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Les Immigrés dans la société wallonne
Les registres de l’intégration
Mateo Alaluf
Professeur à l’Université libre
de Bruxelles - Président de l’Institut du Travail |
La mine
pire que le bagne
La reconstruction du pays
au lendemain de la guerre reposait sur la seule source d’énergie immédiatement
disponible à l’époque pour la relance de l’activité économique, à savoir le
charbon. Déjà, cependant, dans l’Entre-deux-guerres, les conditions de travail
prévalant dans les mines n’étaient plus acceptées par les travailleurs belges et
l’on y faisait appel largement à la main-d’œuvre étrangère. Or, après-guerre, la
pénurie de mineurs de fond hypothéquait plus que jamais la reprise de
l’économie. Aussi, lorsque, en février 1945, le Premier ministre Achille Van
Acker constitua son gouvernement d’union nationale, il se réserva le
portefeuille stratégique des charbonnages pour engager la bataille du charbon.
Dans un premier temps, le
Gouvernement, pour ne pas recourir à l’immigration, adopta un ensemble
d’avantages matériels et moraux définis par "le statut du mineur", destinés à
contrecarrer l’abandon du travail de la mine par les ouvriers autochtones. Après
la carotte, le bâton : les anciens mineurs qui bénéficiaient d’allocations de
chômage, s’ils refusent de reprendre le travail de la mine, seront exclus du
bénéfice de ces allocations. L’arrêté-loi du 12 avril 1945 décrète l’inscription
obligatoire des mineurs et des anciens mineurs (1). On
exempta également de service militaire ceux qui travaillaient jusqu’à 28 ans
comme mineur de fond, de telle sorte que ce travail devienne une sorte de
service civil comparable au service militaire.
Ces mesures se révélèrent
cependant encore insuffisantes. On se tourna alors vers la mise au travail des
prisonniers de guerre allemands. En décembre 1945, 46.000 prisonniers de guerre
étaient occupés dans les mines. Malgré la résistance des mineurs belges et des
syndicats, le Gouvernement décida ensuite l’intégration des inciviques dans le
plan charbon du ministre Van Acker. Ainsi, à partir de janvier 1946, sept
centres miniers pénitentiaires allaient être ouverts. Dans son étude sur
La répression des collaborations, Luc Huyse et Steven Dhondt, se référant
aux textes de l’époque, notent : nos mineurs refusent de travailler avec des
gens dont la plupart sont des inciviques ou du moins ont la réputation de l’être (2).
A partir de mai 1947, les
prisonniers de guerre allemands devront être relâchés. Les ouvriers belges vont
de plus en plus à contrecœur à la mine et la quittent à la première occasion. La
question cruciale est alors de savoir par qui les remplacer. Il ne reste plus
que la méthode déjà éprouvée avant-guerre : l’occupation de la main-d’œuvre
étrangère ne débutera donc pas dans les meilleures conditions, lorsque les
pourparlers entre les gouvernements belge et italien aboutissent au protocole
signé le 20 juin 1946.

La politique
d’immigration
La position sociale et
les possibilités d’intégration des immigrés en Belgique sont déterminées, comme
l’a montré A. Martens, par le type de politique de l’immigration que
l’autorité belge a mené (3). Cette politique ne peut se
comprendre aujourd’hui que si l’on tient compte de la situation qui prévalait
dans l’Entre-deux-guerres. C’est entre 1930 et 1939 que la politique
d’immigration a pris forme en Belgique, de telle sorte que l’après-guerre ne
connaît sur ce plan ni rupture juridique, ni économique ou sociale (4).
Après la Première Guerre
mondiale, en effet, on avait procédé à un recrutement délibéré de main-d’œuvre
hors des frontières. En 1930, les étrangers formaient 5 % de l’emploi total et,
déjà, 18 % des mineurs étaient des étrangers. Selon les syndicats, cette
main-d’œuvre bon marché, isolée et vulnérable, précarisait encore davantage
l’emploi des ouvriers belges. En période de crise, l’immigration accentuait le
déséquilibre sur le marché de l’emploi et affectait les conditions d’emploi et
les salaires (5).
Dans l’ensemble cependant
– malgré des exceptions–, les syndicats évitèrent, à l’époque, les thèses
simplistes véhiculées par l’extrême-droite et très largement répandues dans
l’opinion. Ils refusèrent d’exiger l’expulsion des étrangers pour les remplacer
par des chômeurs belges (6). Ils estimaient que le recours
à l’immigration devait être subordonné à la carence de main-d’œuvre autochtone.
Dès l’embauche, le travailleur étranger devait bénéficier, selon eux, des mêmes
droits et devoirs que les salariés belges, en particulier pour ce qui concerne
le travail, les salaires et surtout sur la question la plus controversée, à
savoir la protection sociale (7). Ce faisant, ils voulaient
contrecarrer l’attitude patronale visant à déstabiliser le marché de l’emploi
par l’immigration et à "diviser pour régner". Seule l’égalité entre travailleurs
belges et étrangers devait permettre, suivant les syndicats, de limiter la
concurrence sur le marché du travail et favoriser la syndicalisation des
étrangers.
