Étudiant de l’Athénée de Liège, où il suit des
humanités gréco-latines, François Perin dévore de nombreux ouvrages de
littérature et développe un esprit anti-belge qui ne le quittera pas.
Produit de l’enseignement officiel, comme il aime à se présenter, il
étudie le droit à l’Université de Liège lorsque la Seconde Guerre mondiale
éclate. Il se souvient que, dans les dernières années de ses humanités
(1937-1938), il fait partie d’un groupe d’étudiants formé spontanément sous
le nom de Cercle 40, l’année 40 devant être le moment de leur accès à
l’âge adulte. Au cours des nombreux débats organisés par le Cercle, naquit
le constat que la Belgique était une stupidité historique, qu’elle était
donc grotesque, vulgaire, moralement basse, inculte, ridicule, méprisée et
méprisable. Lorsque la guerre éclate, il se retrouve en France, en tant
que soldat sursitaire. Mais la guerre se termina avant que nous ayons eu
le temps de la faire (Wallonie libre, 15 juin 1990). Membre de
Wallonie libre dès 1942 et surtout de la section Jeune Wallonie, il rejoint
les Lycéens wallons (septembre 1943) qui se transforment alors en Jeunesses
estudiantines wallonnes, mouvement wallon pluraliste, affilié à la Wallonie
libre. Outre une action par la presse clandestine, il collabore au journal
du mouvement ; François Perin fait partie de Jeune Wallonie. J’avais 20
ans en 1941, durant la Seconde Guerre mondiale et c’est à ce moment-là que
je suis devenu socialiste par haine du fascisme. Sur le plan wallon nous,
jeunes, nous avions répondu à l’appel du 18 juin du général de Gaulle avec
l’organisation clandestine Wallonie libre. Plus tard, ce sont les rencontres
avec le groupe Esprit, fréquenté par des amis de l’ULB et de l’UCL
qui m’ont influencé (Le Soir, 15 juin 1974). Début 1944, il entre
en contact avec le parti socialiste et en devient membre. Après la
Libération, il participe à une intense campagne de propagande (par
conférences, meetings, débats, organisation de bals et placardage
d’affiches), notamment en faveur de l’abdication de Léopold III. Il
participe aussi à la préparation du congrès national wallon des 20 et 21
octobre 1945. À ce congrès, François Perin ne peut pas être présent :
malade, il a dû partir en convalescence en Suisse. Pour la même raison – son
état de santé –, c’est en 1946 que François Perin achève ses études de droit
à l’Université de Liège. Stagiaire au ministère de l’Intérieur dès la fin de
son doctorat, il entre au Conseil d’État, comme substitut (1948). Assistant
à temps partiel de Walter Ganshof van der Meersch, professeur de droit
public à l’Université libre de Bruxelles (1954), chef de Cabinet adjoint
auprès du ministre de l’Intérieur Pierre Vermeylen (1954), chargé du cours
de droit constitutionnel à l’Université de Liège (1958), il est mis en
disponibilité, à sa demande, par le Conseil d’État en 1961. Ce haut
fonctionnaire de l’État est ainsi délié de son devoir de réserve. Il devient
professeur ordinaire en 1968.
Depuis 1954, il participe avec Jean Ladrière,
Marcel Liebman, Jules Gérard Libois, Yves de Wasseige, Ernest Glinne et
Jacques Yerna, aux discussions et rencontres du groupe Esprit qui, en
1958, donne naissance au CRISP. Membre actif du journal La Gauche, il
y côtoie Jacques Yerna, Freddy Terwagne et André Renard. Avec ces deux
derniers, il se trouve à la base de la création du Mouvement populaire
wallon, né au lendemain des grèves contre la Loi unique (1960-1961). Avec
Fernand Dehousse, il est rapporteur de la commission politique du congrès du
Mouvement populaire wallon (novembre 1961) : leur projet prévoit un
fédéralisme à trois où chaque région dispose d’une Assemblée nationale élue
au suffrage universel direct et au scrutin proportionnel, ainsi que d’un
Exécutif collégial responsable devant la seule Assemblée. L’État central ne
conserve que certaines compétences sur la région où est située la capitale
fédérale ; le projet prévoit aussi un Conseil économique et social régional
qui disposera de réels pouvoirs. Le referendum d’initiative populaire
est enfin inscrit dans le projet. À la tribune du congrès constitutif du
Mouvement populaire wallon, François Perin prévient que la monarchie doit
rester en dehors du débat sur le fédéralisme. Ne résistant pas à l’envie
d’ironiser sur la disparition prochaine des monarchies européennes (Un
souverain déchu a dit un jour qu’en l’an 2000, il n’y aurait plus que cinq
monarques : le roi de Cœur, le roi de Trèfle, le roi de Carreau, le roi de
Pique et le roi d’Angleterre. Le roi des Belges n’était pas mentionné. Je
m’étonnerais qu’il ne soit pas bientôt mis en disponibilité, avec pension,
pour suppression d’emploi). Cette philippique provoque les
applaudissements des congressistes mais la réaction négative d’André Renard
et de Fernand Dehousse. Après que le second s’est désolidarisé de François
Perin, André Renard souligne que Perin n’a engagé que lui-même, qu’il peut
se faire élire à la présidence si telles sont les conclusions du congrès,
mais Ce n’est pas avec des paroles prononcées dans des moments de passion
que nous sauverons la situation. Des discours, nous en avons assez entendus
pendant des années. Ce qui compte aujourd’hui, c’est l’action. L’incident
était clos.
