Les déchirements de
l’après-guerre
Qualifiée tour à tour de Centre d’étude, d’organe de coordination du
Mouvement wallon, voire de Parlement wallon (informel) par l’historiographie
traditionnelle, l’Assemblée wallonne n’a pas encore révélé tous ses secrets
en raison d’une cruelle absence d’archives pour ses premières années
d’existence. L’Assemblée wallonne a vu le jour durant l’été 1912, au
lendemain de l’important Congrès wallon de Liège (juillet) qui réclame une
étude sérieuse de la séparation administrative, d’une part, et de la fameuse
Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre que
signe Jules Destrée (15 août), d’autre part. Elle se réunit pour la première
fois à Charleroi, le 20 octobre 1912 et fonctionne, jusqu’à la guerre, en
s’inspirant du modèle et du règlement de la Chambre des représentants. A
peine née, elle s’impose cependant un silence forcé quand éclate la Première
Guerre mondiale. Ainsi se refuse-t-elle d’entrer dans le jeu de l’occupant
allemand qui décrète, en mars 1917, la séparation administrative et
sollicite les dirigeants de l’Assemblée wallonne pour qu’ils forment un
Conseil wallon qui serait le pendant du Raad van Vlaanderen. Le refus
de collaborer n’empêche pas de réfléchir à la manière de mieux défendre les
intérêts wallons dans une Belgique libérée.
Quelques semaines après l’Armistice, l’Assemblée wallonne reprend ses
activités et dispose d’une petite dizaine de projets de réorganisation des
institutions belges. Dans le même temps, elle exerce une grande influence
sur l’opinion quand sont discutés les projets de loi linguistique sur
l’emploi du flamand dans l’administration et de flamandisation de
l’Université de Gand. Ces dossiers attisent cependant les divergences
internes et l’Assemblée wallonne n’évite pas l’implosion durant l’été 1923,
quand les fédéralistes abandonnent l’Assemblée wallonne aux mains des
unionistes.
L’instance wallonne perd alors peu à peu sa représentativité et sa
crédibilité est entachée dans les années trente par son aspect un peu trop
académique. Au lendemain du départ des fédéralistes, elle se contente de
défendre un programme unioniste, qui revendique le droit de défendre la
langue française en Flandre, mais qui rejette la création de parlements
régionaux, et la création de ministères wallons et flamands ; née pour
définir un projet de séparation administrative, elle ne parvient pas à faire
la synthèse des courants qui la traversent. Son organe de presse s’intitule
La Défense wallonne.

Une sorte de Parlement wallon informel
C’est la Ligue wallonne de Liège qui prend l’initiative, dès 1909, de créer
un Comité d’Études pour la Sauvegarde de l’Autonomie des Provinces
wallonnes. (On trouve aussi, de façon irrégulière, l’orthographe Comité
d’Étude…). Essentiellement liégeois dans un premier temps, le comité
s’élargit et compte en ses rangs des Carolorégiens et des Wallons de
Bruxelles, libéraux et socialistes, parlementaires actifs, anciens ou
futurs. Présentée dès la fin des années 1890 par Julien Delaite et la Ligue
wallonne de Liège, l’idée de la séparation administrative est régulièrement
avancée. Elle fait référence aux événements de 1830, mais ne constitue pas
un appel résolu à la séparation définitive de la Wallonie et de la Flandre,
et à la fin de la Belgique. Il s’agit avant tout de provoquer une rupture
dans la manière de gouverner l’État. Depuis 1884, il n’y a plus d’alternance
politique, un seul parti dirige le pays ; les réformes demandées
(enseignement obligatoire, suffrage universel, législation sociale, etc.)