Les positions du patronat
et des syndicats cadrent bien les attitudes qui seront celles de la droite et de
la gauche en ce qui concerne l’immigration. A droite, se conjugueront ceux qui
prôneront un accès largement ouvert aux frontières et ceux qui exigeront la
limitation des droits, la fixation des quotas et l’expulsion des étrangers. Il y
aura en tout cas accord pour une différenciation des droits à l’égard des
étrangers établis dans le pays. La gauche exigera, à l’opposé, un contrôle et
une limitation stricte à l’entrée, mais, dans une large mesure, l’égalité des
droits pour les étrangers travaillant en Belgique.

Une immigration de
travail
Même si l’immigration est
liée aux origines mêmes de l’industrialisation et peut être considérée comme un
trait permanent de nos sociétés, elle n’en revêt pas moins des formes récentes
qui caractérisent d’ailleurs la situation wallonne.
L’immigration est
d’abord, on l’a vu, un phénomène socio-économique. C’est pourquoi on désigne
souvent les immigrés en termes de travailleurs étrangers. Il n’est donc pas
étonnant que l’insertion professionnelle des immigrés ait constitué le facteur
principal de leur intégration.
Ainsi, c’est au XIXème
siècle, avec l’arrivée de Flamands dans les mines, que la Wallonie a connu son
premier choc migratoire. Ceux-ci seront ensuite suivis par des Polonais et des
Italiens, et l’immigration devient véritablement massive dans
L’Entre-deux-guerres.
Après 1945, comme cela
avait été le cas auparavant, les organisations syndicales seront parmi les
premières confrontées à ces évolutions. Pour veiller à la défense des salariés,
elles veulent tout à la fois défendre les droits des travailleurs étrangers et
maîtriser les flux migratoires par des mesures de contingentement de
l’immigration et le contrôle des conditions d’embauche. Les structures
syndicales s’adapteront ainsi aux circonstances et tenteront, non sans
difficultés mais, finalement, avec succès, de syndicaliser les travailleurs
immigrés.
Dès 1947, la FGTB met en
place une commission des travailleurs immigrés. La CSC, aidée par l’Associazione
Christiana di Lavoratori Italiani (ACLI) avec laquelle elle conclut un
accord, s’implante solidement parmi les Italiens. Elle crée en son sein, dès
1947, un service des travailleurs migrants. Ainsi, en ce qui concerne la prise
en charge de l’immigration, dès cette époque, les structures syndicales auront
pris, dans ses grandes lignes, la configuration qu’elles conserveront jusqu’à
nos jours. La CSC crée des sections par nationalité alors que la FGTB intègre
ses affiliés de nationalité étrangère dans les instances professionnelles et
régionales existantes.
En 1948, les
organisations syndicales obtiennent la création de la commission tripartite de
la Main-d’œuvre étrangère (CTMOE) regroupant les représentants syndicaux,
patronaux et de l’Etat. Celle-ci est chargée d’élaborer des avis consultatifs
concernant le contingentement de l’immigration et les critères d’octroi des
permis de travail. En juillet 1948, une commission mixte italo-belge est mise
sur pied, comprenant des représentants syndicaux, patronaux, des ministères
concernés ainsi que de l’Ambassade d’Italie. Elle vise à examiner les conditions
de vie et de travail des ouvriers italiens et à veiller à l’égalité de
traitement avec leurs collègues belges.
Les syndicats ne
modifient guère leur position relative au recours croissant aux travailleurs
étrangers. Ils s’inclinent face à la nécessité économique avancée par les
employeurs. Ils jugent cependant indispensable la syndicalisation des immigrés
pour la défense des droits des travailleurs. Ils craignent tout à la fois que
ceux-ci constituent une menace en cas de grève et qu’ils ne s’organisent en
dehors des syndicats. Les deux centrales des mineurs, affiliées à la FGTB et à
la CSC, à l’instar du syndicalisme anglo-saxon, défendent même le principe de
l’affiliation obligatoire.
Au début des années 1950,
la pénurie de main-d’œuvre en Wallonie non seulement persiste dans les
charbonnages, mais se fait également sentir dans la métallurgie et la
construction. Les conditions de vie et de travail des Italiens suscitent
cependant des réactions en Italie. La presse italienne dénonce de plus en plus
souvent les conditions prévalantes dans les charbonnages en Belgique. La
catastrophe minière de Marcinelle en 1956, au cours de laquelle 262 mineurs,
Italiens pour la plupart, perdent la vie, fera en sorte que le gouvernement
Italien arrêtera toute immigration vers la Belgique. On s’adressera dès lors à
l’Espagne, à la Grèce, au Maroc, à la Turquie, ...
Mais la catastrophe
minière de Marcinelle aura encore contribué à unifier les attitudes sur ce qui
apparaît comme un drame pour la Wallonie. La nécessité de trouver des réponses
spécifiques à une situation qui préfigure déjà un déclin industriel, commence
alors à s’imposer. La grève des métallurgistes en 1957 et celle qui s’oppose à
la fermeture des charbonnages en 1959 apparaissent comme autant de
manifestations de la crise structurelle que traverse la Wallonie et annoncent
les grèves de l’hiver 1960-61.

Rajeunir la Wallonie
Alors que, auparavant,
l’on avait de préférence recours à l’immigration de jeunes hommes célibataires
pour les besoins des charbonnages, de la métallurgie et des travaux publics, un
tournant sera pris dans les années 60. C’est, en effet, en raison de la
structure d’âge vieillie de la population wallonne – et le rapport établi à ce
sujet par Alfred Sauvy fera l’effet d’un choc – qu’une préoccupation
démographique, à savoir le rajeunissement de la population, se greffera aux
mobiles économiques de l’immigration. Désormais les regroupements familiaux
seront encouragés et les immigrés seront aussi diversifiés par sexe et âge. En
1964, le Service provincial d’Immigration et d’Accueil est créé à Liège.