Membre du bureau du MPW, il est l’un des
principaux responsables de la doctrine du mouvement. En 1962, il publie
La Belgique au défi, livre dans lequel il analyse de façon précise la
situation interne de la Belgique, dresse la genèse de deux peuples et, sur
base de données statistiques économiques, sociales et démographiques de la
crise wallonne, en conclut que seul fédéralisme et réformes de structure
peuvent apporter un remède à la Belgique. Fidèle aux deux revendications
majeures que sont le fédéralisme et les réformes de structure (adoptées par
le PSB en 1959, 1960, 1961 et 1962), il n’hésite pas à dénoncer les prises
de position du PSB qui s’en écartent progressivement.
Membre de la Commission politique et de la
Commission des résolutions du Congrès d’Action wallonne (Namur, 1963), le
juriste François Perin explique à la tribune comment permettre au peuple de
procéder lui-même à une révision constitutionnelle (révision de l’article 31
de la Constitution). Il défend l’idée fédéraliste et de l’établissement d’un
nouveau pacte constitutionnel reconnaissant en Belgique l’existence de deux
communautés égales en droit. Il réclame une plus grande initiative pour les
parlementaires, l’introduction du principe du referendum et la
constitution d’une assemblée wallonne ; il s’oppose à la fixation de la
frontière linguistique et à l’adaptation des sièges parlementaires au
chiffre de la population sans mesure spécifique en faveur de la Wallonie.
L’idée du referendum sera reprise par le Collège exécutif de
Wallonie, où François Perin représente le MPW, lors du pétitionnement de
l’automne 1963 : 645.499 signatures seront récoltées en faveur d’un mode de
consultation populaire directe.
Faisant suite à l’adoption par le Parti
socialiste belge d’une motion d’incompatibilité de double appartenance au
MPW et au PSB, François Perin poursuit son combat pour le fédéralisme en
dehors du PSB non sans avoir lancé un dernier pavé dans la mare socialiste
lors du congrès des 16 et 17 novembre 1963. À la tribune, il affirme aux
dirigeants socialistes que le nationalisme wallon n’existe pas, pas plus que
la culture ou la nation wallonnes. Conspué par la salle, il défend le
fédéralisme comme seule solution au mal belge et préconise le référendum
comme moyen de rencontrer le choix des gens.
