravivé en 1951 par un
Comité du Folklore namurois qui a réussi à le faire intégrer dans le programme
de la célébration des fêtes de la Wallonie en septembre.
(Roger Pinon, Les
traditions wallonnes, dans
Wallonie. Atouts et références d'une
Région (sous la direction de
Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.)