On voit donc bien comment
les facteurs économiques et démographiques se sont conjugués pour faire de
l’immigration un phénomène spécifiquement wallon et ouvrier, avant qu’elle ne se
diversifie sur le plan régional, en s’étendant vers Bruxelles et la Flandre et,
sur le plan des activités, vers d’autres secteurs.
La politique
d’immigration deviendra, sous la pression syndicale, une préoccupation au sens
plein du terme. Les organisations syndicales se donnent pour tâche la défense du
marché national du travail aussi bien pour les Belges que pour les étrangers
établis en Belgique. Les syndicats tentent tout à la fois d’empêcher ou de
freiner le recours à l’immigration et revendiquent simultanément l’égalité des
droits pour les immigrés tout en évitant de heurter leurs propres affiliés.
C’est sous leur poussée que, en 1965, la CTMOE changera de nom et deviendra le
Conseil consultatif de l’Immigration, avec un champ de compétence élargi à la
politique d’immigration.
Alors que l’immigration
de "touristes" s’était généralisée au début des années 60, les syndicats
exigeaient l’arrêt de cette immigration spontanée. Le 1er février 1967, le
Gouvernement interdit l’occupation de travailleurs étrangers sans autorisation
préalable. Cette décision marque le retour d’une politique restrictive en
matière d’octroi de permis de travail. Malgré le ralentissement conjoncturel,
accentué par le choc pétrolier de 1973, beaucoup d’étrangers arrivent cependant
toujours en touriste dans l’espoir d’occuper un emploi. Ils deviennent ainsi des
proies faciles pour les marchands de main-d’œuvre et les employeurs peu
scrupuleux, et alimentent les circuits du travail en noir.
C’est dans ce contexte
que le gouvernement décide simultanément, en 1974, de régulariser la situation
des travailleurs clandestins et d’arrêter l’immigration. Ainsi, quelques 8.500
étrangers – un chiffre de très loin inférieur aux supputations auxquelles on se
livrait à l’époque – sortent de la clandestinité. Cette mesure d’arrêt de
l’immigration, toujours en vigueur actuellement, sera constamment renforcée par
la suite. En effet, le débat portera désormais sur des restrictions qui seront
apportées aux exceptions prévues par cette disposition, à savoir le regroupement
familial, les étudiants et les réfugiés politiques.
De la même manière que
les Flamands, perçus d’abord comme ignorants en raison de leur origine rurale et
de leur méconnaissance de la langue locale, seront intégrés, l’intégration des
différentes couches migratoires qui font partie de la réalité wallonne s’est
faite, pour l’essentiel, à travers les activités de travail. Le rôle des
organisations sociales et ouvrières, tout comme la scolarisation, ont été, de ce
point de vue, prépondérants.
L’augmentation du nombre
d’indépendants, de commerçants et d’artisans parmi les étrangers indique un
changement de statut pour certains d’entre eux dans un processus d’installation
définitive. Si les jeunes d’origine étrangère occupent, dans l’ensemble, le même
type d’emplois que leurs parents, toutefois, sous l’effet de la scolarisation,
la mobilité sociale fait aussi partie de leurs aspirations et élargit leur
horizon social.
Population mobile au
départ, constituée par une forte proportion de jeunes hommes célibataires,
affectés à des activités bien circonscrites, l’immigration s’est progressivement
diversifiée démographiquement, sectoriellement et géographiquement, pour devenir
familiale et se sédentariser. Aussi, malgré la crise et la montée du chômage qui
ont entraîné l’arrêt de l’immigration de travailleurs en 1974, les immigrés font
désormais partie intégrante de la vie sociale.
On compte à présent
quelques 353.550 ressortissants étrangers installés en Wallonie. Ils
représentent 38,3 % des étrangers en Belgique et 10,7 % de la population
wallonne (8). Les Italiens forment près de la moitié (45 %)
de la population immigrée installée en Wallonie. Les autres nationalités les
plus représentées sont les Français (15 %), les Marocains (6,1 %), les Turcs
(6 %), les Espagnols (4,3 %) et les Allemands (4,1 %).

Les deux registres de
l’intégration
Comme le travail a été le
ressort de l’immigration, l’insertion professionnelle des immigrés a été, en
toute logique, le facteur principal de leur intégration.
Ce n’est heureusement pas
dans les entreprises, les chantiers et les bureaux que la xénophobie et le
racisme sont les plus présents. Bien au contraire, l’intégration des
travailleurs immigrés dans les syndicats a permis l’accès de ceux-ci à la
citoyenneté économique. Depuis 1971 en effet, la législation belge reconnaît aux
travailleurs immigrés les mêmes droits de vote et d’éligibilité pour les comités
d’entreprise et les comités de Sécurité et d’Hygiène. C’est, par contre, en
termes de cohabitation dans les quartiers que les rapports sociaux se sont le
mieux prêtés à détérioration en période de crise. Si bien que l’intégration
paraît schématiquement se réaliser sur deux registres : plus que le quartier,
lieu de résidence, c’est l’emploi qui constitue incontestablement le facteur le
plus favorable à l’intégration.