Pendant quelques mois, François Perin tente de
convaincre le Mouvement populaire wallon de se transformer en un parti
politique travailliste wallon. Face au refus d’André Genot, notamment,
François Perin constitue, avec d’autres militants MPW, le Parti wallon des
Travailleurs (1964), sur les listes duquel il est élu député en 1965. Avec
Robert Moreau à Charleroi, François Perin devient ainsi le premier
parlementaire élu sur une liste exclusivement wallonne. Par la suite, dans
le souci de rassembler les forces wallonnes, le PWT fusionne avec le Front
wallon de Robert Moreau et devient le Parti wallon, dont le programme repose
sur quatre revendications : fédéralisme, réformes de structure, référendum,
retour des Fourons à Liège. En juin 1965, lors du congrès de fusion du PWT
et du FW, François Perin est désigné comme président du nouveau parti. À
cette occasion, il est chargé de la rédaction du programme économique et
social. Ce rapport s’articule autour de plusieurs axes essentiels :
planification et réformes de structure (les pouvoirs publics wallons doivent
pouvoir exercer une véritable politique économique) ; action résolue pour
moderniser l’agriculture et la dégager de l’emprise du Boerenbond ;
politique démographique résolument ouverte sur l’immigration et qui conduit
à la réorganisation en profondeur de la scolarité ; réforme de la sécurité
sociale ; réforme fiscale et salariale ; réduction du temps de travail ;
suppression du service militaire obligatoire ; réduction du budget de la
gendarmerie et extension de la sécurité sociale aux indépendants... Pour
François Perin, la prise de conscience ethnique doit s’accompagner d’une
prise de conscience économique et sociale. N’appréciant pas la
démocratie au deuxième degré, il préfère l’élection d’un Parlement wallon et
d’un Parlement flamand au suffrage universel direct, dans un système où il y
aurait moins de ministres et de parlementaires. Dès cette époque, la qualité
du travail parlementaire de François Perin ne manque pas d’être soulignée
par l’ensemble des commentateurs politiques.
Après les événements de Louvain, le Parti
wallon se transforme en Rassemblement wallon, accueillant des catholiques
déçus par l’attitude du Parti social chrétien. Entouré de Marcel Thiry et de
Jean Duvieusart, François Perin préside ce nouveau parti wallon et en
devient un des représentants à la Chambre (31 mars 1968), confirmant ainsi
son élection de 1965. Son rôle dans les discussions conduisant à la réforme
de l’État de décembre 1970 est considérable. Au sein de la Commission des
XXVIII, il apporte un programme clair tenant en quelques lignes
directrices : reconnaissance parallèle de l’autonomie des communautés
(culture) et des régions (économie et social), attribution de compétences et
de réels pouvoirs à ces entités fédérées, consultation des populations sur
le tracé des limites territoriales. La Libre Belgique titrera F.
Perin conduit le bal. S’il n’obtient que des satisfactions partielles,
elles sont néanmoins fort importantes pour la Wallonie, après l’apport de
voix libérales wallonnes au projet gouvernemental. En ayant fait admettre
que les régions devaient disposer d’une dimension politique, François Perin
peut être considéré comme un des pères du fameux article 107 quater et des
institutions régionales.
Le Rassemblement wallon que préside François
Perin ne développe pas que des positions d’ordre institutionnel. C’est la
vie de la cité dans son ensemble qu’ambitionne de changer le parti wallon.
Ainsi en 1970, François Perin propose-t-il la création de nombreux Conseils
de consommation afin d’élaborer une politique saine et réaliste des prix. De
même, en 1971, François Perin suggère de faire inscrire dans la Constitution
le droit à un environnement non polluant parmi les droits économiques et
sociaux.
En prônant une nouvelle voie, celle du
fédéralisme intégral, François Perin souhaite faire une synthèse de la
substance positive du socialisme, du libéralisme et du christianisme ;
davantage que contre les autres, c’est un combat contre eux-mêmes que les
Wallons doivent mener sur le chemin de la libération. François Perin dénonce
la sclérose qui emprisonne la société wallonne. L’autonomie – qui peut
s’appliquer à de nombreux aspects de la vie – est une libération mais aussi
un moyen de se mettre soi-même au pied du mur. La société que nous
voulons, faite d’être libres et divers, de communautés multiples, autonomes
et associées, c’est la société fédéraliste. Elle est possible dans l’Europe
occidentale entière du Cap Nord à Gibraltar (Forces wallonnes,
13 mars 1971). L’influence de Denis de Rougemont, de Jean Monnet, du
personnalisme et du fédéralisme d’Alexandre Marc est évidente chez un
François Perin qui rencontra pour la première Guy Héraud et ses idées lors
d’un colloque en 1964.
