Docteur en droit de l’Université de Liège (1885), candidat
notaire (Université de Liège, 1886), Charles Magnette poursuit
ses études à Lausanne, Paris et Berlin avant de devenir avocat
puis bâtonnier du barreau de Liège en 1917-1918. Il est alors
stagiaire chez Me Xavier Neujean (père). Juriste
distingué, orateur chaleureux et précis, Magnette conquiert peu
à peu une des premières places au barreau de Liège. Frère de
l’historien Félix Magnette, Charles Magnette est le père de Paul
Magnette.
Fondateur du journal L’Express de Liège, député libéral
radical de l’arrondissement de Liège (1894-1900), secrétaire de
la Chambre (1898-1900), conseiller communal de Liège
(1904-1926), sénateur provincial (1906-1932), tour à tour
secrétaire (1912), vice-président (1924) puis président du Sénat
(1928-1932), ministre d’État (2 avril 1925), Charles Magnette
est le grand maître du Grand Orient de Belgique et l’un des
fondateurs de l’Association maçonnique internationale. Dès le 27
septembre 1914, il lance un appel aux neuf grandes Loges
allemandes pour arrêter la guerre ; il leur propose aussi de
constituer une commission d’enquête impartiale à propos du sac
des villes belges. En vain. Par la suite, il proteste, au nom de
la franc-maçonnerie belge, contre les déportations en Allemagne
(lettre du 7 décembre 1916) ; il est arrêté le 15 décembre
1916 ; sa prise de position lui vaut plusieurs semaines de
prison. Bien avant la création de l’Assemblée wallonne, Charles
Magnette s’est manifesté par son combat contre les lois
proposées de 1894 à 1900 pour régler la question des langues ;
son opinion est simple et claire : il rejette le bilinguisme.
Ainsi, en janvier 1897, lors d’un meeting de protestation,
s’oppose-t-il à la loi Coremans. « À mon sens, cette loi est
mauvaise et néfaste car elle met aux prises deux races. Je ne me
fais pas un fétiche de l’idée de patrie. Il faut cependant
convenir qu’il y a ici plus de liberté que dans la France
républicaine ou dans la royaliste Allemagne. Il est donc à
souhaiter que nous restions Belges. Pour cela, il faut que
Wallons et Flamands restent unis. Mon âme de Wallon se révolte
contre les prétentions flamingantes. (…) La faute en incombe au
gouvernement. Maintenant, on veut nous écraser et de même que
les Flamands disent : « In Vlaanderen vlamsch », nous
dirons « La wallonnie (sic) aux Wallons ». En 1898, il accepte
de devenir membre du comité de patronage de la Ligue wallonne de
Liège. En 1905, il accepte de faire partie du comité de
patronage du Congrès wallon qui se tient à Liège les 30
septembre, 1er et 2 octobre.
Libéral progressiste, partisan du service militaire personnel,
il s’élève au Sénat contre le détournement de Liège des grands
express internationaux. Affirmant les droits de la Wallonie dans
la question des langues, il cherche en même temps des terrains
d’ententes avec ses homologues flamands.
Le 27 janvier 1911, Charles Magnette participe, à Bruxelles, à
la réunion de travail du Comité d’études pour la sauvegarde de
l’autonomie des provinces wallonnes. Ce Comité a été constitué à
l’initiative de la Ligue wallonne de Liège en vue d’étudier la
question de la séparation administrative. En quelque sorte, ce
comité prépare l’Assemblée wallonne qui est créée en 1912 à
l’issue du Congrès wallon de juillet. Membre-fondateur de
l’Assemblée wallonne, Charles Magnette lui apporte, pendant un
quart de siècle, une collaboration constante et une approbation
qui, jusqu’au dernier jour, ne s’est jamais démentie.
Représentant l’arrondissement de Neufchâteau-Virton, sa région
natale, il préside les sessions de l’Assemblée wallonne à
plusieurs reprises, surtout lorsque celle-ci doit se prononcer
sur des questions difficiles. Il assure aussi quelques fois le
bureau permanent de sa présence et de ses conseils. Il est
surtout le président de la Commission de la Justice.
Durant la Grande Guerre, resté au pays, Charles Magnette
s’impose comme une personnalité de référence. Respectueux de
l’Union sacrée, il souhaite cependant que les Wallons ne soient
pas dupes de cette attitude de respect et de silence en matière
de politique intérieure tant que les Allemands occuperont la
Belgique. Avec quarante-cinq ministres d’État, sénateurs et
députés, wallons, bruxellois et flamands, il adresse une
pétition, le 12 juin 1917, au chancelier allemand contre les
déportations de fonctionnaires et contre la séparation
administrative. Et dans le même temps, attentif à la défense des
intérêts wallons, il se montre critique à l’égard du
gouvernement du Havre, auquel il adresse des rapports analysant
la situation au pays. En juillet 1917, Charles Magnette fait
savoir au baron Capelle le mécontentement des Wallons. En
portant la querelle belge sur le plan international, on pousse
les Wallons dans les bras de la France ; le gouvernement belge
ne fait rien ; les activistes pactisent de plus en plus avec les
Allemands et l’ouverture de l’université flamande de Gand est la
goutte qui fait déborder le vase ; que le gouvernement proclame
partout sa volonté de respecter les droits des Flamands conduit
à penser que le bilinguisme sera bientôt imposé aux Wallons et
de cela ils n’en veulent pas. Il résiste aussi aux
sollicitations allemandes de participer à l’élaboration de la
séparation administrative et décourage vivement tous les Wallons
qui y sont tentés : « entrer dans les ministères wallons,
c’était manquer aux lois du plus élémentaire patriotisme ». Il
tente de décourager Oscar Colson qui accepte d’être nommé
directeur au ministère wallon des Sciences et des Arts. Il
repousse les invitations d’Arthur Limet qui verrait bien Charles
Magnette vice-président d’un Conseil wallon, équivalent du
Raad van Vlaanderen, présidé par le Zivilverwaltungschef
pour la Wallonie, Edgard Haniel von Haimhausen.