Avec la crise et le
chômage massif cependant, on peut se demander si nous ne sommes pas arrivés à la
fin d’une époque. Depuis le milieu des années 70, des pans industriels entiers
ont disparu. La "tertiarisation" de la population active s’est accentuée. Cette
"désindustrialisation" des régions et cette "désouvriérisation" des industries
constituent sans doute une crise sans précédent du monde ouvrier et de sa
capacité d’action collective. Cette atomisation de l’emploi affecte profondément
les formes d’intégration des immigrés. Alors que l’immigration fait désormais
partie intégrante des populations locales, avec la crise et le chômage, les
entreprises sont moins demandeuses d’une main-d’œuvre jusqu’ici massivement
affectée aux segments non qualifiés du marché du travail.
Dans le passé en effet,
en alimentant ses échelons les plus bas, les travailleurs immigrés ont permis
une mobilité sociale qui a touché le salariat en entier. Alors même que les
jeunes issus de l’immigration aspirent à la scolarité et à la mobilité sociale,
il faut trouver toujours, dans cette logique, de nouveaux immigrés pour
remplacer les anciens. C’est ce mécanisme qui se trouve bloqué par la crise,
alors même que l’immigration qui répondait aussi à un défaut des naissances lié
au vieillissement de la population est devenue familiale et s’est sédentarisée.
Même si les étrangers occupent toujours les emplois situés dans les "segments
secondaires" du marché du travail, il faut prendre en compte que ceux-ci font
partie intégrante de la population locale.

Visibilité sociale et
droits politiques
Tant que les immigrés
occupaient les positions sociales les plus basses, ils n’étaient guère au centre
des débats politiques. Leur situation correspondait alors à la description que
faisait Tahar Ben Jelloun (9) de l’immigré prisonnier entre
deux images contradictoires et fascinées : celle de l’obsédé sexuel violent,
et celle d’une transparence, un homme qui n’existerait que comme objet de la
production, exclu du désir et de l’affectivité. D’un côté on le craint et on
s’en méfie, de l’autre on ne le voit pas, on ne prête aucune attention à son
existence... Transparente, cachée dans les interstices de la société,
l’immigration est privée alors de visibilité sociale et politique.
Lorsqu’ils étaient
considérés comme des étrangers en résidence momentanée en Belgique, le débat se
limitait aux compromis – principalement entre patrons et syndicats – sur les
flux migratoires et, accessoirement, sur le statut social des étrangers,
celui-ci étant d’ailleurs, pour l’essentiel, fonction des conditions de séjour.
Quelle importance pouvaient revêtir les droits politiques tant que la sécurité
de séjour n’était pas assurée ?
Paradoxalement, c’est
parce que l’immigration se sédentarise, que l’emploi devient fixe, que les
hommes se marient et que les enfants se scolarisent – en d’autres termes, c’est
parce que l’intégration se réalise – que le débat s’envenime. C’est la mobilité
sociale et professionnelle de l’immigration qui la rend visible et permet son
utilisation comme source de ressentiment vis-à-vis de la population autochtone.
La mise en évidence de la différence meuble alors certaines prises de position
politique pour mettre de la distance, là où précisément il y a de la
ressemblance (10). Les années 1970 coïncident ainsi à
la "politisation" de la question de l’immigration.
La période qui suit 1968
est marquée par de nombreux mouvements sociaux qui, d’une manière ou d’une
autre, posent avec force la question du statut des étrangers. Il ne s’agit plus
cependant d’un phénomène exclusivement wallon, mais d’une question qui concerne
tout le pays. Qu’il s’agisse des mouvements étudiants, des grèves "sauvages"
dans le Limbourg ou aux usines Michelin, menées par des travailleurs étrangers,
ces mouvements font émerger la question immigrée au premier plan. Une
association "Action Solidarité Etrangers" est fondée. Mais surtout un vaste
réseau informel de solidarité avec les étrangers se constitue. Il relie les
petits groupes activistes et les associations d’immigrés aux syndicats et aux
partis politiques, en passant par la hiérarchie catholique et des associations
diverses (11).
La question du droit de
vote cristallise bien cette politisation. Autour d’organisations de travailleurs
immigrés, du MRAX et surtout des deux grandes organisations syndicales,
s’affirment ainsi des revendications sur deux grands axes : la sécurité de
séjour et les droits politiques des immigrés. Pour la CSC et la FGTB en
particulier, comme ce fut le cas pour les ouvriers au siècle passé, il s’agit de
transformer la participation sociale en participation politique. En 1982, les
deux organisations syndicales se prononcent, en conséquence, pour le droit de
vote des étrangers à l’échelon communal.
Pendant cette même
période, la revendication des droits politiques a donc pris progressivement
corps. La création de Conseils consultatifs communaux d’Immigrés est considérée
comme une première étape vers le droit de vote. Il s’agit d’organes parallèles
aux Conseils communaux, consultatifs, composés de et élus par les immigrés. Dans
un premier temps, ces conseils stimuleront, dans les communes où ils seront
constitués, la création d’associations immigrées.
La revendication du droit
de vote et d’éligibilité sera portée ensuite par une coordination, "Objectif
82", constituée en décembre 1977 et qui regroupait autour des deux syndicats un
grand nombre d’associations belges et immigrées favorables au droit de vote.
