Docteur en médecine diplômé de l’Université libre de Bruxelles
en 1890, Arthur Limet fait son stage à Bruxelles puis à Anvers.
Attaché à un hôpital militaire en Bulgarie (1893), il revient un
an en Belgique (1895) avant de repartir en Bulgarie comme
médecin attaché à une compagnie de chemin de fer, puis de
revenir à Liège où il est nommé médecin en chef des usines du
Val-Saint-Lambert (1899-1908). Il est chargé de la direction du
service médical et contrôle tant ce service que le personnel
médical et pharmaceutique. Décoré à quatre reprises pour les
services rendus à la santé publique, notamment au cours de
certaines épidémies qui frappent les villes wallonnes à la fin
du XIXe et au début du XXe siècles, il est
fort apprécié par une large « patientèle » ouvrière et la presse
ne tarit pas d’éloges à son égard. En 1919, il prétendra qu’en
raison de sa popularité, on lui aurait proposé une place au
conseil provincial… à condition d’adhérer au parti socialiste,
ce qu’il aurait refusé. Apprécié par ses confrères, dont le
docteur Malvoz, Limet prend une part active à toutes les
manifestations de la vie médicale ; président de l’important
syndicat médico-rural, membre d’honneur de la mutuelle médico-pharmaceutique,
il est aussi membre de la Commission médicale provinciale de
Liège, et chargé des plus importantes enquêtes sanitaires à
Seraing et environs. Limet est l’auteur d’un grand projet de
création d’un bureau d’Hygiène à Seraing et il écrit
régulièrement dans la presse liégeoise des articles de
propagande sanitaire.
Pourtant, il quitte le Val St Lambert sur un différend avec la
direction : Limet, dont le caractère est difficile, a la
fâcheuse habitude de s’occuper de tout, même des questions qui
ne le concernent pas… À ce moment, il semble avoir été défendu
par l’avocat Charles Magnette. Arrivé à Bruxelles en 1909, il
coupe toutes ses attaches avec Liège et prête son concours à des
compagnies d’assurances avant de reprendre du service, en 1912,
comme médecin dans l’armée bulgare, quand éclate la guerre
balkanique. Administrateur délégué de l’Union mutuelle d’Épargne
et de Crédit foncier, il organise, avec le professeur Laurent,
de l’Université de Bruxelles, les services des ambulances belges
en Serbie (1913). Au moment où éclate la Grande Guerre, auteur
d’un projet visant à créer un service sanitaire pour renforcer
la Croix-Rouge de Belgique, Limet propose son aide au directeur
de la Croix-Rouge mais elle est refusée. On ne trouve aucune
trace d’Arthur Limet dans le Mouvement wallon d’avant-guerre.
Quelques expériences malheureuses en politique et une
instabilité professionnelle certaine ont aigri le caractère
d’Arthur Limet. Répudiant sa formation latine depuis quelques
années, adepte de l’Allemagne, de sa culture, de son
organisation, de son génie et de son « méthodisme », il se
proclame « grand ami de l’Allemagne » et, quand la guerre
éclate, est certain du « triomphe germanique ». Il écrit et
parle couramment l’allemand ; il s’est marié deux fois, à des
Allemandes.
Devant la débâcle belge, il affiche son mépris et ses sarcasmes
pour tout ce qui est belge. Dans une série de quatre Lettres
ouvertes au Peuple belge, il invite ses contemporains à ouvrir
des négociations de paix avec les Allemands, considérant leur
victoire acquise. Sous le pseudonyme d’un philanthrope, faisant
référence à son appartenance maçonnique à la Loge les
Philanthropes, il se proclame pacifiste, dit vouloir éviter le
massacre des troupes belges et considère que l’Angleterre et la
France sont trop faibles pour aider la Belgique. Les trois
premières lettres sont publiées en 1915. La quatrième paraît en
janvier 1918 avec le sous-titre Demain. Rendant la France et
l’Angleterre responsables de la guerre, Limet considère la
victoire de l’Allemagne définitive.
Sa quatrième lettre contient un projet de réorganisation
institutionnelle de la Belgique, État redevenu indépendant et
accordant une « autonomie administrative complète aux provinces
flamandes et wallonnes, unies par des liens fédéraux, absolument
comme la Suisse, avec Bruxelles comme centre du gouvernement
fédéral et de tous les rouages administratifs centraux ».
État-tampon – pour sauvegarder l’Allemagne contre une offensive
française ou anglaise –, les « Provinces unies de Belgique »
deviendraient une confédération des provinces flamandes et
wallonnes (sic), plus une dixième province, Bruxelles, composée
de 720.000 habitants. Il y aurait un Landtag flamand et une
diète wallonne, avec un gouvernement fédéral.
Persuadé du succès allemand, Limet accepte de devenir secrétaire
général du ministère wallon de l’Intérieur, transféré en Namur
durant l’été 1917, et tente de procéder au recrutement du
personnel nécessaire aux autres ministères wallons. Il avait
l’impression d’être le bras droit du chef allemand de
l’administration civile wallonne, Edgard Haniel von Haimhausen.
