Manifeste des Intellectuels wallons et flamands (3
décembre 1952)
Réactions
Collège wallo-flamand (17 octobre 1954)
Journée d’étude des fédéralistes wallons et
flamands (15 octobre 1961)
Dialogue de communauté à communauté
Lorsque, le 3 décembre 1952, des contacts entre Wallons et Flamands
aboutissent à la publication d’un Manifeste, certains commentateurs
politiques font part d’une grande surprise : Wallons et Flamands se parlent
donc par delà la frontière linguistique et arrivent à se mettre d’accord !
Cette surprise dissimule mal la méconnaissance des relations que militants
fédéralistes wallons et flamands entretiennent de longue date. Par
définition, le fédéralisme exige d’ailleurs de telles rencontres.
L’une des premières remonte à la veille de la Première Guerre mondiale. En
1911, en effet, entre février et mars, Émile Jennissen et Pol de Mont
échangent une longue correspondance qui devient une publication intitulée
La Séparation administrative. Collaborateur de la revue Germania,
membre de l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers, Pol de Mont était un militant
flamand qui ne jouissait guère de sympathie au sein du Mouvement wallon. En
prenant contact avec de Mont, Jennissen dépassait l’antiflamingantisme
primaire d’une partie du Mouvement wallon et établissait une comparaison
troublante entre Albert Du Bois et Pol de Mont, tous deux négateurs de l’âme
belge, mais le second toujours en grâce dans les sphères officielles alors
que le premier était ostracisé. Le dialogue Jennissen-de Mont ne dépasse pas
le stade de la brochure déjà citée.
Pendant la Première Guerre mondiale, les dirigeants du journal l’Opinion
wallonne édité à Paris sous la censure militaire belge, Raymond Colleye
en tête – mais aussi Jennissen – , se mettent en relation avec quelques
frontistes flamands favorables à un front commun fédéraliste et des
responsables de Ons Vaderland, journal édité lui aussi en France. Un
accord d’inspiration fédéraliste est signé ; il vise à instaurer, après la
guerre, un système dans lequel les peuples wallon et flamand seraient
respectés, où ils pourraient se gouverner eux-mêmes et organiser leur
enseignement dans leur langue. L’ambiance unitariste belge de l’après
Armistice rendra l’accord obsolète. En 1920, le jeune Auguste Buisseret (il
deviendra député en 1939 et ministre après la guerre) n’a pas plus de succès
lorsqu’il dépose sur le bureau de l’Assemblée wallonne un projet de
rencontre avec les Flamands. Ayant quitté l’Assemblée wallonne, Buisseret
revient à son idée lors du premier congrès d’action wallonne en 1924 : son
vœu est relayé par Jean Delvigne qui présente un rapport sur la question
lors du deuxième congrès (1925). La résolution finalement adoptée se
montrera cependant très prudente, plusieurs congressistes trouvant le projet
prématuré. Sur l’instance de Foulon mais surtout de Colleye, le troisième
Congrès de la Ligue d’Action wallonne se résout à adopter dans son ordre du
jour le principe de rechercher une entente avec les Flamands (juillet 1926)
mais l’avancée électorale du Frontpartij et surtout l’élection de
Borms (1928) ne facilitent pas les contacts.
De
son côté, Raymond Colleye avait déjà, via le Parti fédéraliste wallon, dans
les 1923-1924, entrepris des militants flamands et constitué avec eux un
organe permanent de rencontre, dont le Comité fédéraliste wallon avait été
la branche wallonne. L’objectif poursuivi était de parvenir à adopter un
projet de statut réorganisant, par les voies légales, la structure de l’État
sur la base des droits à l’autonomie des peuples qui le composent. Très
vite, cependant, le PFW avait dû constater l’échec de sa démarche. Colleye
poursuivra néanmoins ses essais de dialogue, en publiant régulièrement dans
Ons Vaderland puis dans De Schelde une chronique du Mouvement
wallon et en donnant des conférences à Anvers et à Louvain.
En
mars 1929, des socialistes wallons et flamands parviennent à s’entendre sur
un texte commun, appelé le Compromis des Belges. L’influence de Jules
Destrée (et des idées qu’il défendait dès 1922) et surtout de son ami Louis
Piérard est manifeste. L’autonomie qu’ils préconisent est particulièrement
chère aux socialistes du Hainaut qui envisagent de résoudre le problème dit
linguistique sans y mêler les Bruxellois ; peu de temps après le
Compromis des Belges, ils mettront au point un avant-projet de statut
linguistique et de décentralisation administrative qui ne se limite plus
à des principes, mais précise les mutations institutionnelles.