Comme le suggérait son intitulé, il s’agissait de constituer un vaste mouvement
visant à obtenir le droit de vote, aux élections communales de 1982, pour les
immigrés résidents en Belgique depuis un certain temps (12).
Malgré l’espoir suscité par la déclaration du gouvernement Martens en 1979, qui
avait inclus dans son programme le droit de vote au niveau communal sans
condition de nationalité, cette question disparaîtra, dans les années suivantes,
des perspectives politiques.
En ce qui concerne le
séjour, après une grève de solidarité des étudiants de l’Université de Louvain
en 1970 pour s’opposer à des mesures restrictives concernant les étudiants
étrangers, une commission désignée sous le nom de son président, l’ancien
sénateur Henri Rolin, est constituée en 1971. Alors que certains espéraient que
cette commission élabore un statut de l’étranger, comprenant le droit de
vote, celle-ci limitera ses travaux aux conditions de séjour. Elle remettra son
rapport en 1972. Après une très longue gestation, les propositions de cette
commission seront à la base de la loi du 15 décembre 1980 concernant l’entrée
sur le territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

La question du droit
de vote des étrangers
L’immigration est sans
doute d’abord un phénomène économique. Mais l’imbrication des conditions de
séjour faites aux étrangers, de leur statut juridique et de leurs droits
politiques détermine en fait étroitement leur position sur le marché du travail
comme l’ensemble de leurs conditions de vie.
Alors que, sous la
pression syndicale dès 1971, aucune distinction sur base de la nationalité n’est
faite en ce qui concerne le droit de vote et d’éligibilité aux Conseils
d’entreprise et aux comités de Sécurité, d’Hygiène et d’Embellissement des lieux
de travail dans les entreprises, l’octroi des droits politiques non liés à la
nationalité n’a trouvé que peu de relais dans les partis politiques. Tout au
contraire, ceux-ci restent très sensibles aux arguments xénophobes développés
par des groupes d’extrême-droite dont ils craignent la diffusion au sein de la
population et plus particulièrement de leur électorat populaire. En particulier,
dès le milieu des années 70, la notion de "seuil de tolérance", sans qu’elle
soit explicitée toujours en ces termes, devient un argument électoral pour des
candidats dans la plupart des partis.
Entre 1971 et 1980, de
nombreuses propositions de loi furent néanmoins déposées en vue d’accorder le
droit de vote aux résidents étrangers en Belgique. Si ces propositions divergent
sur plusieurs points, notamment en ce qui concerne leur champ d’application aux
étrangers ressortissant de la Communauté européenne ou à tous les étrangers,
elles se limitent cependant aux élections locales et comportent des conditions
de durée de résidence. En 1979, cette intention est reprise dans la déclaration
gouvernementale présentée par le Premier ministre, Wilfried Martens. L’avis
négatif du Conseil d’Etat va cependant freiner ce processus (13).
La loi du 20 juin 1984 subordonne le droit de vote à l’acquisition de la
nationalité. Si, d’une part, l’accès à la nationalité se trouve facilitée par
cette loi, d’autre part, elle permet à certaines communes d’interdire
l’inscription d’étrangers non CEE sur leur territoire. Cette disposition
souhaitée par plusieurs élus locaux, sans le dire, introduit la notion de seuil
de tolérance dans la législation applicable aux étrangers.
Progressivement, dans le
courant des années 1980, un accord implicite s’est réalisé entre les grands
partis politiques sur la question de l’immigration. Aucun d’entre eux ne remet
en cause l’intégration des étrangers et tous refusent de faire de l’immigration
un thème électoral. Les différences résident davantage dans l’accent mis sur
certaines questions et notamment celle des réfugiés politiques. L’extrême-droite
réclamant, de son côté, une "inversion du courant migratoire".
Le vote d’extrême-droite
connaît depuis les élections législatives de 1985 une progression régulière.
Lors des élections européennes de 1994, les listes du Front national et de Agir
totalisent ensemble 216.872 voix, et celles du Vlaams Blok, avec 461.350
suffrages, atteignent leur meilleur score (14). Alors que
l’immigration n’apparaît plus comme un enjeu majeur dans la campagne électorale
– à l’opposé des campagnes de 1987 et de 1991 –, l’extrême-droite, qui en a fait
l’axe principal de son implantation continue, comme auparavant, à en bénéficier.
Lors de la dernière
campagne pour les élections législatives de 1995, les partis ont évité, dans
l’ensemble, les propos outranciers, les caricatures et l’utilisation xénophobe
de l’immigration à des fins électorales. Alors que le PS s’est cantonné à des
généralités, le PSC est resté muet sur l’immigration et le PRL-FDF a durci le
ton en se référant à des propositions restrictives en matière de sécurité
sociale, avancées en 1991. Seul Ecolo a inscrit dans son programme le droit de
vote aux élections communales pour les étrangers résidant depuis cinq ans. Le PS
a proposé, pour éviter toute dérive raciste ou xénophobe, une Charte pour la
Démocratie aux autres partis traditionnels francophones. Si la sérénité s’est
trouvée rétablie, les progrès de l’extrême-droite n’ont cependant pas été
freinés pour autant (15).

Les conséquences de
Maastricht
Les propositions visant à
octroyer les droits de vote et d’éligibilité aux immigrés s’inscrivaient dans le
prolongement des droits sociaux qui étaient déjà acquis. Leur logique était donc
de distinguer la citoyenneté de la nationalité. Les points de vue des partisans
du droit de vote divergeaient cependant sur l’opportunité de restrictions
éventuelles à apporter soit à l’éligibilité, soit à la limitation aux seuls
ressortissants des pays membres de la Communauté européenne, comme des étapes
transitoires à l’octroi du droit de vote.
