Maurice Wilmotte appartenait à une famille de la bonne
bourgeoisie liégeoise. Son père, Guillaume, était ingénieur en
chef des travaux de la ville tandis que sa mère, Adélaïde
Thonnar, était apparentée à des gens de robe, les de Behr. Son
éducation – à l’Athénée, puis à l’Université – est soignée. À la
faculté de philosophie et lettres, il est d’abord vivement
impressionné par l’éloquence de Godefroid Kurth mais il finit
par adhérer corps et âme à l’enseignement de son professeur
d’histoire de littérature française, Jean Stecher. Celui-ci
sympathise avec le jeune homme et assure plus tard son élection
à la classe des lettres de l’Académie de Belgique (1897).
Wilmotte s’en va ensuite compléter à Paris sa formation
philosophique. Il y noue des amitiés durables qui lui permettent
de fonder, en 1888, la revue Le Moyen Âge. C’est surtout
Gaston Paris qui se lie à lui, encourage ses premières
recherches sur le dialecte wallon, lui ouvre l’accès de sa
prestigieuse Romania. Après un séjour de trois semestres
outre-Rhin (1885), Maurice Wilmotte se voit confier
l’enseignement du français à l’École normale. Un arrêté royal du
17 octobre 1890 le transfère à l’Université où il inaugure un
peu plus tard en tant que professeur extraordinaire la section
de langue et de littérature romanes. Le 10 avril 1895, il
devient professeur ordinaire de l’Alma Mater liégeoise.
Entre-temps, Wilmotte a édité avec Le wallon. Histoire et
littérature un petit ouvrage qui se penche sur l’origine de
nos patois tout en fournissant des articles à maintes
publications. Il collabore en effet dès 1881 à la vénérable
Revue de Belgique (il est d’ailleurs le dernier directeur de
ce phare du libéralisme belge), à la Revue de l’Instruction
publique (1885), à la Revue des Patois gallo-romans.
Il a en outre signé des contributions dans la Revue des
langues romanes, dans La Wallonie, de Mockel (1889)
puis dans Le Bulletin de Folklore de son ami Eugène
Monseur (1891-1892). Enfin, alors qu’il assume la codirection du
Moyen Âge, il participe également à la naissance de La
Revue wallonne qui veut, un temps, prendre la relève de
La Wallonie expirante.
La chose publique séduit un temps cet homme à l’activité
débordante. Journaliste, il fait ses débuts au très
libéral-doctrinaire Journal de Liège. Il prête sa plume au
Petit Bleu, au Messager de Bruxelles, à La Flandre
libérale, à L’Indépendance belge, au Soir. Ses
goûts démocratiques le poussent à s’associer à la fondation d’un
quotidien progressiste, L’Express, et à se lancer dans la
politique liégeoise sous les couleurs du libéralisme
radicalisant. Une élection gagnée, une élection perdue (1895)
lui font comprendre que là n’est pas son destin.
Tout en continuant à entretenir des contacts utiles – avec Jules
Destrée et Émile Vandervelde notamment – il se consacre à ses
travaux scientifiques et forme de nombreux disciples : Jean
Haust, Maurice Delbouille, Georges et Auguste Doutrepont...
Pourtant, d’une certaine manière, Maurice Wilmotte continue à se
pencher sur différents problèmes relatifs à l’organisation de la
Cité. En 1902, par exemple, il intègre dans La Belgique
morale et politique (1830-1900) un copieux chapitre d’une
cinquantaine de pages sur les conflits de race et de langue.
Dans cette étude – rééditée en 1905 – il affirme encore la
suprématie « naturelle » du français sur le flamand. Ce n’est
plus le cas en 1912, lorsqu’il fait paraître La Culture
française en Belgique. La roue a tourné. Il lui semble
désormais que la frontière linguistique doit constituer la ligne
d’arrêt sur laquelle les populations de langue romane doivent
défendre leur culture. Précisément, sa grande œuvre,
l’Association pour la Culture de la Langue française l’a amené
peu à peu à cette prise de position. Certes, les congrès qu’il
organise à Liège en 1905, à Arlon en 1908, à Gand en 1912
constituent autant de brillantes réussites mais la poussée du
Mouvement flamand est désormais trop forte pour que les
francophones de Flandre puissent y opposer une résistance
efficace.
Présent aux divers congrès wallons qui s’égrènent de 1905 à 1913
(en 1905, il accepte de faire partie du comité de patronage du
Congrès wallon qui se tient à Liège les 30 septembre, 1er
et 2 octobre), Wilmotte continue à y défendre la langue de
Voltaire. Néanmoins, au cours de celui qui se tient en juillet
1912, il demeure fort réservé sur la nature de la séparation
administrative qui y est préconisée : le francophone l’emporte
décidément sur le Wallon. Au fil de ces grandes manifestations,
Wilmotte a resserré les liens avec ses amis français tant et si
bien qu’il sert d’honorable correspondant au Deuxième bureau.
Ces occupations lui valent d’être tenu pour un des ennemis les
plus constants du Reich wilhelminien. C’est à ce titre qu’en
août 1914, au moment de l’invasion allemande, il est prié par le
ministre de France à Bruxelles de se mettre hors de portée de la
Feldpolizei. Grâce à Paul Deschanel, alors président de
la Chambre, il peut continuer son enseignement à l’Université de
Bordeaux puis, au printemps 1915, à la Sorbonne. La même année,
voulant aider à normaliser les rapports entre la France et la
Belgique, il fait jouer ses relations pour mettre sur pied le
Comité d’Entente franco-belge. Il en sera jusqu’à son décès le
secrétaire général. Après le conflit, ce Comité, qui dispose de
la Revue franco-belge, peut compter sur des
administrateurs prestigieux, du Wallon Charles Magnette au
Français Albert Lebrun, mais il ne dépasse guère quatre cents
adhérents et échoue dans toutes ses tentatives de rapprochement
douanier. Au déclin de l’Entre-deux-Guerres, il n’en reste plus
grand chose.
