Licencié
en sciences politiques (administratives et diplomatiques) de l’Université
libre de Bruxelles (1954), Ernest Glinne figure parmi les fondateurs du
journal La Gauche, aux côtés de Jacques Yerna, André Renard, Ernest
Mandel, Freddy Terwagne et François Perin (1956). L’intention de l’équipe
est notamment de faire adopter par le PSB-BSP les programmes de réformes de
structure élaborés en 1954 et 1956 par les congrès de la FGTB. Très attentif
aux mouvements de libération en Afrique, Glinne lutte activement pour la
conquête de l’indépendance en Algérie et contre une guerre coloniale au
Congo. Paul-Henri Spaak le surnommera “ le Castriste ”.
Directeur du service de relations publiques et d’études du mouvement
coopératif socialiste de 1954 à 1961, il parvient à émerger au sein de la
fédération politique carolorégienne du PSB, malgré ses sympathies pour André
Renard. Député socialiste de l’arrondissement de Charleroi (1961-1981),
ministre de l’Emploi et du Travail (1973-1974), député européen (1968-1994),
il remplit aussi d’autres mandats après son transfert de Forchies à
Courcelles où le PSB était minoritaire : conseiller communal, il devient
bourgmestre de Courcelles (1965-1978) puis premier échevin et échevin de la
culture (jusqu’en 1994), tout en exerçant la vice-présidence de la
fédération socialiste de Charleroi.
Sa
sensibilité wallonne est éveillée dès l’école primaire, avant 1940, par sa
participation au théâtre dialectal (Pro Arte). Son engagement dans le
Mouvement wallon date d’avril 1961, dans la foulée des grèves de l’hiver
’60-’61, au moment où il adhère
au Mouvement populaire wallon. Dès 1961, il est membre du comité exécutif de
la section de Charleroi du Mouvement populaire wallon et collabore à
Combat. Je ne suis pas venu au fédéralisme comme certains fonctionnaires qui
ont eu des ennuis linguistiques dans leur carrière dans les parastataux…
Président de la section locale de Forchies-la-Marche du MPW (août 1961), il
est un propagandiste actif du mouvement naissant ; dès ce moment, il insiste
sur la liaison indispensable du “ contenant ” fédéraliste et du “ contenu ”
économique et social. Il était impératif d’introduire les réformes de
structure en Wallonie avant qu’elle ne perde trop de son poids dans les
rapports de force Nord-Sud. Il fait aussi partie du Comité d’Action
wallonne de Charleroi.
En 1963,
il s’abstient au moment du vote de la loi sur le maintien de l’ordre alors
que son parti est au gouvernement. Il est sanctionné comme certains de ses
collègues qui sont surnommés les “ rebelles ” (André Cools, Freddy Terwagne,
Léon Hurez, Fernand Massart). En avril, Ernest Glinne réclame le recours à
un congrès extraordinaire de la fédération socialiste de Charleroi pour
juger l’admissibilité de la sanction dont il est le seul frappé dans
l’arrondissement de Charleroi. Isolé “ structurellement ”, il sera traité
publiquement de “ fédéraste ” par des élus socialistes carolorégiens. Mis en
garde par le bureau du PSB au lendemain du pétitionnement de l’automne 1963,
Ernest Glinne choisit (comme Cools et Terwagne) de demeurer au sein du PSB
afin d’y faire évoluer l’idée fédéraliste (1964). Il choisit le parti
plutôt que l’aventure (Guy
J., p. 42), et demeure un membre des sphères dirigeantes du Mouvement
populaire wallon jusqu’à la disparition de celui-ci.