sont freinées ou empêchées ; une législation linguistique est
progressivement introduite ; la centralisation étouffe les autonomies
locales et provinciales ; enfin, par-dessus tout, la discipline imposée par
la direction des partis à leurs mandataires rend impossible le débat
démocratique. Du côté des parlementaires socialistes et libéraux
essentiellement wallons, on essaye de convaincre les mandataires catholiques
wallons de se démarquer des directives du parti et, dans les ligues
wallonnes, par des formulaires présentés aux candidats avant les scrutins,
on tente d’obtenir des promesses sur des principes qui sont présentés comme
primordiaux. Les diverses démarches entreprises s’avèrent infructueuses
quand se profilent à l’horizon les élections complètes de juin 1912. Le
parti catholique paraît affaibli par des querelles internes et l’occasion
semble idéale : en cartel, libéraux et socialistes doivent pourtant
déchanter. Bien que majoritaires dans les arrondissements wallons, ils ne
progressent pas en Flandre et le Parti catholique renforce sa majorité
nationale. La colère s’exprime de diverses manières au lendemain du scrutin
et la revendication de la séparation administrative est brandie à de
multiples reprises.
L’organisation, programmée de longue date, d’un Congrès wallon, à Liège, le
7 juillet 1912, est l’occasion de réaffirmer cette revendication et d’en
débattre. Quatre projets sont avancés, mais les 300 congressistes n’entrent
pas dans le vif du sujet, car tous ne sont pas d’accord avec le principe
même de discuter de la séparation administrative. Les débats sont animés,
les échanges vifs et le consensus ne parvient à se faire que sur la motion
proposée par Jules Destrée : le congrès se prononce en effet en faveur de la
séparation de la Wallonie et de la Flandre, mais désigne une Commission pour
en étudier les modalités. Cette commission sera composée d’un membre par
40.000 habitants, ce qui est le critère qui définit la composition de la
Chambre des représentants.
Le
Congrès,
– toutes
réserves faites au sujet des formes à donner à l’idée séparatiste ;
– émet
le vœu de voir la Wallonie séparée de la Flandre en vue de l’extension de
son indépendance vis-à-vis du pouvoir central et de la libre expansion de
son activité propre ;
– désigne aux fins d’étudier la question une Commission, à raison d’un
membre par quarante mille habitants.
Pour constituer la Commission, se réunissent à Namur dès le 21 juillet
1912 les membres du Comité d’Étude(s) pour la Sauvegarde de l’Autonomie des
Provinces wallonnes, auxquels se joignent des représentants de ligues
wallonnes. On s’entend sur quelques principes puis c’est Jules Destrée qui
se charge, quasiment seul, de donner naissance à l’Assemblée wallonne. Alors
qu’il publie sa Lettre au roi, il rédige les statuts et le programme
de la future Assemblée, invite des adhérents potentiels, les interroge sur
les objectifs et les modalités de fonctionnement qu’il propose, avant de
faire lancer les convocations. La séance constitutive se tient à Charleroi,
le 20 octobre 1912, dans les locaux de l’Université du Travail. Ce jour-là,
Jules Destrée a convoqué « tous les parlementaires nommés dans les
arrondissements wallons, ainsi qu’un certain nombre de personnes s’étant
déjà occupées de la question wallonne ». « (…) c’est en somme une sorte de
parlement wallon qui est né », peut-on lire dans le n°6 du Moniteur
officiel du Mouvement wallon.
L’avant-projet que Destrée a envoyé en même temps que la convocation prévoit
la désignation de 72 délégués (soit le même nombre que les députés wallons
qui siègent à la Chambre). Leur répartition est proportionnelle à
l’importance des populations des différents arrondissements wallons qui,
tous, doivent être représentés. Une fois désignés, les délégués devront se
réunir deux fois par an en séance plénière. Entre-temps, des commissions
fonctionneront sur des thématiques clairement établies : on constate
d’ailleurs que les commissions correspondent exactement aux ministères du
gouvernement belge de l’époque. Chaque commission est présidée par un
délégué. Et tous les présidents de commission forment, avec le secrétaire
général et un trésorier, le Comité central, exécutif généralement appelé le
Collège des Présidents. Le règlement de la Chambre des représentants est
d’application. Quant aux sujets traités, ils doivent se limiter aux seules
questions touchant la Wallonie. Il s’agit d’étudier avec le plus grand
sérieux tous les problèmes wallons « selon les procédés parlementaires, à
l’aide de rapports documentés ».
