Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la
politique suivie par l’Assemblée n’évoluera pas. Lors de chaque campagne
électorale, elle réalise un questionnaire qu’elle soumet aux candidats
francophones, questionnaire visant à dégager les « bons candidats wallons »
des autres. Elle suit en cela sa logique d’apolitisme. À chaque tentative de
création d’un parti wallon, l’Assemblée réagit par une condamnation et
rappelle ses membres à l’ordre. Plutôt que d’accorder leurs suffrages à
une liste vouée d’avance à l’insuccès, les électeurs wallons serviront leur
cause en soutenant, chacun dans son parti, le candidat le plus résolu à
résister au flamingantisme.
La « séparation administrative » pour laquelle
l’Assemblée avait été créée, n’est toujours pas envisagée. En 1925, une
fois de plus, l’Assemblée wallonne affirme que le chaos où se débat la
Belgique est principalement dû à son statut politique datant d’une époque où
la possibilité d’un noyautage flamingant n’était même pas soupçonnée. Elle
proclame que la nationalité belge ne peut être sauvée que par une réforme
profonde de son organisation parlementaire et gouvernementale. Cependant
aucune décision concrète ne suit.
En mai 1926, La Défense wallonne, qui
paraît depuis 1923 dans un grand format, subit une modification de
périodicité. D’hebdomadaire, elle devient bimensuelle. La raison avancée est
que la gravité de la crise financière et monétaire que traverse la
Belgique doit reléguer momentanément au second plan toutes les
préoccupations d’ordre politique. Serait-ce plutôt le premier signe de
perte de vitesse de l’Assemblée ? On peut le penser car, en novembre de la
même année, un appel à l’aide est lancé dans La Défense wallonne. Les
dirigeants de l’Assemblée veulent élargir la diffusion de leur journal car
un journal qui n’est lu que par un groupe, même important, d’abonnés
fidèles piétine sur place, un organe dont le but est de défendre une idée ne
vit réellement que s’il se développe sans arrêt.
Les problèmes financiers que connaît l’Assemblée
sont dus non seulement à la diminution du nombre des lecteurs et à
l’augmentation du coût général de la main d’œuvre et des matières premières
mais aussi à la suppression des subsides de la Ville de Liège. Sur ce point,
on constate que la concurrence entre l’Assemblée et la Ligue d’Action
wallonne de Liège a tourné en faveur de cette dernière. Ce n’est pas un
hasard puisque, Auguste Buisseret, directeur de l’Action wallonne,
est nommé échevin des finances en 1933, année de la suppression de la
subvention accordée à l’Assemblée par la Ville.
En 1929, l’Assemblée publie le résultat
d’études sous l’intitulé Cahiers des griefs de Wallonie. De plus, au
sein de l’Assemblée apparaît une nouvelle dissension. Le directeur de La
Défense wallonne, Yvan Paul n’étant plus en accord avec la politique du
groupe démissionne en janvier 1933. Il est remplacé par Marcel Grafé qui
réaffirme les positions unionistes de l’Assemblée.
Celle-ci s’enlise dans la voie qu’elle s’est
tracée, se rendant compte peu à peu qu’elle est en perte de vitesse mais ne
voulant pas avouer que ses thèses sont trop rigides, ou trop en recul par
rapport à un Mouvement wallon qui s’oriente de plus en plus vers des thèses
fédéralistes. En fait, malgré cela, elle n’abandonnera jamais le programme
minimum qu’elle s’était fixé en 1920.
La LIIe session de l’Assemblée
wallonne, réunie le 3 novembre 1935, en présence de Jules Destrée invité,
réaffirme, par exemple, son loyalisme à la Belgique, son attachement à l’unilinguisme
intégral en Wallonie, son rejet de toute formule fédéraliste ou séparatiste,
l’abolition de toutes contraintes linguistiques à Bruxelles, la fixation de
la frontière linguistique sur base du libre choix des communes, une
répartition équitable des dépenses pour travaux publics, ainsi qu’une
révision constitutionnelle garantissant l’égalité des Wallons et des
Flamands au Parlement. La question bruxelloise est au cœur des débats ; J-M.