Le débat de fond sur la
distinction éventuelle entre ressortissants des Etats membres de l’Union
européenne et ceux des pays tiers n’eut cependant pas lieu. Il s’est trouvé
tranché par la définition de la citoyenneté européenne du traité de Maastricht :
Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre (16).
Aussi le traité conduit-il à l’octroi de droits politiques, pour les élections
locales et européennes, aux seuls ressortissants des Etats de l’Union
européenne.
La Belgique et le
Luxembourg ont marqué des réticences quant à l’application de cette disposition,
par crainte des ruptures d’équilibre dans les municipalités à forte proportion
de ressortissants des pays membres. Ils ont obtenu, en conséquence, des
dérogations leur donnant la possibilité d’imposer des conditions spéciales de
droit de vote et d’éligibilité lorsque les communes comptent plus de 20% de
ressortissants de l’Union (17).
En fait, pour la
Belgique, les réticences sont flamandes et concernent l’appartenance
linguistique et culturelle des communes de la périphérie bruxelloise. Les
nombreux fonctionnaires de la Commission et les cadres européens qui y résident,
dotés d’un nouveau poids électoral, s’ajouteraient à présent à la menace que
représentait déjà à leurs yeux la "tache d’huile" francophone que constituait
Bruxelles vis-à-vis de l’identité flamande.
Ainsi, les ressortissants
des pays tiers sont exclus des droits politiques octroyés aux ressortissants de
l’Union. Simultanément, la liaison de la citoyenneté au critère de nationalité,
qui dépend précisément de chaque Etat, permet à ces derniers de garder leurs
prérogatives en la matière. Bien sûr, aucun Etat n’est obligé de se limiter et
chacun pourrait élargir, par exemple, les dispositions relatives au droit de
vote aux résidents étrangers sans discrimination de nationalité. Il en est ainsi
de la Suède où les résidents étrangers bénéficient du droit de vote sans
condition de nationalité depuis 1975, du Danemark depuis 1981, de l’Irlande
depuis 1984 et des Pays-Bas depuis 1985. Mais on l’a vu, dans le cas de la
Belgique, la volonté politique a fait manifestement défaut.

Les termes du débat
Les conditions mêmes à
travers lesquelles la politique d’immigration a pris progressivement forme en
Belgique ont contribué à définir le cadre du débat. S’agissant d’une immigration
de travail, celle-ci s’est développée sous la poussée des milieux patronaux. Ce
recours massif à l’immigration s’est cependant accompagné, en raison de la
pression syndicale, de l’accès des travailleurs étrangers aux droits économiques
et sociaux. Aussi bien en matière de sécurité sociale que de participation aux
élections sociales, ceux-ci bénéficient, dans les entreprises, des mêmes droits
que les autres salariés.
La préoccupation
démographique, fondée notamment sur le vieillissement de la population wallonne,
a eu comme conséquence une composition familiale et une sédentarisation de
l’immigration. Dès lors, la question de la sécurité de séjour se posait avec une
acuité toute particulière. La Commission Rolin était finalement chargée d’y
apporter une réponse.
Le débat sur les droits
politiques se greffe précisément sur ces deux questions. D’une part, la sécurité
de séjour en est le préalable, sans quoi la participation politique n’aurait
bien sûr aucun sens. D’autre part, la citoyenneté politique prolongerait la
citoyenneté économique et sociale déjà acquise dans l’entreprise. Les
organisations syndicales ainsi que l’ensemble des associations qui formaient
"Objectif 82" s’étaient inscrites dans cette perspective. Elles n’ont cependant
pas trouvé, dans les partis politiques, ni les relais ni les répondants à même
de faire aboutir une forme de citoyenneté politique sans condition de
nationalité.
En effet, les partis
partageant traditionnellement les responsabilités gouvernementales,
contrairement aux syndicats, ne se sont guère engagés dans cette voie. Il y a,
certes, eu des dérivatifs comme la constitution, dans plusieurs communes, de
Conseils consultatifs pour la population étrangère.
C’est au plan européen
que s’est réalisée, finalement, l’extension des droits politiques aux étrangers.
Mais, en même temps, l’octroi du droit de vote aux niveaux communal et européen
s’est trouvé lié à une règle d’exclusion que constitue la nationalité, laissant
en dehors les ressortissants des pays tiers. Si bien que la construction
européenne produit de la discrimination en créant dans chaque pays deux
catégories d’étrangers ayant un titre de séjour définitif mais des droits
inégaux (18).
Tout au long de son
développement, la population immigrée est marquée en Belgique par sa composition
familiale, inscrite dans la politique des pouvoirs publics depuis le début des
années 1960. Si bien que celle-ci s’est sédentarisée et le retour au pays n’a
pas constitué une perspective crédible. La question de la citoyenneté s’est
trouvée en conséquence très tôt subordonnée aux droits sociaux et à la sécurité
de séjour des étrangers. Le droit de vote est apparu comme une revendication
devant parachever la sécurité juridique et la citoyenneté sociale.