Une quarantaine de délégués participent à la Constituante qui d’emblée doit
régler une série de problèmes pratiques et « politiques ». La demande de
représentants des ligues wallonnes de Bruxelles d’élargir l’Assemblée
wallonne à des délégués de Bruxelles est acceptée. Dix mandats leur sont
accordés. Donnant suite à une proposition de Joseph-Maurice Remouchamps, un
Comité des griefs, chargé de recueillir et de vérifier les griefs des
wallons, est créé. En l’absence de candidats pour certains
arrondissements, trois sièges restent à pourvoir ; les 69 autres sont
attribués à la suite d’un vote, et d’emblée des délégués suppléants sont
autorisés de manière à satisfaire les 91 candidatures qui ont été reçues.
Dirigée par Jules Destrée plébiscité à la fonction de secrétaire général,
l’Assemblée wallonne compte, en ce 20 octobre 1912, près de 70% de
mandataires politiques, et pour 50% des parlementaires. Rien ne permet de
savoir si Jules Destrée n’envisageait de rassembler que les seuls
parlementaires. Cependant, les catholiques brillent par leur absence et le
secrétaire général est réduit à affirmer que « si le parti catholique n’a
pas consenti à nous envoyer des représentants, ce n’est pas notre faute ».
Par la suite, force sera de constater que la réticence des catholiques à
s’engager dans l’action wallonne sera toujours très grande. Néanmoins,
l’Assemblée wallonne met un point d’honneur à être et à rester apolitique
(ses statuts le stipulent) : jamais elle ne se présentera sur le plan
électoral en tant que parti. L’absence de parlementaires catholiques, ainsi
que des effectifs incomplets du côté libéral comme du côté socialiste
contribuent à l’ouverture de l’Assemblée wallonne à d’autres acteurs de la
société. Certes, on y trouve des bourgmestres de grandes villes et des
députés permanents, mais 30% de non politique participent également au
projet : avocats, journalistes, industriels, professeurs, ils n’ont pas
nécessairement tous un engagement dans des cercles wallons. Au total,
l’Assemblée wallonne présente donc un visage original, parlement informel à
participation citoyenne, dont le statut semi-officiel est validé par
l’accueil de ses réunions plénières (ses sessions) dans des hôtels de ville
de Wallonie (Liège, Namur, Tournai…).

Sa mission : étudier la séparation administrative
Explicitement, l’Assemblée wallonne n’affiche pas que sa mission première et
unique est l’étude de la séparation administrative. Mais de nombreux indices
montrent qu’en tenant compte des délégués les plus réticents, la nouvelle
« Chambre wallonne » est bien occupée à étudier sérieusement la question
wallonne et disposée à ne retenir que la meilleure solution possible. En
témoigne l’article IX des statuts qui est un modèle de formule
consensuelle :
« L’Assemblée wallonne déclare sa ferme volonté de maintenir la nationalité
belge. Persuadée que l’unité belge, basée sur la domination d’une race sur
l’autre, serait impossible à conserver et à défendre, elle affirme que la
Belgique ne peut poursuivre ses destinées que par l’union des deux peuples
qui la composent, union basée sur une indépendance réciproque, et faite
d’une entente loyale et cordiale ».
Parmi les membres fondateurs de l’Assemblée wallonne lors de sa
constitution, citons Albert Allard, Franz Foulon, Paul Gahide pour Tournai,
Gaston Talaupe pour Mons, René Branquart pour Soignies, Émile Buisset, Jules
Destrée, Paul Pastur pour Charleroi, Joseph Grafé et Arthur Procès pour
Namur, Oscar Colson, Gustave D’Andrimont, Julien Delaite, Charles
Delchevalerie, Émile Digneffe, Émile Jennissen, Albert Mockel,
Joseph-Maurice Remouchamps pour Liège, Hubert Debarsy et Olympe Gilbart pour
Huy, Auguste Doutrepont et Eugène Mullendorff pour Verviers, Charles
Magnette et Léon Troclet pour le Luxembourg, Alphonse Allard pour Nivelles.
