Fils d’Édouard Remouchamps auteur de Tâti l’Pêriquî,
Joseph-Maurice Remouchamps est issu d’un milieu imprégné de
littérature dialectale. Son intérêt pour ce domaine se traduit
d’ailleurs par sa collaboration à la Société de Littérature
wallonne ou par celle qu’il apporte à la réalisation du
Dictionnaire liégeois de Jean Haust (1933), pour lequel il a
dessiné les 735 figures d’illustration.
Après des études de droit qu’il réussit brillamment en 1901 à
l’Université de Liège, il s’inscrit au barreau de cette même
ville. Il quitte ses fonctions d’avocat en 1911 pour se
consacrer pleinement au Mouvement wallon. Ainsi en 1912, il
participe à la fondation de l’Assemblée wallonne dont il devient
le secrétaire général le 14 décembre 1919, remplaçant Jules
Destrée nommé ministre des Sciences et des Arts. Juste avant la
guerre, J-M. Remouchamps avait préparé un projet de réforme
parlementaire prévoyant la délimitation des régions wallonne et
flamande selon la langue usuelle la plus employée par leurs
habitants, avec adaptation lors des recensements.
Au lendemain de l’Armistice, le groupe liégeois de l’Assemblée
wallonne se réunit et publie un Manifeste (décembre 1918) qui
évoque les griefs wallons. Alors que la Flandre est libérée et
sans attendre que la Wallonie soit évacuée par l’ennemi, s’est
constitué un nouveau gouvernement belge et les Chambres se sont
réunies. Le nouveau gouvernement ne comprend pas trois Wallons
sur ses douze membres, et aucun qui a pris explicitement la
défense des Wallons ; de plus, le gouvernement a annoncé la
création prochaine d’une université flamande à Gand, a déclaré
admettre le principe du bilinguisme et de l’imposer au pays.
J-M. Remouchamps est l’un des quinze signataires de cette vive
protestation.
Après l’Armistice, le rôle de Remouchamps au sein de cette
Assemblée sera de plus en plus déterminant. Conscient que les
problèmes wallo-flamands sont bien plus profonds qu’une simple
querelle linguistique, il préconise une solution permettant
l’égalité politique des Wallons et des Flamands au sein de
l’État belge par le biais d’un vote bilatéral. L’idée a été
énoncée par Jules Destrée dans un discours à Piéton du 5 juillet
1919, reprise et développée ensuite par Joseph-Remouchamps
auquel on accorde généralement la paternité de la formule. À
Piéton, Jules Destrée disait : Il faut donner à la Wallonie la
garantie qu’elle ne sera pas écrasée par la Flandre et
vice-versa. Un procédé peu compliqué pourrait être préconisé,
entre autres ; c’est de faire voter au Parlement successivement
les députés de la partie flamande et ceux de la partie wallonne,
et de décider qu’aucun texte de loi ne serait adopté que
lorsqu’il aurait réuni les deux majorités. Pareille disposition
consacrerait l’autonomie des deux régions et leur union.
Ne nécessitant pas de révision de la Constitution et
garantissant le droit des minorités, le système dit Remouchamps prévoit qu’à
côté de la majorité ordinaire nécessaire à l’adoption de toute
loi, on ajoute une majorité au sein de chaque groupe
linguistique. Ce type de vote qui permettrait à la Wallonie de
se soustraire à la volonté majoritaire de la Flandre est
développé dans son livre Le Vote bilatéral et le
bilatéralisme. Essai d’organisation de l’Unité nationale pour
l’équilibre des partis et l’égalité des races (1919). La
proposition de révision constitutionnelle portant sur ce système
est présentée à la Constituante en 1921. Remouchamps, alors
sénateur libéral suppléant (1921-1925) participe aux débats.
Connu sous le nom de Vote bilatéral, le projet est déposé comme
proposition de loi au Sénat et est rejeté par une unanimité
flamande alors que les socialistes et les libéraux wallons l’ont
accepté (19 octobre 1921).
Si J-M. Remouchamps est un militant de la première heure, il
n’en est pas moins un Belge enraciné dans la Révolution de 1830,
s’accrochant sans faiblir au maintien de l’État Belgique de
langue française, langue qui est le véritable ciment de l’Unité,
le seul lien intellectuel qui tienne unis les Belges en nation.
Il ne renoncera jamais à la défense de la langue et de la
culture françaises en Flandre. Cette politique va d’ailleurs
aboutir à des oppositions sérieuses au sein de l’Assemblée
wallonne et donner lieu à une série de démissions des
fédéralistes tels que Jules Destrée, Auguste Buisseret, Émile
Jennissen ou Jean Roger, entre autres, en juin 1923. Défenseur
des francophones de Flandre, Joseph-Maurice Remouchamps ne peut
accepter l’idée même du fédéralisme consacrant l’autonomie de la
Wallonie, aboutissant selon lui à la destruction de l’État
Belgique. Les lois linguistiques qui consacrent l’unilinguisme
de la Flandre brisent déjà l’unité culturelle de la Belgique.
