Son père, ingénieur-régisseur des charbonnages
de la société de Couillet, en se préoccupant déjà du sort misérable des
ouvriers de la mine, ouvrait une voie que son fils, Paul Pastur, suivrait
toute sa vie durant. Ses études au Collège des Jésuites de Charleroi
semblent indiquer une option philosophique précise. Il suit les cours de
droit à l’Université de Liège et s’inscrit au barreau de Charleroi (1893),
après un stage à Paris et à Bruxelles. Jeune bourgeois impressionné par les
émeutes de 1886, Paul Pastur s’engage dans le mouvement socialiste alors
naissant. Avec Jules Destrée, Jean Caeluwaert et Jules des Essarts, il fonde
la Fédération démocratique (1892) dont il est le secrétaire.
Réclamant le 1er mai férié, des
augmentations salariales pour les ouvriers et le suffrage universel, déjà
défenseur de l’idée des États-Unis d’Europe, régionaliste et
internationaliste, Paul Pastur est député durant quelques mois (1899-1900),
le temps d’achever le mandat de Léopold Fagnard décédé ; on le surnomme
alors le député de Cent jours. Viscéralement attaché au Hainaut et à ses
habitants, il rejette tout mandat le conduisant hors de sa province,
refusant un poste de ministre des Sciences et des Arts de même qu’un poste
de gouverneur... Conseiller communal socialiste de Marcinelle, échevin,
conseiller provincial du Hainaut (1894-1900), député permanent du Hainaut
(13 juin 1900), il se présente aux élections législatives du 24 mai 1908,
est élu député mais démissionne, dès le 6 juin, au profit de Ferdinand
Cavrot. Réélu député le 2 juin 1912, Paul Pastur démissionne à nouveau, le
24 juillet, au profit d’Émile Brunet.
C’est vers l’enseignement que se portent ses
meilleurs efforts, un enseignement qu’il veut rénover, qu’il souhaite plus
égalitaire, pour la prolongation et l’obligation duquel il se bat. Paul
Pastur développe l’enseignement technique, les loisirs des travailleurs, le
Fonds des mieux doués, l’enseignement spécial, le recyclage, les méthodes
actives, la prospection, l’enseignement audiovisuel, etc. Il rompt, dans ses
méthodes, avec le vieux système exclusivement théorique et magistral. Il
introduit l’application pratique dans le prolongement de l’étude théorique
et il est le précurseur de l’éducation permanente. Le Hainaut lui doit
énormément en matière d’enseignement, d’éducation permanente, d’œuvres
sociales instituées pour aider l’homme, de sa naissance à ses vieux jours.
C’est Paul Pastur encore qui, sur l’exemple américain, introduisit une fête
des mères, le dernier dimanche de mai. Instituée en Hainaut pour la première
fois en 1927, cette nouvelle habitude est adoptée partout dans le pays, dix
ans plus tard. Pionnier, il l’est encore en matière d’organisation des
loisirs ouvriers : faisant circuler des théâtres de ville en ville,
organisant des concours de chansons, des bibliothèques. L’Université du
Travail de Charleroi est son œuvre la plus importante ; l’École industrielle
supérieure provinciale ouvre ses portes en 1903 afin de répandre, par des
moyens intensifs, dans toutes les couches professionnelles, l’instruction
scientifique et technique utile à l’avancement et au progrès des industries
et des métiers. En 1911, l’École adopte le titre symbolique d’Université
du Travail, établissement qui fournit à la région une main-d’œuvre qualifiée
et qui est fréquenté par des étudiants venus parfois de très loin. Chou
En-Lai en est certainement le plus connu.
Ami et collègue de Jules Destrée, Paul Pastur
est membre du comité de patronage de la Ligue wallonne de l’arrondissement
de Charleroi et fait partie de l’Assemblée wallonne dès sa création en 1912.
Il y représente l’arrondissement de Charleroi et sera membre de son bureau
permanent dès 1921, ainsi que le trésorier de 1912 à 1914 et dans les années
trente. En 1913 déjà, comme François André, Paul Pastur propose d’élargir la
compétence administrative des Conseils provinciaux ; cette décentralisation
aurait, à ses yeux, le triple avantage d’améliorer l’administration, de la
rendre moins coûteuse et de simplifier le problème linguistique. Après la
Première Guerre mondiale, il propose à l’Assemblée wallonne un projet de
solution au problème belge, basé sur la défense de l’autonomie des communes
et des provinces (1919). À ses yeux, l’État central devrait conserver des
compétences d’organisation générale : politique extérieure, finances, grands
travaux, armée, marine, législation électorale, civile, commerciale, pénale
et ouvrière. Le pouvoir central renoncerait, par ailleurs, à sa souveraineté
en matière linguistique et politique là où Flamands et Wallons sont sans
cesse en discordance. La province serait compétente notamment en matière
d’enseignement, de travaux publics, d’hygiène, de bienfaisance, etc. Le plan
de Paul Pastur privilégie enfin l’intégrité française de la Wallonie ainsi
définie par ses provinces.
En 1922, c’est au sein du POB qu’il propose et
fait adopter une série de mesures visant la décentralisation. Avec François
André, Paul Pastur présente un projet dont la décentralisation
administrative est l’axe principal. Il prône l’élargissement des franchises
du pouvoir provincial afin d’assurer à chaque province l’amélioration de son
outillage économique et de veiller aux nominations administratives,
judiciaires et dans l’enseignement, au mieux des intérêts des populations
locales : décentraliser au niveau des provinces et des communes pour
échapper au flamingantisme. En 1924, il propose à la fédération du POB
de Charleroi un projet reconnaissant trois régimes administratifs (flamand,
français, bilingue) : chaque commune choisirait (à vote secret) son
appartenance, les minorités supérieures au tiers du corps électoral
émargeant automatiquement au régime bilingue ; les communes fixeraient aussi
la langue de l’enseignement (par referendum) et le recrutement de
l’armée se réaliserait sur une base régionale.
Opposé au bilinguisme tant pour les Flamands
que pour les Wallons, Paul Pastur est convaincu de la nécessité d’une
décentralisation des pouvoirs. Oscillant entre régionalisme, fédéralisme et
provincialisme, il accorde finalement sa préférence à une décentralisation
provinciale (1929). Avec Robert Fesler et Max Drechsel, il élabore un projet
de statut linguistique et de décentralisation administrative de la Belgique
qui aurait pu être réalisé sans révision de la Constitution (1929). Ainsi
qu’il le rappelait dans une lettre adressée à François Van Belle en 1931, il
réclame une décentralisation axée sur les provinces afin d’accélérer un
processus conduisant vers une forme de fédéralisme où la Wallonie serait
plus autonome. En 1938, il accepte d’être membre du comité d’honneur du
premier Congrès culturel wallon qui se tient à Charleroi mais la mort
l’emporte avant que ne se déroulent ces assises wallonnes. Au lendemain de
son décès, un journal de Charleroi titre que le Hainaut de la première
moitié du xxe siècle
était le Hainaut de Pastur. Ami d’enfance, Jules Destrée avait dit de
lui qu’il incarnait la volonté de la terre wallonne.
Paul Delforge