Sous le secrétariat général de Jules Destrée, les deux premières années de
l’Assemblée wallonne sont les plus fructueuses. C’est en effet grâce à son
action que l’on doit le choix du drapeau wallon au coq rouge sur fond or qui
symbolise toute la Wallonie (réunions du 26 mars et du 20 avril 1913), de la
devise Wallon toujours et du cri Liberté. Outre ses emblèmes,
la Wallonie lui doit aussi la date de sa fête « nationale » : le dernier
dimanche de septembre, célébrant ainsi les journées révolutionnaires de
1830. Seul l’hymne n’a pu être décidé. Le 29 mars 1914, c’est également elle
qui adopte la Gaillarde comme fleur de la Wallonie, suite à une proposition
du groupe des Femmes de Wallonie et de sa présidente Léonie de Waha. Aucune
cotisation n’est réclamée, les frais devant être couverts par les dons,
subsides et cotisations volontaires.
Outre l’adoption des emblèmes wallons sous la forme d’un décret, l’Assemblée
se dote d’un organe officieux de propagande : La Défense wallonne.
Cette dernière est mensuelle, de petit format et renferme les comptes rendus
des activités de l’Assemblée. Avant 1914, deux projets de loi font l’objet
des activités des délégués de l’Assemblée. Il s’agit de la loi sur l’emploi
des langues à l’armée et l’organisation de la défense nationale en général
d’une part, et de la future loi scolaire de 1914 d’autre part. L’Assemblée
entame des études en Commission et une série de résolutions s’ensuit, dont
la principale est la défense de la frontière de l’Est. L’Assemblée wallonne
pâtit du statut de bénévolat de ses membres. Certains travaillent
d’arrache-pied et produisent des rapports consistants ; d’autres sont plus
lents. Pourtant, face aux demandes d’adhésions, l’Assemblée wallonne s’est
résolument ouverte ; en doublant le nombre des effectifs dès le printemps
1913, elle abandonne la symbolique d’une « Chambre wallonne ». En ne
décidant plus par décret, mais par des motions, elle accentue cette
tendance.

Rejet catégorique de la main tendue par les Allemands
Avec l’éclatement de la Grande Guerre, les délégués de l’Assemblée wallonne
sont dispersés et plus aucune réunion ne se tient sous l’occupation
allemande. Après-guerre, le Bureau de l’Assemblée clamera haut et fort son
respect absolu de l’Union sacrée. À l’occasion du procès d’un activiste
flamand (Josson), l’avocat de la défense insinuera que l’Assemblée wallonne
aurait eu des actions finalement assez similaires à celles que l’on reproche
alors aux activistes flamands. Par un communiqué, l’Assemblée wallonne fera
savoir qu’elle
« (…) s’est réunie pour la dernière fois, avant la guerre, en séance de
Commission, le 8 juillet 1914, à Bruxelles. La première séance qui a suivi
la guerre, séance plénière, a eu lieu à Bruxelles, le 9 mars 1919. Entre ces
deux dates, c’est-à-dire pendant toute la durée de la guerre, l’A.W. n’a
tenu aucune réunion, et a suspendu complètement ses travaux et son action.
(…) Le mot d’ordre était d’observer un silence absolu aussi longtemps que
l’ennemi souillerait le territoire belge de sa présence ».
À l’exception d’Oscar Colson qui se laisse embrigader dans les ministères
wallons constitués par les Allemands à Namur, aucun délégué de l’Assemblée
wallonne d’avant-guerre ne pactisera avec l’ennemi. Très vite, Arille
Carlier constatera qu’il se fourvoyait dans le projet de Comité de Défense
de la Wallonie et, sur le fil du rasoir, Franz Foulon ne prendra pas la
mesure que les temps n’étaient pas opportuns pour débattre ouvertement de la
question wallonne, sans commettre d’impairs. Pourtant, les Allemands
n’avaient pas hésité à décréter la séparation administrative de la Belgique,
en mars 1917, à favoriser l’expression de revendications « autonomistes », à
tenter de rouvrir des universités, et à offrir des responsabilités au sein
des administrations, voire de Conseils, embryon de parlements futurs. Malgré
de nombreuses tentatives, l’occupant allemand ne trouve du côté des
militants wallons d’avant-guerre aucun homme prêt à accepter ce que les
activistes flamands acceptent de réaliser.