Parti d’opposition, le RW se montre
constructif. Soucieux d’atteindre ses objectifs, François Perin n’hésite à
proposer des moyens et des schémas à la majorité en place. Ainsi, à
l’automne 1972, trace-t-il le canevas d’une négociation de communauté à
communauté afin que se concrétisent les principes contenus dans l’article
107 quater ; plus précisément, il souhaite simplifier le système
tortueux issu de la réforme de 1970. Dans ses priorités, il inscrit le
retour de Fourons à la province de Liège, la dotation de l’éducation aux
Conseils culturels, la délimitation de la région bruxelloise, l’octroi de
réels pouvoirs (législatif, exécutif, financier, compétences) aux entités
fédérées. Quant aux structures périmées (la province de Brabant par
exemple), elles doivent être supprimées. Et François Perin de souligner que
l’ensemble des changements devra faire l’objet d’une consultation des
populations. Au moment de la présentation du gouvernement tripartite conduit
par Edmond Leburton (1973), François Perin dénonce la faiblesse du projet de
régionalisation et propose un contre-programme : limitation du nombre de
ministres à douze, mesures pour améliorer le travail parlementaire,
établissement d’un système scolaire pluraliste, régionalisation véritable et
totale établissant une procédure pré-fédérale.
Même si les élections du 10 mars 1974 ne
permettent pas à la fédération FDF-RW de confirmer sa progression
victorieuse, le RW accepte l’invitation à participer aux discussions de
Steenokkerzeel (19 avril 1974). Négociateur pour son parti, François Perin
est heureux d’engranger des avancées significatives pour la Wallonie. Outre
une série de compétences conforme aux souhaits du RW, François Perin obtient
la reconnaissance de Conseils et d’Exécutifs régionaux. Pour le président du
RW, le choix des sénateurs pour composer les Conseils régionaux n’entraînera
pas de nouveaux mandats et pourrait conduire à la réforme du Sénat en une
Chambre des Régions. Souhaitant poursuivre les négociations de communauté à
communauté, le RW apportera tout d’abord un soutien passif au gouvernement
minoritaire de Léo Tindemans. Soucieux de conserver la solidarité
Wallonie-Bruxelles mais en même temps d’engranger des avancées pour la
Wallonie, le RW et lui seul accepte de renforcer le gouvernement de sa
présence en même temps qu’est votée à la majorité simple le projet
provisoire de régionalisation ; il est prévu que, dans un second temps, la
négociation de communauté à communauté devra se poursuivre pour chercher un
accord sur Bruxelles avant que, dès l’automne, le gouvernement ne s’ouvre au
FDF et à la VU, après le vote du projet définitif (application du 107
quater qui requiert la majorité des deux tiers).
Durant cette phase de négociation, François
Perin accepte d’abandonner l’idée d’une consultation des populations de
Bruxelles pour définir ses limites territoriales. Cependant, avec Ch-F.
Nothomb, il propose le statu quo pour les six communes à facilités et
en même temps de doter les francophones des autres communes jouxtant les 19
communes de Bruxelles-Capitale d’un statut individuel leur permettant de
s’inscrire dans l’une de celles-ci afin d’y exercer leurs droits essentiels
et d’y être traités en langue française, notamment en matière judiciaire,
sociale et administrative (ce système sera connu sous le nom de Droit
d’inscription).
Tentant l’expérience gouvernementale afin
d’approfondir le processus de la régionalisation, François Perin devient
ministre de la Réforme des Institutions (10 juin 1974-1976), tandis que
Robert Moreau assure la présidence intérimaire du parti. Au gouvernement,
François Perin tente de mettre en application l’article 107 quater. Votée en
juillet 1974, la loi Perin-Vandekerckhove – tous les deux ministres de la
Réforme des Institutions – crée des institutions régionales provisoires. En
octobre 1974, François Perin fait ainsi partie du tout premier comité
ministériel régional pour la Wallonie (octobre 1974), sorte de premier
exécutif wallon officiel. Pendant la durée de son mandat ministériel,
François Perin entretiendra un mutisme qui désarçonnera les militants de son
parti. Je ne peux exercer à la fois un rôle de ministre et un rôle de
président de parti. Je dois loyauté à l’équipe ministérielle (1975).
L’écart va cependant se creuser entre nombre de
militants et le ministre : l’achat des F16 au lieu des Mirage français ; le
projet préparatoire de réformes institutionnelles, la rupture de
subsidiation des écoles françaises de Fourons provoquent de vifs remous au
sein du Rassemblement wallon. En remettant un Rapport politique au
Premier ministre (26 mars 1976) dans lequel il fait le bilan de la
régionalisation préparatoire et propose de nouvelles pistes, François Perin
tente de donner une nouvelle impulsion au processus de réforme
institutionnelle : il propose notamment de superposer les institutions
culturelles et régionales, de maintenir les Exécutifs régionaux pendant
quelques années encore au sein du gouvernement central et de donner un
statut particulier – à définir – à Bruxelles ; Perin propose la suppression
de l’agglomération et la fusion des 19 communes bruxelloises (par la suite,
dans les années 1980, il émettra l’idée de faire de Bruxelles un district
européen). Il estime aussi indispensable d’élaborer une procédure électorale
garantissant une représentation propre aux deux communautés linguistiques.