Les organisations
syndicales ont joué un rôle important dans cette évolution. Il ne faut cependant
pas perdre de vue la participation, en particulier dans les années 1970, des
organisations immigrées à ces actions. Bruxelles a même connu, à cette époque,
une manifestation organisée par les immigrés clandestins eux-mêmes, qui ne sont
donc pas restés en dehors de l’opération de régularisation en 1974.
En 1975, la CSC élabore,
au plan national, un statut de l’Immigré. En 1983, son comité national
définit les bases d’une politique de l’immigration. En 1986, la FGTB consacre
son congrès statutaire à l’immigration. Elle dénonce, à cette occasion, la loi
Gol de 1984 et propose un manifeste pour l’Intégration des Travailleurs
immigrés. Elle se prononce pour le droit de vote des étrangers aux élections
locales et désigne comme prioritaire la lutte contre le racisme et l’extrême-droite.
Les années 1970
constituent sans doute une période charnière dans ce mouvement. L’accès aux
droits sociaux, l’arrêt de l’immigration et les bases d’une législation
réglementant le séjour des étrangers sont établis pendant cette période. Tout se
passe comme si, à partir de ce moment, la sécurité juridique et la citoyenneté
se trouvaient liées à la fermeture des frontières. La création, en 1989, du
Commissariat royal à la Politique des Immigrés confirme le consensus qui s’est
progressivement réalisé sur la nécessité d’une politique d’intégration.

Immigration et
intégration
L’immigration de
l’après-guerre a incontestablement été, à ses débuts, un phénomène wallon. Tout
à la fois, la nécessité de relancer l’industrie charbonnière et la structure
démographique vieillie de la Wallonie en ont dessiné les contours. Il n’en reste
pas moins que la politique d’immigration a été définie nationalement et que,
progressivement, l’immigration s’est diversifiée au plan des secteurs d’activité
comme sur le plan des régions. Au moment où les immigrés sont apparus comme une
composante de la population locale, ce constat pouvait être fait aussi bien pour
la Wallonie que pour Bruxelles et la Flandre.
Certes, le rythme
particulier de l’immigration en Wallonie a marqué sa structure professionnelle,
tout comme les fréquences des diverses nationalités d’origine qui la
caractérisent. Les conditions de son intégration ont cependant obéi aussi bien
aux circonstances locales qu’aux flux migratoires, tributaires, pour
l’essentiel, d’options définies pour toute la Belgique. Enfin, les décisions
prises au niveau des instances européennes ont également conditionné, du point
de vue de la libre circulation, de la protection sociale comme de la
citoyenneté, les modalités de l’intégration.
L’évolution de l’Etat
belge unitaire vers un Etat fédéral s’est également répercutée sur la politique
d’immigration. Les compétences liées à l’accueil des immigrés ont été attribuées
aux communautés. Le point de départ étant le même, ces politiques n’ont pas
notablement divergé dans les diverses composantes de l’Etat fédéral. On a pu,
cependant, distinguer des accents quelque peu différents. Ainsi, du côté
néerlandophone, une sensibilité plus grande vis-à-vis des modèles d’intégration
anglo-saxons – d’avantage axés sur la protection des minorités ethniques – est
apparue. Du côté francophone, au contraire, le modèle français du "creuset",
privilégiant l’intégration individuelle, a gardé toute sa force.
Comme nous l’avons vu, le
mouvement migratoire a été, avant tout, un phénomène économique et le travail a
été le principal facteur d’intégration. Les organisations syndicales ont joué en
conséquence un rôle majeur dans ce processus. Dans un premier temps, les
syndicats craignaient, en raison du manque de tradition ouvrière de populations
originaires souvent de régions agricoles, une désaffection à leur égard. Ils ont
essayé en conséquence de répondre à leurs problèmes à travers d’une part de
l’organisation de services spécifiques et, d’autre part, en les insérant dans
leurs structures professionnelles et régionales.
Ainsi, dès 1947, la CSC
crée un service des Travailleurs migrants. La FGTB, qui avait mis l’accent sur
la participation des immigrés dans ses structures habituelles, créera à son
tour, dans les années 60, un service destiné aux travailleurs étrangers. Plus
récemment, l’Interrégionale wallonne de la FGTB en fera un de ses centres
d’intérêt. Ces services sont composés de militants issus de l’immigration et
traitent des dossiers concernant l’emploi, le séjour et les problèmes sociaux de
leurs affiliés étrangers. Progressivement, surtout à partir des années 70, on
trouvera également des étrangers dans les délégations syndicales d’entreprise et
dans les instances professionnelles et régionales des syndicats. Lors des
élections sociales de 1975, bien que la participation des étrangers soit encore
relativement faible dans les listes comme parmi les élus, les délégués issus de
l’immigration auront néanmoins occupé, même s’il ne s’agit que d’environ 6 % des
élus, des sièges dans les Conseils d’Entreprise et les comités de Sécurité et
d’Hygiène.
L’action des
organisations syndicales vise, d’une part, à faire pression sur les pouvoirs
publics pour une politique de l’immigration non soumise aux fluctuations de la
conjoncture économique, de manière à garantir la sécurité de séjour,
c’est-à-dire la stabilisation de l’immigration. Elle vise, d’autre part, à
assurer la défense individuelle de leurs affiliés de nationalité étrangère. Même
si les syndicats ont pour préoccupation première la syndicalisation des
étrangers, ils considèrent également que le syndicalisme constitue l’un des
facteurs principaux de l’intégration des étrangers.