Dans la clandestinité, rien n’interdit de penser à la situation de
l’après-guerre. D’aucuns sont persuadés que la Belgique ne sera plus jamais
comme avant 1914 et préparent des plans pour le moment de la libération.
Cette activité de réflexion, voire de réunions, n’est pas propre aux milieux
wallons, mais ils sont les seuls à retenir une formule qui mettra fin à la
centralisation excessive et à l’absence de prise en considération de la
question wallonne. Au moment de la signature de l’Armistice, une dizaine de
rapports ont été rédigés, mais aucune synthèse n’existe encore. Dès mars
1919, l’Assemblée wallonne va se lancer le défi de fixer les modalités de la
séparation administrative.

L’occasion manquée (1919)
Les temps ont cependant changé. Il reste difficile d’établir si la guerre a
renforcé un sentiment unitaire belge ; mais les esprits sont marqués et par
l’activisme flamand et par l’héroïsme d’une Belgique unie. Pourtant, dès
novembre 1918, les membres liégeois de l’Assemblée wallonne se réunissent à
plusieurs reprises et adressent un communiqué à la presse faisant observer
qu’il n’y a aucun Wallon dans le gouvernement de reconstruction nationale.
Lors de sa première réunion officielle de l’après-guerre, le 9 mars 1919,
l’Assemblée wallonne proteste contre l’absence de tout représentant wallon
au sein de la délégation belge à Versailles ; elle analyse aussi les quatre
années de guerre et plus particulièrement la question de l’organisation
administrative allemande. Dénonçant la politique du Conseil des Flandres et
de l’occupant, elle expulse de ses rangs le seul membre qui a collaboré au
ministère de Namur, à savoir Oscar Colson. Malgré un climat patriote belge
particulièrement hostile au concept de séparation administrative,
l’Assemblée n’hésite pas à remettre cette question à son ordre du jour. Au
cours des sessions plénières d’avril à octobre 1919, elle examine notamment
les projets de Léon Troclet, Émile Buisset, Paul Pastur, François André et
Albert Mockel, ainsi que le projet de vote bilatéral de J-M. Remouchamps.
Les débats sont épiques et l’indécision totale. Aucune position commune ne
parvient à émerger.
Les projets Troclet, Jennissen et Mockel sont d’essence fédéraliste et
promeuvent l’idée de trois régions autonomes, Wallonie, Flandre, Bruxelles ;
ceux de Pastur et André s’inscrivent dans un courant provincialiste, visant
à élargir les compétences des provinces existantes ; Buisset et Pater
évoquent une autonomie provinciale qui pourrait s’étendre dans le cadre de
cinq régions, dont le regroupement pourrait conduire à former trois
régions ; Julien Delaite évoque un système régional avec autonomie aux
communes et provinces. Auteur – en 1914 – d’un projet de réforme
parlementaire prévoyant la délimitation des régions wallonne et flamande
selon la langue usuelle la plus employée par leurs habitants, avec
adaptation lors des recensements, Joseph-Maurice Remouchamps préconise une
solution permettant l’égalité politique des Wallons et des Flamands au sein
de l’État belge par le biais d’un vote bilatéral : à côté de la
majorité ordinaire nécessaire à l’adoption de toute loi, il serait
nécessaire que se dégage une majorité au sein de chaque groupe linguistique.
Ainsi, la Wallonie pourrait se soustraire à la volonté majoritaire de la
Flandre (Le Vote bilatéral et le bilatéralisme. Essai d’organisation de
l’Unité nationale pour l’équilibre des partis et l’égalité des races,
1919).
Les divergences déjà perceptibles avant-guerre refont surface. D’un côté,
les partisans d’une option séparatiste ou fédéraliste, qui ne parviennent
pas à accorder leurs violons entre eux ; de l’autre, une tendance
provincialiste, se satisfaisant d’une large décentralisation ; enfin, un
courant qui se qualifiera d’unioniste, nostalgique de la Belgique de 1830,
partisan de la défense de la langue française, partout dans le royaume, et
qui défend l’idée du vote bilatéral chère à Joseph-Maurice Remouchamps.