N’ayant pas été soumis préalablement à l’aval de son parti, ce Rapport
politique va faire éclater publiquement le conflit larvé qui minait le RW
depuis son entrée au gouvernement. Convaincu du succès de sa politique (le
bureau du PSB présente un document de travail sur la régionalisation
définitive le 8 juin 1976), François Perin se heurte à un mur
d’incompréhension du côté des militants du RW. Il est vrai aussi que le
François Perin volubile et parfois arrogant lorsqu’il était président de
parti a fait place à un François Perin taiseux et discret lorsqu’il est
devenu ministre.
Durant la même période, François Perin est en
contact avec le PSC ; en juillet, avec Jean Gol et Étienne Knoops notamment,
il constitue le groupe CRéER, club de réflexion centriste. L’échec électoral
du Rassemblement wallon aux communales de 1976 précipite les événements.
Après l’échec d’un rapprochement avec le PSC et dans la mesure où il se
trouve en désaccord avec le Manifeste politique du président Gendebien,
François Perin opte pour un rapprochement avec l’aile wallonne du PLP ;
ayant abandonné la voie du fédéralisme intégral, il quitte le RW, dynamise
l’ancien parti libéral et lui donne une coloration wallonne. La formation du
Parti pour les Réformes et la Liberté de Wallonie est annoncée le 24
novembre 1976. François Perin démissionne de sa charge ministérielle en
décembre.
Membre-fondateur du PRLw où il a souhaité avoir
la caution des sages Jean Rey et Robert Henrion, François Perin poursuit
toujours le même objectif : contribuer à la transformation de l’État belge.
Il se refuse à tout négativisme stérile et n’hésite pas, loin de la
discipline de parti, à soutenir tout projet qui lui paraît bon, quels qu’en
soient les auteurs (bien que dans l’opposition, il s’abstient lors du vote
au Sénat du pacte d’Egmont). Au sein du PRLw, François Perin se sent
cependant mal à l’aise. Ses contacts avec Jean Gol se détériorent ;
l’électoralisme du parti ne lui plaît pas, la présence de Luc Beyer de Rijke,
notamment sur les listes européennes, encore moins. Au moment des
négociations du Stuyvenberg, il se réjouira de voir le FDF reprendre le
principe du Droit d’inscription, que le parti bruxellois avait rejeté
quelques années plus tôt, et prônera le référendum d’autodétermination pour
les populations des communes bruxelloises ou proches de la frontière
linguistique. Entre le FDF et François Perin, les relations seront toujours
très tendues.
Présent comme dernier suppléant aux premières
élections européennes au suffrage universel (1979), élu par cooptation puis
directement au Sénat, il est chef de groupe de son parti lorsqu’il décide de
quitter définitivement l’hémicycle parlementaire avec fracas, le 26 mars
1980 : en pleine discussion sur le projet de régionalisation, il donne sa
démission d’élu de la nation, disant ne pouvoir rester le représentant d’un
État auquel il ne croit plus et d’une nation qui n’existe plus. La
Belgique est malade (...) du nationalisme flamand, (...) de la
particratie et (...) des groupes syndicaux de toutes natures. Le
seul précédent avait été créé en 1839 lorsque Alexandre Gendebien
démissionna pour marquer son désaccord sur l’abandon de territoires belges
aux Pays-Bas. Cinq ans plus tard, c’est-à-dire le 12 juin 1985, François
Perin démissionne du PRL dont il ne peut, dit-il, supporter la
politique conservatrice, et avec lequel il ne partage pas la même vision
du fédéralisme européen.
Puissant penseur et orateur brillant, François
Perin n’a cessé de clamer que la Belgique n’a plus de raison d’être. Au
printemps 1982, alors que la crise sidérurgique bat son plein, il considère
que la régionalisation est un échec. S’il estime que les lois de 1980
sont mieux que rien, il n’en conclut pas moins que le fédéralisme est
bloqué par les prétentions flamandes en matières économiques et sur la
question de Bruxelles. Je suis un séparatiste de cœur mais ma raison me
dit le contraire (Le Soir, 4 mai 1982). Il estime qu’un
rattachement de la Wallonie à la France se réalisera inéluctablement par
étapes. Le 26 mars 1982, pour le CACEF, François Perin suscite une réflexion
décapante et fouillée en posant la question Quelle identité pour quelle
communauté ? Tout au long des années 1980 et 1990, Perin reste un acteur
et un observateur attentif de la vie politique belge. Lors des multiples
interviews que sollicitent les journalistes, il continue à faire preuve
d’indépendance d’esprit mais aussi d’imagination institutionnelle.
