Après des humanités à l’Athénée de Dinant et
deux années de philosophie aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur,
Auguste Buisseret termine des études de droit à l’Université de Liège
(1913). Jeune avocat très brillant, il fait son stage à Paris, chez Me
Florimond Dejardin, où il plaide avec son patron dans une affaire opposant
Anatole France à son éditeur Lemerre. Inscrit au Barreau de Liège (2
décembre 1911), il assure la défense de plusieurs patriotes devant les
tribunaux allemands pendant la Grande Guerre (1914-1918). Il sera arrêté
trois fois par les occupants, condamné à mort et son exécution sera
suspendue grâce à l’Armistice.
Fondateur-secrétaire-directeur de la Ligue
internationale du Droit des Peuples (1919), homme politique libéral,
Buisseret exerce d’abord son action à l’échelon communal. Conseiller
communal à Liège (1930-1965), échevin des Finances et des Secteurs
industriels (1934-1937), échevin de l’Instruction publique et des Beaux-Arts
(1937-1939) il donne notamment mandat pour acheter à Lucerne des œuvres que
le IIIe Reich considère comme un art décadent : Kokoschka, Ensor,
Gaugin, Chagall et Picasso. À peine élu sénateur (1939), la Seconde Guerre
éclate. Le 4 juin 1941, en même temps qu’Émile Jennissen, il est destitué de
ses fonctions scabinales par l’Occupant. Ayant mené une action anti-rexiste
et antifasciste, Auguste Buisseret est arrêté, relâché mais étroitement
surveillé (1940-1943). Cela ne l’empêche pas, comme en 1914-1918, de
défendre les patriotes devant les tribunaux et, clandestinement, d’être en
contact avec la Résistance. Cependant, en 1943, le danger se précise et il
décide de gagner l’Angleterre, comme l’a fait avant lui Georges Truffaut. À
Londres, il devient conseiller juridique de plusieurs départements
ministériels et, lorsque la guerre se termine, il est fait appel à lui comme
ministre. À l’Instruction publique (1945, 1945-1946), il crée le Théâtre
national, le Service de la jeunesse et le Fonds des bâtiments scolaires
(supprimé par son successeur). À l’Intérieur (1946-1947), il contribue à la
fondation du Conseil d’État… Après avoir été ministre des Travaux publics
(1949-1950), il sera aussi question de l’envoyer, en tant que représentant
de l’ONU, comme gouverneur de Trieste au moment où Italie et Yougoslavie se
disputent ce territoire, et puis comme gouverneur de Jérusalem, avant la
création de l’État d’Israël. Néanmoins, comme ministre des Colonies
(1954-1958), il a l’occasion de s’occuper d’un problème hors frontière. Il
fonde notamment l’Université d’Élisabethville
mais ses efforts pour réorganiser, de fond en comble, la colonie belge se
heurteront à de nombreuses oppositions ainsi qu’à un conservatisme pesant.
Sénateur de Liège (1939-1946), sénateur provincial (1946-1949 ; 1949-1961),
vice-président du Sénat (1947-1949), devenu bourgmestre de la ville de Liège
le 1er janvier 1959, Auguste Buisseret devra se résoudre à
abandonner son poste (1963) en raison de la maladie qui le mine et dont il
mourra deux ans plus tard.

Militant wallon de longue date, Auguste
Buisseret est vice-président de la Garde wallonne (de Liège) en 1913 et est
membre de l’Assemblée wallonne dès 1914 ; il participe à la relance de l’Assemblée
en 1919. Collaborateur à L’Opinion wallonne (1917-1918), à La
Jeune Revue wallonne (1919), à L’Étudiant wallon, Auguste
Buisseret apporte sa contribution au lancement d’un nouveau périodique
dénommé France-Wallonie, dont il est le secrétaire. Son programme
ressemble à celui du Congrès de la section liégeoise de la Ligue
internationale du Droit des Peuples ; l’accent est toutefois mis davantage
sur la nécessité de resserrer les liens existant entre France et Wallonie (France-Wallonie,
p. 3, col.2). Apportant son soutien à la Ligue des Lycéens wallons,
Auguste Buisseret contribue au développement de la section de Liège des
Amitiés françaises, avec Émile Jennissen et à celui des Gardes wallonnes, où
il occupe le poste clé de président, avec Léon Clerx et Jean Plomdeur.
Membre du comité de rédaction de L’Opinion wallonne (1920-1921),
administrateur-rédacteur de En Garde (1921), membre du comité
fondateur de la Garde wallonne autonomiste (10 décembre 1922-octobre 1923),
Auguste Buissere t claque la porte de l’Assemblée wallonne, en juin 1923, en
même temps que Jules Destrée et Émile Jennissen notamment. Il est en effet
convaincu de la nécessité d’adopter un système fédéraliste pour remédier à
la problématique wallonne. De ce fait, il désavoue la défense de la langue
française en Flandre, principe soutenu par l’Assemblée wallonne, et rejette
le statisme de cette dernière. Pendant toutes les années de l’Entre-deux-Guerres,
Buisseret va contribuer au développement de la Ligue d’Action wallonne de
Liège, dont il est l’un des fondateurs. Membre du comité du Cercle d’Études
du Comité d’Action wallonne (1924), vice-président de la Ligue d’Action
wallonne (1932), Auguste Buisseret est surtout le directeur de La
Barricade (1922-1931), puis celui du journal mensuel L’Action
wallonne (de 1933 au 15 février 1939), journaux d’action wallonne de
haute tenue intellectuelle. Membre du comité de la section de Liège des
Amitiés françaises (1937-1940), avec Georges Thone et Georges Truffaut, il
entend prendre une part active dans l’organisation de nombreuses
manifestations visant à défendre l’influence de la France en Belgique.