Bien que l’on ne dispose
pas de données concernant les taux de syndicalisation des étrangers, ceux-ci
forment actuellement une part importante des syndiqués. Des travailleurs issus
de l’immigration sont présents dans les délégations syndicales d’entreprise,
ainsi que parmi les permanents des diverses instances et notamment des centrales
professionnelles et des régionales interprofessionnelles. Lorsqu’on examine des
conflits sociaux récents, on se rend compte que, dans beaucoup de cas, les
porte-parole qui expriment la détresse de travailleurs dont l’emploi se trouve
menacé, ou encore les revendications de ceux qui luttent pour améliorer leur
sort, sont issus de l’immigration. Le fait que cette caractéristique ne soit
plus apparente et que ces conflits sociaux n’apparaissent plus comme liés à
l’immigration est précisément parmi les signes les plus révélateurs de leur
intégration.
En réalité, l’intégration
n’est pas liée aux comportements individuels mais aux structures propres des
différentes sociétés. Ce ne sont pas des individus qui s’intègrent mais une
société qui a ses formes d’intégration particulières. Ainsi, l’intégration des
travailleurs immigrés n’a pas suivi les mêmes modalités en France, en Allemagne,
en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, en raison des caractéristiques propres à ces
différents pays pourtant voisins.
Souvent, on a pu écrire
que, au siècle passé, sa tradition industrielle et ouvrière a façonné la
Wallonie. C’est aussi cette Wallonie ouvrière qui a d’abord intégré les
différentes couches d’immigrés. Bien sûr, la cohabitation n’est pas
qu’unilatérale. C’est donc aussi l’immigration, dans ses diverses composantes,
qui a façonné la Wallonie actuelle.

Notes
1.
MARTENS, A., Les immigrés. Flux et reflux d’une main-d’œuvre d’appoint,
Louvain, Editions Vie ouvrière et Presses universitaires de Louvain, 1976.
2. HUYSE L. et DHONDT S., La répression des
collaborations, Bruxelles, CRISP, 1993, p. 156.
3. MARTENS A., op. cit., p. 35.
4. Idem, p. 41.
5. VANTHEMSCHE G., Le chômage en Belgique. Son histoire,
son actualité de 1929 à 1940, Bruxelles, Labor, 1994, p. 173 à 176.
6. Une exception notable à ce principe doit cependant être
mise en évidence : La présence de nombreux travailleurs polonais et italiens
dans les charbonnages amena les syndicats de mineurs à demander le licenciement
des étrangers, op. cit., p. 173.
7. Avant 1933, il n’y avait pas de distinction de
nationalité pour bénéficier de la protection sociale. A partir de cette date, la
nationalité belge, sauf pour les ressortissants français, hollandais,
luxembourgeois et suisses, devint une des conditions d’affiliation aux caisses
de chômage. Les anciens assurés restaient membres des caisses (sans toutefois
pouvoir bénéficier des indemnités complémentaires), les nouveaux arrivants,
principalement italiens et polonais ne bénéficiant plus d’aucune protection
contre le chômage. En 1934, la possibilité de contingenter l’emploi des femmes
et des étrangers fut donnée au ministre du Travail. Cette faculté ne fut
utilisée qu’une fois en 1935 et aboutit au licenciement de quelques 3.000
ouvriers étrangers dans le Hainaut, op. cit., p. 174-175.
8. Source INS au 1er janvier 1995.
9. BEN JELLOUN T., La plus haute des solitudes,
Paris, Ed. du Seuil, 1977.
10. REA A., Immigration et racisme, Des thèmes
fondateurs, LE PAIGE H. (dir.), Le désarroi démocratique,
Bruxelles, Ed. Labor, 1995, p. 21 à 61, p. 35.
11. DE SCHUTTER R., 10 ans de textes à l’intérieur du
syndicat, Contradictions, Bruxelles 1978. Ce livre reste un témoignage de
premier ordre sur cette période. Voir en particulier : L’opération dite
‘Bidaka’ de régularisation des travailleurs clandestins, p.209 à 228, et
Les rapports de l’organisation syndicale et les travailleurs migrants : histoire
des dix dernières années dans une région syndicale belge, p. 229 à 246.
12. Objectif 82 regroupait 33 associations belges et
35 associations immigrées. Sa plate-forme visait : 1. la sécurité de séjour par
une loi garantissant l’accès, le séjour et l’établissement; 2. les droits de
vote et d’éligibilité aux élections communales; 3. une loi réprimant les actes
de racisme et de xénophobie.
13. MABILLE X., Droit de vote et nationalité,
Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1290, 1990.
14. DELWIT P., Electeurs et militants, Des profils
incertains, LE PAIGE H. (dir.), Le désarroi démocratique,
Bruxelles, Ed. Labor, 1995, p. 81 à 101, p. 81.
15. REA A., op.cit., p. 58-59.
16. Article 18 du Traité sur l’Union européenne, 7 février
1992.
17. REA A., Les immigrés et la citoyenneté de l’Union
européenne, Les effets de clôture du traité de Maastricht et le
déplacement des discriminations, TELO M. (dir.), Dialogues européens,
Ed. de l’Université de Bruxelles, (sous presse).
18. Idem.
Ce texte est extrait du
catalogue de l'exposition
Wallons d'ici et d'ailleurs. La société wallonne depuis la Libération,
Charleroi, Institut Jules Destrée, 1996.

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