Remouchamps n’hésitera pas à tancer les Bruxellois : une solidarité
agissante doit les unir aux Wallons sous peine de succomber au bilinguisme
voulu par certains Flamands. La protection efficace de la frontière
orientale et la poursuite d’une politique militaire et économique avec la
France sont aussi à son programme.
En 1936, la politique dite d’indépendance
imposée par Léopold III et son gouvernement provoque de vives réactions au
sein de l’Assemblée wallonne qui a toujours défendu les accords militaires
franco-belges. Dans ce cadre, elle ne peut accepter l’abandon de la
frontière de l’Est car elle considère que la Wallonie serait alors sacrifiée
et offerte à l’Allemagne.
Dans le domaine de la politique intérieure, on
assiste à la montée de l’extrême droite. Lors de la campagne électorale de
1936, Rex développe un programme dont certains points, comme ses
revendications linguistiques (libre choix du père de famille, respect de
l’autonomie communale…), trouvent un écho très largement favorable auprès de
l’Assemblée. De nombreux articles parus dans La Défense wallonne, et
signés notamment J-M. Remouchamps, le démontrent d’ailleurs. Fidèle à son
apolitisme et soucieuse de n’exclure aucune tendance, l’Assemblée accueille
en son sein des personnes comme Paul Collet ou Joseph Mignolet.
Toujours en 1936, l’Assemblée doit faire face à
un nouveau problème : la maladie de certains de ses dirigeants. C’est
d’abord Marcel Grafé qui, souffrant, démissionne en mai. Il mourra le 8
juillet de la même année. Ensuite, c’est au tour de J.-M. Remouchamps ; il
démissionne en avril 1937 de ses fonctions de secrétaire général et de
membre du bureau permanent. C’est l’Assemblée tout entière qui est
décapitée. Elle
survivra cependant jusqu’en mai 1940, grâce à son secrétaire
administratif, Henri Putanier. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Assemblée
cesse de nouveau toute activité, de façon définitive pourrait-on
croire.
Cependant, au lendemain de la Libération, Henri
Putanier tente de relancer l’Assemblée wallonne. Secrétaire d’un bureau
provisoire composé d’une vingtaine de membres, il reprend contact avec
les « anciens » et, sous forme de synthèse, publie un manifeste (le 12 juin
1945). Dans les grandes lignes, il renoue avec le programme de l’Assemblée
wallonne d’avant-guerre. Les thèses défendues ont peu évolué depuis les
années trente, l’Assemblée combattant toujours pour une Wallonie
respectée dans une Belgique unie et libre, l’égalité politique,
administrative, économique et financière de même que pour la création d’une
radio wallonne officielle, la rectification de la frontière linguistique, le
refus du bilinguisme à Bruxelles et l’intensification des relations
franco-belges. On constate toutefois que le programme de l’Assemblée
wallonne s’ouvre vers des formules de décentralisation voire éventuellement
le régime fédéraliste. Le souhait du bureau provisoire est d’amener l’Assemblée
wallonne à redevenir une espèce de conseil consultatif semi-officiel où
toutes les tendances de l’opinion wallonne se rencontreraient et
aborderaient les problèmes de l’heure avec, comme objectif, de trouver les
meilleurs moyens de sauvegarder les intérêts de la Wallonie. Putanier
tentera de rallier à sa cause hommes politiques, académiciens, journalistes,
universitaires, syndicalistes… mais il marche là sur un terrain déjà occupé
par le Congrès national wallon.
On est d’ailleurs en droit de se demander si l’Assemblée
recouvre encore une réalité autre que le seul Putanier, présent au Congrès
national wallon d’octobre 1945 à Liège, où il défend des thèses
provincialistes. Responsable d’une Wallonie libre alors toute puissante,
Georges Dotreppe mesure la divergence des principes qui nous séparent de
l’Assemblée wallonne qui s’est imposé de rechercher une solution du problème
wallon qui ne mît pas en cause la structure unitaire de l’État belge (…),
oserai-je demander au vieux militant que vous êtes si le salut de la
Wallonie n’exige pas des mesures plus profondes qui reconnaîtraient le
caractère binational de l’État belge ?