Malgré toutes les tentatives de conciliation, de votes, d’aménagements, rien
ne sort de l’Assemblée wallonne à l’heure où la Constitution va être ouverte
à révision et que d’autres articles que celui relatif au suffrage universel
pourraient être amendés. Les élections législatives du 16 novembre 1919
mettent un terme aux discussions. En raison de l’important succès électoral
du POB, Jules Destrée est appelé comme ministre des Sciences et des Arts (9
décembre) et il décide d’abandonner ses fonctions de secrétaire général de
l’Assemblée wallonne (14 décembre). C’est Joseph-Maurice Remouchamps qui lui
succède. La tendance unioniste va désormais prendre l’ascendant.

L’échec du vote bilatéral (1921)
Entre 1919 et 1921, les activités de l’Assemblée se concentrent sur la
défense de la frontière de l’Est, et l’organisation de l’armée. Dans le
domaine de la politique étrangère, l’Assemblée revendique une solidarité
franco-belge qu’il faut concrétiser par une union douanière (qui ne sera pas
réalisée), mais aussi par un accord militaire (conclu en 1920 mais dénoncé
par la politique dite d’indépendance en 1936). Les rapports hollando-belges
se résument au problème de la canalisation de la Meuse, celle-ci étant
prévue de façon beaucoup trop restreinte et uniquement en faveur d’Anvers.
L’Assemblée réclame donc des travaux permettant également à Liège d’être
desservie par un réseau de canaux suffisant pour être indépendante vis-à-vis
d’Anvers.
En 1921, l’adoption de la “ loi Von Bissing ” provoque de nombreux remous au
sein de l’Assemblée. Après l’adoption par la Chambre des représentants d’une
première proposition de loi, elle réagit par de vives protestations pour
alerter le Sénat et l’empêcher d’exprimer le même vote. Néanmoins, lorsque
ce dernier adopte, le 13 mai 1921, la loi modifiée “ ou plutôt aggravée ”,
l’Assemblée décide d’élaborer un programme portant sur la révision du statut
de l’État. Ici encore, on constate l’attitude plus que modérée de
l’Assemblée wallonne qui opte pour un programme minimum pouvant se résumer
ainsi : pas de séparation mais une décentralisation administrative
provinciale avec application du vote bilatéral au Sénat uniquement. Ce
programme est adopté en séance plénière à Bruxelles le 28 août 1921, à
l’unanimité des 64 membres présents (sur 160 membres que compte alors
l’Assemblée). Son but en est clairement précisé dans La Défense wallonne
de juillet. Elle a recherché les moyens propres à toucher l’opinion
publique et à provoquer un mouvement capable d’influencer le Parlement et la
Constituante (…) Il faut en outre, si l’Assemblée veut gagner à sa
cause une importante partie de la population, dissiper le plus tôt possible
la méfiance injustifiée dont elle est encore trop souvent l’objet, en
déclarant sans ambiguïté qu’elle ne poursuit pas la séparation politique ou
administrative (…) Votre Commission sait qu’un tel programme ne
reflétera pas complètement l’opinion d’une partie de nos collègues qui
préconisaient des solutions plus radicales. Elle leur demande cependant de
se rallier à ses conclusions. L’heure d’agir est venue, et aucune action
n’est possible si les divergences de doctrines ne s’effacent pas pour faire
place à l’unité et à la discipline. Cette Commission, composée de 18
membres propose donc ce programme minimum à l’Assemblée, après l’avoir
elle-même adopté par 16 voix pour, une voix contre (celle de Jennissen) et
une abstention (Max Pastur).
L’Assemblée wallonne soumet ensuite aux Chambres, alors constituantes, un
projet de modification de l’article 39 de la Constitution dans le sens du
vote bilatéral mis au point par Remouchamps. Ce système peut être assimilé à
celui utilisé aujourd’hui pour le vote de certaines lois et qui consiste à
obtenir la majorité des suffrages dans chacun des deux groupes
linguistiques. Il ne s’agit donc pas de fédéralisme entraînant la
constitution d’un État fédéral, l’Assemblée voulant à tout prix conserver
l’unité belge, mais tout au plus d’une réorganisation tenant compte du
dualisme de la Belgique.