Dès le début des années vingt, les positions de
Buisseret sont clairement exprimées : la Garde wallonne autonomiste ne
croit plus en une Belgique unifiée et flamande, elle réclame d’emblée
l’autonomie de la Wallonie comme solution transitoire et préconise le
rattachement à la France comme but final. Cette position radicale s’inscrit
en fait en réaction face à l’inertie de l’Assemblée wallonne ; comme le dit
Buisseret : La Barricade (…) a suivi de près les derniers
événements de l’Assemblée wallonne. Elle a été frappée du danger que
courraient les idées autonomistes si leurs partisans ne se groupaient pas en
un comité méthodiquement organisé. Nous croyons indispensable pour la
conquête de notre idéal autonomiste de notre programme de décentralisation
régionale ou provinciale la formation d’un comité autonomiste dans lequel
seraient représentées toutes les parties de la Wallonie. Loin de nous l’idée
de créer un décalque de l’Assemblée existante, de donner naissance à un
organisme concurrent et rival. Néanmoins, ce mouvement portera le nom de
Comité d’Action wallonne.

En 1929, Auguste Buisseret fait partie de la
Commission chargée de rechercher les bases d’une nouvelle politique à suivre
et d’élaborer un projet de nouveau programme pour la Ligue d’Action
wallonne. En 1930, il participe au premier congrès de la Concentration
wallonne (septembre 1930) et devient même membre de la Commission créée par
celle-ci afin de rechercher, dans le cadre de la Belgique, la forme
institutionnelle destinée à solutionner le différend wallo-flamand. Après
quelques mois de travaux, le choix de la Commission se porte sur un projet
fédéraliste qui prévoit la reconnaissance de deux régions, la Wallonie et la
Flandre, et du territoire fédéral de Bruxelles ; séparée par la frontière
linguistique, chaque région est autonome et délègue au pouvoir central les
seules compétences de la politique étrangère, de la défense nationale, de
l’administration de la colonie et de l’établissement d’un système douanier ;
quant à l’accès aux plus hauts grades de la hiérarchie administrative, il
est permis avec la seule connaissance d’une des deux langues régionales. En
1931, il préside aux destinées de la Ligue d’Action wallonne de Liège. Ses
professions de foi wallonne, Buisseret ne les limite pas aux cénacles du
Mouvement wallon. Ainsi, par exemple, c’est devant l’assemblée du Parti
libéral liégeois, que Buisseret réclame une décentralisation de l’État belge
(1931). En 1934, lors du septième Pèlerinage à Waterloo, il succède à Jules
Destrée à la tribune. Dans un discours improvisé, le directeur de L’Action
wallonne affirme l’amitié qui unit les Wallons à la France. De 1934 à
1936, Buisseret est vice-président du bureau de la Concentration wallonne.
À partir de 1935, les articles et les
caricatures de L’Action wallonne ont pour cible la montée du rexisme
puis la politique dite d’indépendance adoptée, en 1936, par le roi et le
gouvernement. Ils ne laissent aucun acteur politique indifférent et exercent
une influence certaine sur l’opinion. Principal animateur de la Ligue d’Action
wallonne, Buisseret démissionne de la présidence du mouvement et est
remplacé par Georges Thone en octobre 1937 mais reste membre du comité. Les
raisons paraissent tenir à la préparation d’une carrière politique à
l’échelon national et à des oppositions internes de la Ligue d’Action
wallonne. En janvier 1939, Auguste Buisseret démissionne de la direction du
mensuel L’Action wallonne. En avril, il est élu sénateur. Il a 50
ans.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
Auguste Buisseret n’abandonne pas ses options wallonnes ; il les affirme
davantage dans les milieux où se prennent les décisions politiques. C’est
ainsi qu’il dépose notamment une proposition de loi portant création de
conseils consultatifs régionaux, proposition issue des délibérations du
groupe parlementaire wallon et conforme, dans son principe, à la résolution
adoptée par le Congrès national wallon lors de ses assises à Charleroi, le
12 mai 1946. Par ailleurs, Buisseret véhicule les revendications du
Mouvement wallon dans les organes politiques nationaux qu’il fréquente.
Ainsi, en 1952, dénonce-t-il au Sénat les mesures législatives prises en
matière d’investissement, qui conduisent au pillage des provinces
du sud au profit des provinces du nord, et qui sont un véritable
encouragement au transfert de l’industrie wallonne en Flandre. Membre de
Wallonie libre (1942-1965), membre du Comité permanent du Congrès national
wallon (1945-1961), membre-fondateur d’un Mouvement wallon d’éducation
populaire (1957), membre du Mouvement populaire wallon et du Mouvement
libéral wallon (1962-1965), Auguste Buisseret, devenu bourgmestre, saisira
l’occasion des fêtes de Wallonie pour prononcer des discours aux accents
wallons souvent percutants. Acquis à la cause wallonne à l’intérieur d’un
parti, le PLP, optant résolument pour une Belgique unitaire, il met les
Wallons en garde contre l’agressivité presque maladive de certains Belges
fanatisés qui tendent vers l’asservissement de la Belgique
méridionale (1960) et prône l’union des Wallons pour faire obstacle
aux ambitions démesurées d’une poignée d’impérialistes intolérants
(1962).
Paul Delforge