Même si Putanier est de plus en plus esseulé,
il parvient à organiser une première réunion d’étude sur les problèmes
wallons, le 20 janvier 1946. Maître Charles Gheude la préside, en lieu et
place du ministre Lefebvre empêché. À ses côtés, Émile Destrée, Robert Royer
et Jules Bordet. Putanier a alors retrouvé sa fonction de secrétaire
général. La question du statut de la Wallonie est discutée : fédéralisme,
décentralisation… Trois mois après le Congrès national wallon, on a
l’impression d’une répétition générale, en petit. Émile Destrée préconise un
fédéralisme régional à quatre, axé sur une Union libre des régions belgiques :
nord, nord-est, sud-est et centre, cette dernière comprenant le Hainaut et
le Brabant. Robert Royer, quant à lui, s’inspire des projets Truffaut et
Pieltain ; il préconise un fédéralisme à deux régions, dans lequel les
provinces auraient un rôle subordonné aux régions, c’est-à-dire le
régionalisme fédéral élaboré au sein du mouvement Rénovation wallonne. Jules
Bordet critique les lois linguistiques des années trente : il réclame le
pouvoir du libre choix linguistique du père de famille et l’accentuation de
l’autonomie communale. Et si une commune devient flamande en Wallonie, on
respecte le choix de la majorité. Bordet déplore la dénatalité des Wallons
et les encourage simplement à changer de comportement. Putanier, quant à
lui, continue à défendre le projet du vote bilatéral cher à Remouchamps. Le
député catholique Marcel Philippart rappelle son rejet du fédéralisme, le
sénateur libéral Robert Catteau, en tant que défenseur de Bruxelles,
préconise un retour aux libertés linguistiques individuelles et non
collectives comme le prévoient les lois de 1932 et 1935. À l’issue de ces
exposés, aucune conclusion tendant à définir l’optique de l’Assemblée
wallonne n’est tirée. Quant à la reparution de La Défense wallonne,
la question est reportée après les élections. Néanmoins, l’Assemblée
wallonne revit et, comme avant-guerre, des délégués d’arrondissement sont
élus : Georges Dotreppe (Dinant), Adrien Bouvet et Charles Moureaux
(Bruxelles), René Leclercq (Mons), Georges Gryson (Charleroi), Marcel
Philippart (Liège). Jules Bordet, Émile Destrée, Charles Gheude et l’abbé de
Froidmont en font aussi notamment partie.
Une deuxième réunion de travail se tient à
Bruxelles, le 28 avril 1946. Il s’agit d’examiner le projet fédéraliste
préparé par le Congrès national wallon. Après la présentation de Fernand
Schreurs, le débat est animé par Adrien Bouvet, Jules Bordet, René Leclercq,
Marcel Philippart, Henri Putanier, André Kaisin, Émile Destrée, l’abbé de
Froidmont et Charles Gheude. Bruxelles est au centre de discussions où les
défenseurs de la langue française ne s’accordent pas avec ceux qui insistent
sur les problèmes sociaux-économiques de la Wallonie et où les fédéralistes
hésitent entre une formule à deux ou à trois alors qu’une tendance
provincialiste se fait aussi entendre.
En proie à des problèmes professionnels qui le
touchent rudement (un candidat flamand lui a été préféré) et sans véritable
soutien de la part du Mouvement wallon, Putanier démissionne de sa fonction
de secrétaire général de manière à éviter de confondre intérêt personnel et
intérêt général. En 1949, Henri Putanier campe toujours sur ses positions :
je persiste toujours à décliner toute participation au Mouvement wallon
tant que celui-ci n’aura pas pris sérieusement en mains la question des
dépassements injustifiés des Wallons par des fonctionnaires flamands. En
1949, l’Assemblée wallonne a véritablement cessé d’exister. Depuis quand
exactement ? Il est malaisé de répondre avec précision même si, en 1947, l’Assemblée
wallonne paraît toujours avoir une certaine activité.
Groupe d’un autre âge, l’Assemblée wallonne a
mal vieilli. Si elle a été le premier organisme structuré et organisé du
Mouvement wallon, prouvant par là l’existence même de celui-ci et de ses
revendications, une page est désormais tournée et les thèses défendues par
cette assemblée ne sont plus de mise dans ces années proches d’événements
tels que la Question royale. On lui doit cependant une victoire à titre
posthume : le tracé de la frontière linguistique qui s’est, en 1963, réalisé
presque selon le tracé réclamé par l’Assemblée wallonne.
Paul Delforge – Sophie Jaminon