Ce projet est défendu par son auteur, alors sénateur libéral, mais il sera
néanmoins rejeté le 19 octobre 1921 par une unanimité flamande alors que des
socialistes et des libéraux wallons l’ont accepté. L’option du vote
bilatéral a vécu. Elle s’est heurtée à la dure réalité du fonctionnement de
l’État unitaire. Cet échec, c’est surtout celui du secrétaire général de
l’Assemblée wallonne. Or la méthode Remouchamps ne fait pas l’unanimité.
Depuis qu’il a succédé à Jules Destrée, l’Assemblée wallonne s’est quelque
peu réduite à son Bureau permanent, créé à la demande de Remouchamps et qui
compte douze membres. C’est là que se décide la politique de l’Assemblée
wallonne, les sessions ne servant plus que de chambres d’entérinement. Le
rôle du secrétaire général a toujours été central, puisqu’il s’occupe de la
propagande, des assemblées générales, et de l’exécution des mesures prises.
Il aide également à la constitution ou au développement d’autres groupements
wallons poursuivant les mêmes buts que l’Assemblée. Ce rôle est moteur et
influence les lignes directrices de l’Assemblée wallonne. Ceci est surtout
évident sous le secrétariat général de Remouchamps.

Les déchirures (1922-1923)
C’est en 1922, lors des discussions au sujet de la flamandisation de
l’Université de Gand, que l’orage éclate. Le 22 octobre 1922, lors de la
XXVIe session de l’Assemblée wallonne, Jules Destrée, présidant
cette séance, ouvre les débats par ces paroles : peut-être y aura-t-il
lieu pour l’Assemblée wallonne d’examiner s’il n’est pas nécessaire qu’elle
abandonne la politique qu’elle a suivie au cours de ces dernières années et
qu’elle en revienne à “ la tradition de 1912 ”. En levant la séance, il
est tout aussi explicite lorsqu’il déclare qu’aussitôt après le vote du
Parlement dans la question de l’Université flamande, l’Assemblée wallonne
devrait discuter son orientation politique et son programme d’action et de
réalisation. Le ton est donné. L’opposition unionistes-séparatistes
s’accentue. Le groupe dit séparatiste ne veut plus défendre les francophones
de Flandre. Il préconise une solution fédéraliste car il estime que la
défense de la langue française en Flandre permettrait alors les mêmes
revendications de la part des Flamands pour la Wallonie.
Le divorce sera consommé lors du débat, en 1923, sur le projet de loi Devèze
concernant la réorganisation de l’armée. Si ce projet est unanimement
condamné par l’Assemblée, les solutions proposées divergent diamétralement :
le groupe Destrée-Jennissen se prononce pour un recrutement régional de
l’armée, le groupe Remouchamps restant fidèle au principe d’une armée
unitaire. Pour répondre aux projets déposés en cette matière par le ministre
Albert Devèze, au début de la session parlementaire 1922-1923, l’Assemblée
wallonne vote, le 11 mars 1923, un ordre du jour déposé par Émile Jennissen
estimant que la seule solution pour éviter aux Wallons les sujétions
linguistiques et pour assurer une défense nationale sérieuse réside dans
le recrutement régional le plus largement étendu. Absent lors de
cette réunion, le secrétaire général Joseph-Maurice Remouchamps y voit un
coup de force de la minorité séparatiste de l’Assemblée à l’égard de
ce qu’il appelle la majorité unioniste et tire argument de l’absence
de quorum pour mettre en cause la position qui a été prise et convoquer une
nouvelle Assemblée générale.