Mais il
apparaît que ses préoccupations s’orientent alors vers d’autres sujets que
la question wallonne. Il est vrai aussi que Freddy Terwagne était devenu le
héraut de la cause wallonne au sein du PSB. Néanmoins, en juin 1966, il est
l’un des rares parlementaires wallons à se prononcer en faveur de la
proposition de loi Verroken tendant à étendre à l’enseignement supérieur le
principe de l’homogénéité linguistique. Dans les faits, cela entraînait le
transfert obligatoire de la section française de l’Université catholique de
Louvain de l’autre côté de la frontière linguistique. S’inspirant du vote de
Jules Destrée lors de la flamandisation de l’Université de Gand, il
considère, en tant que fédéraliste wallon, que la revendication flamande est
légitime et que son rejet fait le jeu des fransquillons et des partisans de
l’unitarisme. D’autre part, favorable au programme de sauvetage de la
Wallonie, programme adopté par le congrès des socialistes wallons auquel il
apporte sa contribution (Verviers, 25 et 26 novembre 1967) et qu’il estime
correspondre, dans les grandes lignes, aux aspirations des 645.499
signataires de la pétition wallonne de l’automne 1963, il participe au
rapprochement de la fédération socialiste de Charleroi avec la régionale de
Charleroi du MPW. Il annonce d’ailleurs que l’excommunication entre membre
du PSB et du conseil général du MPW est caduque et préconise un
rassemblement des progressistes – en priorité avec le MOC – au lendemain des
élections du 31 mars 1968 et avant la proclamation de Léo Collard.
Lors du
cinquième congrès du MPW (Namur, 23 juin 1968), Ernest Glinne dénonce la
faiblesse du PSB qui n’a pas reporté dans le nouveau programme
gouvernemental l’essentiel des accords dits de Klemskerke-Verviers et
annonce son intention de ne pas apporter sa confiance au nouveau
gouvernement. Lors de la discussion de la déclaration gouvernementale, il
dénonce les germes de provincialisme qui sont déposés dans les textes, la
non prise en considération des revendications du personnel francophone des
services publics et surtout le reniement des propos tenus à Verviers par les
socialistes wallons. C’est pourquoi, en tant que député de la nouvelle
majorité, il s’abstient au moment du vote. Sa fédération socialiste avait
d’ailleurs dénoncé l’accord gouvernemental et c’est fort logiquement que
Glinne refusera tout portefeuille ministériel.
Aiguillon au sein de son parti, il passe outre aux interdictions de
participer aux conférences des mouvements wallons durant le printemps 1970
et explique qu’il votera “ à la carte ” le projet gouvernemental de réforme
institutionnelle dans la mesure où il contient à la fois de bons et de
mauvais principes. Rapporteur de la Commission de la Révision
constitutionnelle, Ernest Glinne démissionne en raison de l’opposition
systématique des partis flamands à l’égard de propositions visant la
reconnaissance d’un statut pour les Bruxellois (14 juin 1970). Il sera
remplacé par Maurice Denis.
Le 24
février 1971, Ernest Glinne dépose une proposition de loi en faveur du droit
de vote aux immigrés. C’est une autre priorité dans son combat. Membre du
Parlement européen, adversaire de la politique des blocs, actif opposant à
la dictature des colonels grecs et militant résolu de la décolonisation des
“ provinces portugaises ”, l’internationaliste Glinne observe que d’autres
pays européens s’engagent dans la voie de la régionalisation ; dans ce
contexte, il estime que les réformes belges de 1970 doivent être
approfondies en réglant préalablement le problème des Fourons, en
concrétisant l’art 107quater, en créant une seule Société de
Développement régional en Wallonie et en dotant les régions de réels
pouvoirs.
En 1973,
Ernest Glinne devient ministre de l’Emploi et du Travail dans le
gouvernement tripartite d’Edmond Leburton. Il soutient alors le projet
IBRAMCO, exemple, à ses yeux, d’initiative industrielle publique nécessaire
au redressement de la Wallonie. Prenant au mot le “ décret de septembre ”
adopté par le conseil flamand en matière d’emploi des langues dans les
entreprises flamandes, le ministre de l’Emploi suspend en effet l’octroi de
permis de travail à tous les travailleurs étrangers… Cela provoquera de
sérieux remous au sein du gouvernement mais ne modifiera en rien le décret
flamand et ses interprétations qu’Ernest Glinne, redevenu député, continuera
à dénoncer.
Vice-président de la fédération de Charleroi du PSB, Glinne amène cette
dernière à adopter une résolution encourageant les socialistes wallons à
concrétiser l’accord FGTB-Parti socialiste belge de 1974 reconnaissant de
larges compétences économiques et sociales aux trois régions et les dotant
d’un pouvoir législatif et exécutif propre. Avec Jacques Hoyaux, il prône
aussi la régionalisation rapide de l’administration et son implantation en
Wallonie. Pour Ernest Glinne, la deuxième moitié des années septante
signifie davantage une orientation politique plus ancrée à gauche, davantage
axée sur les questions de politique internationale que sur les problèmes
wallons. Il publie avec Jacques Yerna un manifeste en 1978 dans lequel il
affirme à la fois son orientation plus à gauche et sa volonté de rassembler
l’ensemble des progressistes de Wallonie, et il lance le journal Tribunes
socialistes.