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Depuis Bordeaux, Wilmotte publie, dans le journal La Petite
Gironde, une série d’articles où il se déclare grand
partisan de la séparation administrative de la Flandre et de la
Wallonie dans une Belgique restaurée après la guerre. Le
patriotisme de Wilmotte n’est pas à prendre en défaut. Durant
l’été 1916, il a adressé une lettre ouverte au recteur de
« l’Université allemande de Gand » (sic), qui a circulé sous le
manteau en Belgique et qui ne souffre aucune ambiguïté. « Je ne
vous connais pas, et ne veux point vous connaître », écrit-il
d’emblée au recteur car « tout homme qui pactise avec nos
oppresseurs est un ennemi, dont nous souhaitons le châtiment.
(…) ». Et Wilmotte de souligner que « la place de nos étudiants
est aux environs de Dixmude ; elle n’est pas dans les
amphithéâtres désertés, que nos professeurs refusent unanimement
d’animer de leur parole ».
Adversaire résolu de la séparation administrative avant-guerre,
le professeur liégeois avait résolument combattu sur ce point le
programme et les tendances de l’Assemblée wallonne. Mais ses
idées semblent avoir évolué. En 1917, dans La Petite Gironde,
Maurice Wilmotte demande que le problème wallon soit saisi par
la Société des Nations. Le quotidien activiste Gazet van
Brussel voit alors en Maurice Wilmotte « le paladin liégeois
de la propagande française en Belgique », et se réjouit que le
professeur liégeois défende le principe de
« l’internationalisation de la question des langues ». En
février 1918, c’est dans Le Journal des Débats que
Wilmotte réitère, sous le titre Flandre, son vœu de voir le
problème belge réglé par les grandes puissances, ce qui n’est
guère apprécié au Havre, et à la Panne d’autant que Kamiel
Huysmans tient les mêmes propos, à quelques jours d’intervalle.
En avril, dans la Revue des Nations latines, Wilmotte
ajoute que la France a son mot à dire dans la question des
langues en Belgique. Qualifié d’activiste wallon par Het
Vaderland et accusé de menées antinationales par La
Nation belge, Maurice Wilmotte est loin d’être un
rattachiste. Plutôt patriote belge et wallon francophile, il
demande, pour sa part, que le gouvernement du Havre prenne
immédiatement des mesures contre les activistes flamands,
coupables de la trahison la plus odieuse. Il pense aussi que la
décentralisation est une solution préférable à la séparation
administrative. Cette idée – la séparation – qui a eu de
nombreux partisans à l’ouest comme à l’est de la Belgique n’a
aucune chance de survivre à la fin de la guerre, estime-t-il,
car « la guerre l’a tuée et rien ne pourra la ressusciter. Elle
apparaît aujourd’hui, aux yeux de tout patriote belge, comme une
mesure boche, dont il serait criminel de réclamer le maintien
après la signature de paix ». Durant la Grande
Guerre, Wilmotte signe aussi l’un ou l’autre article dans la
Nouvelle Revue wallonne dirigée à Paris par Paul Magnette et
Oscar Gilbert. Il ne refuse pas d’exprimer son avis dans les
colonnes de L’Opinion wallonne.
Il faut encore ranger parmi les essais avortés d’influer sur le
cours politique des choses la curieuse initiative prise par
Wilmotte peu après son retour au pays. On le voit se charger en
Rhénanie occupée de la gestion d’une feuille quotidienne, La
Dépêche belge, lancée avec l’appui financier des services
secrets belges. Il s’agit de favoriser l’éclosion d’un courant
autonomiste-rhénan capable de détacher cette région du Reich
vaincu. Là aussi, c’est un échec. La Dépêche belge ne vit
que du 4 mars 1922 au 7 février 1923. C’est également en 1923
que Wilmotte crée avec son collègue de l’Université libre de
Bruxelles, le professeur Charlier, une maison d’édition, La
Renaissance du Livre, doublée d’une filiale parisienne, Les
Éditions Albert.
À partir de cette époque, il s’attache plus strictement à des
travaux littéraires. Désigné le 19 août 1920 par le roi Albert
comme premier membre de la section de philologie de l’Académie
de Langue et de Littérature françaises, il attache son nom à des
études sur Chrétien de Troyes, sur la Chanson de Roland, sur le
Graal...
Parvenu à l’éméritat en 1931, il a le temps de rédiger quatre
ans plus tard Nos dialectes et l’histoire. Il y dénonce
la surestimation des apports germaniques dans le wallon au
détriment du substrat celtique. Enfin, au déclin de sa vie,
Maurice Wilmotte réussit à produire deux ouvrages de synthèse,
qui sont des testaments littéraires : L’épopée française,
origine et élaboration (Paris, 1938) puis Origine du
Roman en France. L’évolution du sentiment romanesque jusqu’en
1240 (Bruxelles-Liège, 1941).
La défaite de 1940, l’écroulement de la IIIe
République, le second exode qu’il doit subir dans la région de
Toulouse alors que sa santé décline altèrent sa confiance dans
les idéaux démocratiques de sa jeunesse. Ses Mémoires,
parues à Bruxelles après la Libération, témoignent de son
désarroi (1948). Il s’éteint à son domicile de Saint-Gilles, le
9 juin 1942 sans avoir perçu le moindre signe de renaissance
française. Son corps revient dans sa ville natale. Il repose
désormais au cimetière de Sainte-Walburge.
Alain Colignon - Paul Delforge |