Lors de l’Assemblée générale du 29 avril à Bruxelles, Destrée, rejoint par
Jennissen, Auguste Buisseret et Albert Mockel, attaque durement Remouchamps
en se faisant le porte-parole des idées fédéralistes. La réunion est
houleuse. Après ce premier choc, le secrétaire général constitue réellement
le Groupe unioniste à l’Assemblée wallonne, en demandant à ses fidèles
d’adhérer au programme du 25 avril 1920 qui repose sur le maintien de
l’unité nationale belge et défend énergiquement la culture française en
Flandre. Le 10 juin 1923, alors que les relations ne se sont pas améliorées
entre les protagonistes, une nouvelle assemblée remet la question à l’ordre
du jour sur base des rapports déposés par Jules Mathieu, favorable au
recrutement régional, et par Ivan Paul, qui y est opposé. Après un long
débat, dans lequel les régionalistes sont minorisés par les unionistes,
l’Assemblée wallonne vote une résolution qui revient sur les votes du 11
mars et retire l’ordre du jour portant sur la question du recrutement
régional.
Après avoir fait une ultime tentative de conciliation en déposant une
proposition de motion précisant que l’Assemblée wallonne réprouvait toute
doctrine tendant à séparer la Belgique en deux États distincts, tout en
laissant à ses membres la possibilité de défendre les solutions qui avaient
leurs préférences personnelles et sans engager l’Assemblée, Jules Destrée
démissionne de l’Assemblée wallonne. La direction donnée depuis quelque
temps à l’Assemblée wallonne me faisait douter de l’utilité de ses travaux
et je préférais mener la lutte wallonne en dehors de ses consignes.
Destrée ne mâche pas ses mots : nous le trouvons (le bureau permanent) à
la fois autoritaire, tatillon, bureaucratique vis-à-vis des membres de
l’Assemblée, faible, indécis et ondoyant vis-à-vis de l’opinion publique et
des centralisateurs… Destrée n’est pas le seul à penser de la sorte,
ainsi Richard Dupierreux ne cache-t-il pas ses reproches : ce dont je me
plaignais simplement, c’est que la liberté ne fût point respectée par un
bureau permanent de plus en plus dictatorial, où la minorité n’est plus
admise à faire entendre sa voix de telle sorte que l’Assemblée wallonne
s’identifiait en fait avec son bureau permanent et n’était, en fin de compte
admise que comme pensait son secrétaire général.
Finalement, Jules Destrée, Émile Jennissen, Jean Roger, Auguste Buisseret,
etc. (au total une petite vingtaine de délégués) démissionnent au mois de
juillet, ne trouvant plus de terrain d’entente au sein de l’Assemblée. Une
partie ira rejoindre le Comité d’Action wallonne de Liège qui deviendra la
Ligue d’Action wallonne. Suite à ces démissions, La Défense wallonne
essaie de minimiser l’incident, insistant sur le nombre restreint des
départs. À cet argument, Jules Destrée rétorque qu’en vérité, c’est le
sang pur et ardent de l’Assemblée wallonne qui la quitte, et ce qui va
rester de l’Assemblée wallonne ne sera plus qu’un corps exsangue et sans vie
qui pourra encore être traité avec complaisance par la presse nationaliste
mais qui aura perdu toute autorité et toute influence. Joli résultat ! C’est
la course au suicide sous prétexte d’ “ unionisme ”.
Le départ de ce groupe va, en effet, priver l’Assemblée wallonne d’une
partie de ses forces vives. Les places laissées vacantes par les
démissionnaires sont alors occupées par de nouveaux venus comme Marie
Delcourt ou encore Marcel Thiry. La tendance unioniste de Remouchamps peut
maintenant s’exprimer pleinement et entraîner l’Assemblée dans une voie qui
sera de plus en plus conservatrice face à un Mouvement wallon concurrent qui
évolue, lui, vers le fédéralisme.
Les oppositions ne sont guère dissimulées entre la Ligue d’Action wallonne
de Liège et l’Assemblée. Ainsi, lors du premier congrès de la Ligue en 1924,
La Défense wallonne le qualifie de “ Congrès autonomiste ” et y va de
quelques commentaires acides : Quelques séparatistes wallons réunis à
Liège sous prétexte de revendiquer l’autonomie wallonne ont adhéré au
programme flamingant (…) Ils (les membres du Comité d’Action
wallonne) sont avant tout anti-belges et, pour parler leur langage,
“ réunionistes ”.
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