Au
moment de la scission du Parti socialiste belge en une aile wallonne et une
aile flamande (1978), il se déclare opposé au fédéralisme à deux et en
faveur d’une régionalisation à trois, mais il insiste autant sur les liens à
maintenir avec les socialistes flamands, se refusant à croire qu’il existe
des divergences idéologiques insurmontables entre les deux partis
socialistes de Belgique. Contestant certaines orientations voulues par les
socialistes francophones, il a nettement marqué sa préférence pour un
socialisme internationaliste, à vivre des bases aux sommets (Combat,
novembre 1978).
Président du Conseil belge du Mouvement européen (-1975-), partisan de
l’élection au suffrage universel du Parlement européen, il emmène la liste
socialiste aux premières élections européennes sous ce mode de scrutin (juin
1979). Cela ne l’empêche pas de demeurer attentif au devenir wallon. Lors du
congrès du PS, à Tournai le 14 octobre 1979, il dépose, avec Jacques Yerna,
une motion critique à l’égard de la participation des socialistes au
gouvernement : au minimum, il convient de négocier avec le CVP la
simultanéité entre la régionalisation et les mesures “ anticrise ”.
Député européen (1968-1994 avec des
interruptions), il sera notamment président du Groupe socialiste. Il
défendra sans cesse la compatibilité et la complémentarité du fédéralisme
européen et du fédéralisme belge. En février 1981, il se présentera comme
candidat à la succession d’André Cools à la présidence du PS. Il provoquera
la mise en ballottage de Guy Spitaels qui ne sera élu qu’au deuxième tour
(51%-49%).
En 1984, alors qu’il conduit à nouveau la
liste européenne, la présence sur celle-ci de José Happart – en tant que
candidat indépendant – à la quatrième place suscite quelques réticences de
la part d’Ernest Glinne. Président du groupe socialiste belge au Parlement
européen, il reçoit une lettre des eurodéputés du SP qui, après avoir
souligné la collaboration exemplaire du PS et du SP, concluent qu’ils ne
supporteraient pas la présence de José Happart (15 février). Absent du
bureau du PS qui décide la présence de J. Happart (30 janvier) mais rallié à
la position du bureau (13 février), Ernest Glinne répond au SP qu’il
appartiendra au groupe de se prononcer sur l’appartenance éventuelle d’un
“ apparenté ” non affilié à un parti membre de l’Internationale socialiste.
Élu avec 234.996 voix, José Happart qui n’est pas membre du PS devient
eurodéputé et le SP fait connaître d’emblée son opposition à la présence de
Happart au sein du groupe socialiste européen. Le bureau du PS décide
qu’aucun député ne siégera à Strasbourg tant que le nouvel élu n’est pas
admis dans le groupe socialiste. Ernest Glinne refuse de suivre la décision
du PS. Il est alors suspendu pendant trois mois de sa qualité de membre du
bureau. L’adhésion de José Happart au PS en septembre 1984 apaise le
différend mais Ernest Glinne qui avait, en 1963, refusé de voter, lors du
deuxième vote de la Chambre, le rattachement des Fourons au Limbourg et qui,
en 1972, déclarait que les Fourons devraient se trouver en l’air et
bénéficier d’un statut spécial et n’être intégré ni à la Wallonie ni à la
Flandre mais relever directement du ministère de l’Intérieur, clamera,
en 1984, que le rattachement des Fourons au Limbourg n’est pas en soi
fondamentalement antidémocratique : Il faut bien être quelque part, – les
socialistes liégeois ayant été au départ des initiateurs de l’annexion – si
le droit des personnes est respecté en l’espèce dans un statut de
bilinguisme !
Il n’est pas repris par le Parti
socialiste sur les listes européennes en 1994. En mars 1998, Ernest Glinne
rompt son affiliation de cinquante ans au PS et, avec Jean Guy, fonde le
mouvement Espace Citoyen et apporte son soutien à Écolo.
En 2007, il manifeste sa sympathie pour
l’option d’un rattachement de la Wallonie à la France et, en 2008, apporte
son soutien au parti RWF, présidé par P-H. Gendebien.
Paul Delforge