Professeur de droit constitutionnel de l’Université
de Liège, il est admis à l’éméritat le 1er octobre 1986. Quelques
jours auparavant, lors du congrès constitutif de Wallonie Région d’Europe,
il apportait sa caution à la naissance du nouveau mouvement wallon (Namur,
25 septembre 1986). Membre de Wallonie Région d’Europe, il ne manque pas de
prodiguer ses conseils à José Happart. Néanmoins, rapidement, François Perin
fera savoir qu’il ne croit guère au succès de l’idée de l’Europe des
régions : ce sont les États qui feront l’Europe et celle-ci pourra alors
peut-être “ libérer ” les régions sans effacer les États.
Soucieux de faire aboutir les réformes
nécessaires au maintien de l’État belge, dans l’intérêt de ses composantes,
François Perin arrive néanmoins à la conclusion que le flamingantisme
empêche toute réforme intellectuellement acceptable. Attiré depuis longtemps
par la France, il se range progressivement dans les rangs des Wallons qui
perçoivent le rattachement de la Wallonie à la France comme une solution
réaliste. Le Belgique requiem écrit par René Swennen, un ancien
étudiant du professeur liégeois, ne manque pas de l’impressionner (1980). En
1986, il participe à la naissance du Mouvement pour le Retour à la France
(Manifeste du 21 octobre). Avec Pierre Ruelle et René Swennen, il est aussi
l’un des auteurs et signataires d’un mémorandum destiné aux membres du MRF.
Dénonçant les velléités des partisans de l’apprentissage du wallon et de la
création d’une langue commune wallonne, les auteurs du Memorandum
soulignent les liens multiséculaires qui unissent les habitants de
l’actuelle Wallonie et de la France. La langue et la culture françaises sont
la langue et la culture naturelles des Wallons qui sont en fait des
Français. Ils soulignent que la Flandre, nation en devenir, qui lorgne sur
Bruxelles et la Wallonie, est un corps étranger inassimilable pour la
France. Conscients que toutes les conditions d’un rattachement de la
Wallonie à la France ne sont pas encore réunies, ils constatent cependant
une évolution majeure même si entre partisans et opposants au rattachement,
c’est le groupe des indifférents qui est le plus important. N’imaginant pas
d’autres voies que la démocratie et le suffrage universel pour arriver à
leurs fins, les auteurs du Mémorandum prendront un maximum de contacts
auprès de tout interlocuteur français quel qu’il soit. Ils affirment aussi
que la Wallonie, peuple de langue française, est une fraction de la nation
française que seuls les aléas de l’histoire ont maintenu en dehors des
frontières de l’État français. Voulant ménager toutes les susceptibilités,
le texte prévoit de nombreuses étapes sur le chemin du retour à la France.
Quant à Bruxelles, aux communes à facilités et à la Communauté germanophone,
leur cas devra trouver une solution particulière. Ce Memorandum
servira de base au Manifeste sur la Wallonie française, publié en
avril 1990. À Paris, en 1997, lors d’une conférence de René Swennen, chaque
participant reçoit une plaquette intitulée Scission de la Belgique,
rédigée par François Perin. En 2002, François Perin annonce son adhésion au
Rassemblement Wallonie-France, présidé par P-H. Gendebien qu’il considère
comme son deuxième fils spirituel, après Jean Gol.
Homme de plume, polémiste ardent, François
Perin publia notamment La démocratie enrayée. Essai sur le régime
parlementaire belge de 1918 à 1958 (IBSC, 1960) ; La Belgique au
défi : Flamands et Wallons à la recherche d’un État (Huy, 1962) ; La
décision politique en Belgique (CRISP, s.d.) ; Le régionalisme
dans l’intégration européenne (Bruxelles, 1967) ; Germes et bois
morts dans la société politique contemporaine, (Bruxelles, 1981) ; À
la recherche d’une nation introuvable (Bruxelles, 1989).
Paul Delforge