« Une paix de compromis faisait de moi un grand homme » a-t-il
écrit lui-même. Cependant, le recrutement des fonctionnaires est
semé d’embûches. Les employés de Bruxelles refusent de se rendre
à Namur. Et Limet se heurte à des refus similaires de la part
des milieux politiques wallons et laïcs. Il n’est pas question
de constituer un Conseil de Wallonie, miroir du Raad van
Vlaanderen. Son projet d’un Conseil supérieur de l’hygiène
de Wallonie échoue lui aussi.
Secrétaire général au ministère wallon de l’Intérieur jusqu’au
26 septembre 1918, médecin du consul d’Allemagne, il ambitionne
depuis plusieurs mois d’être nommé inspecteur général des
services d’hygiène en Wallonie, fonction qu’il avait fermement
demandée, avec mission spéciale d’organiser l’inspection
médicale scolaire en Wallonie ; le refus des administrations
communales wallonnes de vouloir organiser l’inspection de
l’hygiène scolaire précipite sa nomination.
Limet s’installe au château de l’Ardoisière à Jodoigne.
À la signature de l’Armistice, Limet qui était méprisé par les
Allemands à cause de ses écrits ne reçoit pas de passeport.
Alors que les secrétaires des administrations prennent le train
pour l’Allemagne, Limet et d’autres ont dû prendre le bateau
pour la Hollande. Il gagne néanmoins Duisbourg avant de venir
aux Pays-Bas. En décembre 1918, il entre en contact avec un
officier de l’armée belge et il est immédiatement arrêté à Moers
alors qu’il voulait négocier les conditions de son retour en
Belgique. Une longue correspondance écrite durant sa détention
préventive (1919) tente d’expliquer les raisons de son
comportement durant la guerre. À sa sœur, il demande
d’intervenir auprès des francs-maçons allemands, pour qu’ils
viennent à son secours ; il craint par-dessus tout d’être jugé
devant un tribunal militaire.
Emmené en Belgique, il restera en prison jusqu’à son procès. Il
écrit alors tant au juge d’instruction qu’à Jules Destrée. De
ses nombreux témoignages ressortent quelques hypothèses que
Limet croyait fondées, concernant le devenir des petits États.
Sa première hypothèse
supposait que l’Allemagne obtiendrait ou imposerait une paix par
compromission, et réclamerait la reconstitution d’une Belgique
formée d’États-tampons séparés. Dans cette hypothèse, les
Wallons auraient eu le droit de réclamer une égalité de
traitement avec les Flamands et, selon Limet, le schéma d’une
Belgique fédérale et indépendante s’imposait. À défaut de ce
schéma, la Flandre étant constituée en État indépendant séparé,
la Wallonie se serait retrouvée ballottée entre une annexion par
la France, une annexion par un État allemand ou sa
transformation en un fief allemand, dirigé par un prince
quelconque qui, après avoir épousé la Grande Duchesse de
Luxembourg, aurait réuni la terre wallonne, le grand duché et
les cantons wallons prussiens, devenant une barrière de défense
allemande le long de la ligne de la Meuse.
Dans sa deuxième hypothèse, Limet imaginait que les Alliés
exigeaient la reconstitution de la Belgique et la restitution du
grand duché de Luxembourg afin qu’il n’appartienne ni à la
France ni à l’Allemagne. Dans cette hypothèse, la séparation
administrative s’imposait, permettant l’organisation fédérale de
quatre entités, les peuples wallon, flamand, grand ducal et
bas-allemand. Enfin, à plus long terme, Limet imaginait
l’intérêt économique et politique des « États Belgiques,
Luxembourgeois, Lorrains-Alsaciens et Suisses de former une
confédération de peuples riches, industrieux et travailleurs
chez lesquels sans heurt et sans haine, pour le plus grand bien
de la paix mondiale, seraient venus se fusionner les
civilisations latine et germanique qui se complètent si
réciproquement ».
De plus, isolée, la Hollande aurait volontairement sollicité son
admission dans la confédération, réglant du même
coup les problèmes de
territoires du côté de l’Escaut et du Limbourg hollandais…
Lors du procès des Ministères wallons, qui se tient à Namur en
décembre 1919, le docteur Limet apparaît comme le protagoniste
central. Il a voulu assurer lui-même sa défense. Il ne renie
rien. Il n’est dès lors pas surprenant qu’il soit condamné à
quinze ans de prison, la peine maximale.
Ne supportant pas du tout son enfermement, Limet fait
valoir son état de santé pour être gracié. Au début de l’année
1924, à la veille d’être opéré, il écrit une lettre émouvante au
Vénérable de la loge Les Amis Philanthropes n°III déclarant
qu’il avait passé 1875 jours en prison, dix de plus que Borms, à
la même date. Il fut libéré conditionnellement et mourut presque
aussitôt.
Paul Delforge
Paul
Delforge, La
Wallonie et la Première Guerre mondiale. Pour une histoire de la
séparation administrative, Namur, Institut Destrée, 2008 |