Dans le même temps, Magnette est en contact avec les milieux
français via le consul de France à Liège. Et un autre rapport de
Magnette qui daterait « d’un peu avant le mois d’août » 1917
témoigne que le bâtonnier liégeois envisage toute une
série de solutions : « Il n’est pas possible que quatre millions
et demi de Flamands continuent à faire la loi à trois millions
de Wallons. (…) J’ai entendu beaucoup de personnes, gens
cependant sérieux et cultivés, déclarer que plutôt que de
demeurer sous le joug flamand, plutôt que de se laisser imposer
une culture et surtout une langue qui n’est pas la leur, ils
préfèreraient beaucoup aller où les pousse leur affinité de
race, de langue, de mœurs, c’est-à-dire vers la France ».
Dès que la Belgique est libérée, avec les autres membres
liégeois de l’Assemblée wallonne (décembre 1918), Magnette signe
un Manifeste par lequel il rappelle les griefs wallons : alors
que la Flandre est libérée et sans attendre que la Wallonie soit
évacuée par l’ennemi, s’est constitué un nouveau gouvernement
belge et les Chambres se sont réunies. Le nouveau gouvernement
ne comprend pas trois Wallons sur ses douze membres, et aucun
qui a pris explicitement la défense des Wallons ; de plus, le
gouvernement a annoncé la création prochaine d’une université
flamande à Gand, a déclaré admettre le principe du bilinguisme
et de l’imposer au pays.
C’est à Charles Magnette (et à Franz Foulon) que l’on doit le
surnom de Loi von Bissing attribué à la loi Berryer sur l’emploi
des langues en matière administrative ; il est aussi à la pointe
du combat contre la loi de flamandisation de l’Université de
Gand. En 1921, au moment de la Constituante, il est l’un des
premiers à signer et à défendre la proposition de réforme
parlementaire préconisée par l’Assemblée wallonne. La même
année, il propose, seul, la révision de l’article 49 de la
Constitution en vue de permettre la réforme électorale adoptée
par l’Assemblée wallonne, réforme qui, si elle avait été
appliquée, lui aurait fait perdre, à lui personnellement, son
siège parlementaire. Constatant que le nombre de députés n’est
pas proportionnel au nombre des électeurs, mais bien au chiffre
de la population, il propose de rétablir l’équilibre par
l’application d’un diviseur électoral unique (art. 49 de la
Constitution). L’incompréhension des autres parlementaires
l’affecte profondément. En 1922, pour essayer de résoudre la
question de l’Université de Gand, il suggère la création d’une
toute nouvelle université flamande à Gand. En janvier 1923, avec
Jules Destrée et Max Pastur, il lance un appel aux Wallons de
tous les partis en faveur du maintien à Gand d’une université
française.
Convaincu de l’existence de différences entre Flamands et
Wallons, Charles Magnette préconise un régime différent entre
les deux peuples : unilinguisme en Wallonie, bilinguisme en
Flandre. Opposé au séparatisme qui, à ses yeux, conduirait les
deux peuples vers une autre puissance politique, il se dit
convaincu qu’une large extension de l’autonomie régionale, par
un notable accroissement des pouvoirs des administrations
provinciales, serait de nature à atténuer considérablement,
sinon à apaiser de façon complète, le conflit dont souffre le
pays (1929). Partisan d’un rattachement culturel, par delà les
frontières politiques et douanières, avec la France, il tente
désespérément de trouver un terrain d’entente au sujet des
francophones de Flandre.
En politique étrangère, il se montre passionnément francophile
et déclare n’avoir jamais compris les erreurs fatales du Cabinet
du Havre. Une bonne partie de ses efforts personnels est
consacrée à les réparer. Avec Paul Deschanel, Paul Doumer,
Lucien Hubert, Yves le Trocquer, il a tenté des rapprochements
sur tous les terrains. C’est cette même pensée qui le fait
adhérer à l’Extension française et lui fait accepter la
présidence d’honneur des Amitiés françaises et du Comité
d’études radicales franco-belge. Il jouissait d’un prestige
immense auprès de la franc-maçonnerie française : en atteste
l’existence à Paris d’une Loge Charles Magnette-Les Amitiés
franco-belges. Ministre d’État, il a souvent été un ambassadeur
officieux de la Belgique à Paris.
« Avec la volonté irréductible de défendre les droits des
Wallons, et le souci constant d’éviter les exagérations faciles
qui desservent les meilleures causes, Charles Magnette était à
ce point wallon que le roi Léopold III, dans son télégramme de
condoléances, a relevé cet attachement à la Wallonie comme le
trait le plus caractéristique de son activité politique »,
relève La Défense wallonne en 1937. « Sur son lit de
souffrance, Charles Magnette fit envoyer son adhésion à la
déclaration de l’Assemblée wallonne condamnant l’amnistie des
traîtres ».
Paul Delforge
Paul
Delforge, La
Wallonie et la Première Guerre mondiale. Pour une histoire de la
séparation administrative, Namur, Institut Destrée, 2008 |