Après le départ des fédéralistes, l’Assemblée wallonne va peu à
peu se confondre avec son secrétaire général. Directeur,
administrateur et secrétaire général de La Défense wallonne
(1920-1923), organe officieux de l’Assemblée wallonne, il signe
de nombreux articles démontrant l’asservissement politique et
économique de la Wallonie par une Flandre majoritaire. J-M.
Remouchamps ne cessera d’être le porte-parole de la tendance
unioniste. Mais son action ne se limite pas à sa participation à
l’Assemblée wallonne. Son œuvre, sa vie même, est la réalisation
du Musée de la Vie wallonne, aujourd’hui installé dans la très
belle Cour des Mineurs, à Liège.
L’idée de constituer un « Musée de Folklore » remonte à 1891 et,
plus précisément à l’Exposition d’Ethnographie congolaise qui
s’est tenue au Conservatoire de Liège. Néanmoins, ce n’est qu’en
1912 que Joseph-Maurice Remouchamps en pose les premiers
fondements. Le but de ce Musée est de créer le reflet le plus
réaliste et fidèle possible de la vie populaire en Wallonie. Il
s’agit donc d’une véritable mémoire collective populaire. Son
créateur et directeur jusqu’à la fin de sa vie y a rassemblé les
objets les plus divers, des documents écrits ou iconographiques.
On y trouve donc, non seulement, des aspects folkloriques
(anciens métiers et techniques) mais aussi des documents
historiques, ce qui fait de ce musée un des modèles du genre.
Dans son souci de rassembler le maximum d’objets de toute
nature, Remouchamps met sur pied un Service des enquêtes qui
publie le Bulletin des enquêtes à partir de 1924. Son
activité de rédacteur d’ouvrages scientifiques complète le
portrait du personnage. On lui doit notamment une Carte
systématique de la Wallonie, précédée d’une note sur la
frontière linguistique. La fixation de la frontière linguistique
telle que l’envisage Remouchamps se révélera être très proche de
celle qui sera adoptée officiellement en 1962. Il publie
également en 1936 un ouvrage sur La Francisation des
arrondissements de Bruxelles, Arlon et Verviers au cours d’un
demi-siècle (1880-1930), témoignant de l’intérêt qu’il porte
aux recensements linguistiques décennaux. On retrouve d’ailleurs
de nombreux articles sur ce sujet dans La Défense wallonne.
Joseph-Maurice Remouchamps a consacré sa vie au Mouvement
wallon, en caractérisant son action par un refus obstiné et
constant des principes du fédéralisme, et considérant que seule
la liberté, notamment linguistique, suffisait. Le 15 mars 1937,
il démissionne du secrétariat général de l’Assemblée wallonne,
tout en conservant son poste au sein de la Commission de
Contrôle linguistique du ministère de l’Intérieur. Cette
décision est due d’après son propre aveu, à son découragement
face à l’inertie du Mouvement wallon. On peut cependant se
demander si cette démission n’a pas été aussi influencée par les
attaques de L’Action wallonne sur l’attitude de
l’Assemblée wallonne et surtout sur celle de son secrétaire
général à l’égard du rexisme. En effet, lors de la campagne
électorale de 1936, l’Assemblée wallonne se montre favorable aux
idées de Rex notamment dans ses revendications linguistiques
(libre choix du père de famille, respect de l’autonomie
communale, recours éventuel au referendum populaire) et sur son
programme de décentralisation régionale, avec, pour Bruxelles,
l’installation d’un bilinguisme des fonctions et non un
bilinguisme personnel. Il faut remarquer que des rexistes font
partie de l’Assemblée wallonne, tels Paul Collet et Joseph
Mignolet. Si le premier n’a en rien collaboré avec l’occupant,
on ne peut pas en dire autant pour le second.
Quant à J-M. Remouchamps, L’Action wallonne lui reproche
ses entrevues avec Léon Degrelle, entrevues qu’il ne nie pas
mais qu’il replace dans le cadre des contacts qu’il a toujours
eus avec les responsables des différents partis politiques. Le
manque d’informations plus précises empêche donc de faire la
lumière sur ce point. Il est à espérer qu’un jour, les archives
de Henri Putanier – secrétaire administratif de l’Assemblée
wallonne et principal rédacteur de La Défense wallonne –,
aujourd’hui propriété privée des descendants de J-M. Remouchamps,
seront enfin consultables et permettront de mieux appréhender la
réalité.
Sophie Jaminon – Paul Delforge |