Au
moment où la Belgique célèbre le centième anniversaire de son indépendance,
au nom du journal Le Tocsin, Paul Henry et Georges Truffaut
entrent en contact avec le groupe Internacia d’Anvers avec lequel est
signé un accord de reconnaissance du principe d’intégrité française de la
Wallonie et d’intégrité flamande de la Flandre, accord qui réprouve toute
menée impérialiste de part et d’autre. Ils entendent lutter contre le
centralisme belge. Au nom de l’Association wallonne du Personnel de l’État,
Marcel Franckson annonce que son association est aussi en contact avec des
fonctionnaires flamands et qu’elle a conclu un accord (unilinguisme dans
chacune des deux régions, non-intervention réciproque dans la question des
minorités linguistiques, égalité des droits et juste répartition des
moyens). Interpellé, le premier congrès de la Concentration wallonne (27 et
28 septembre 1930) soutient ces initiatives. L’abbé Mahieu rencontre, pour
sa part, des représentants du VNV dans les années 1936-1937. Les
contacts sont discrets et quasi secrets. Ils n’aboutissent pas. Les
divergences sont alors par trop exacerbées. La Seconde Guerre mondiale ne
sera guère propice à ce type de rapprochement.
Après la Libération de mai 1945 et le Congrès national wallon d’octobre qui
se prononce, au deuxième tour, en faveur du fédéralisme, Jean Rey fait
adopter une motion chargeant le bureau du Congrès d’entrer en contact avec
les personnalités dirigeantes des régions flamande et bruxelloise afin de
déterminer, ensemble, les conditions du fédéralisme (Congrès national wallon
de Charleroi, 11 et 12 mai 1946). Des essais sont tentés mais aucun
n’aboutit. Des militants wallons donnent des conférences en Flandre. La
proposition Grégoire échoue au Parlement (1947). En avril 1949, le
directoire de Wallonie libre lance un appel solennel au peuple flamand.
Toujours sans succès.
L’amorce du dialogue se réalise au sein du Centre Harmel dont les travaux
débutent en novembre 1949. Des affinités objectives apparaissent ; les
conversations entre fédéralistes wallons et flamands sont constructives tant
au sein du Centre Harmel qu’en dehors ; c’est ainsi que, le 25 février 1951,
sous les auspices du Vermeylenfonds, des Flamands (Lamberty, Léo
Picard, Gerlo, Herman Vos), des Bruxellois (René Drèze et Maurice-Pierre
Herremans) et des Wallons (Maurice Bologne, Fernand Schreurs, Louis Piérard,
Jean Pirotte) se retrouvent autour d’une même table pour débattre de La
normalisation des rapports wallo-flamands. C’est aussi dans ce contexte
qu’est présenté le Manifeste des Intellectuels wallons et flamands (3
décembre 1952).
Manifeste des Intellectuels wallons et flamands (3 décembre 1952)
À
partir de mars 1952, de façon régulière, des réunions permettent à Maurice
Bologne, Arille Carlier, Jean Pirotte, Jean Van Crombrugge et Fernand
Schreurs de discuter avec leurs homologues flamands, A.J. Aernouts
(historien), J. Braeckman (avocat, secrétaire du Vlaams Comité voor
Federalisme), E.-F. Brieven (licencié en sciences commerciales), Walter
Couvreur (professeur à l’Université de Gand et par ailleurs président du
Vlaams Comité voor Federalisme) et J. Van der Elst (avocat). Leur but
est d’assurer à la Wallonie et à la Flandre l’autonomie la plus large par
l’instauration du fédéralisme. En quête de principes convergents entre
mouvements wallon et flamand, ils forment un collège de négociateurs, dont
la représentativité est informelle. Bien que responsables de mouvements
wallons et flamands importants, tous négocient à titre personnel, tout en
prenant des contacts avec plusieurs personnalités politiques, économiques ou
culturelles, hors de leur mouvement.
Très
vite, ils sont unanimes à dénoncer la centralisation bruxelloise,
l’unitarisme belge qui vide la Wallonie et la Flandre de leur substance,
ainsi que la majorité de la presse bruxelloise, jugée tendancieuse par
rapport aux phénomènes propres à la Wallonie et à la Flandre et qui
fait rarement preuve de compréhension à l’égard des problèmes
nationalitaires en Belgique. Au terme de neuf mois de rencontre, les
protagonistes parachèvent la rédaction d’un Manifeste au bas duquel
une cinquantaine de personnalités wallonnes et une cinquantaine de
personnalités flamandes (avocats, écrivains, artistes, universitaires,
académiciens, etc.) apposent leur signature. Texte court, comportant cinq
paragraphes, le Manifeste énonce une série de principes :
reconnaissance en Belgique de deux peuples, dotés chacun d’une
individualité ethnique, linguistique et culturelle, le peuple wallon et
le peuple flamand ; fixation définitive de la frontière qui les sépare ;
l’intégrité française de la Wallonie et l’intégrité néerlandaise de la
Flandre sont tenues pour nécessité essentielle (aucune minorité
linguistique ne sera reconnue) ; compétence totale des deux Chambres
régionales, hormis en ce qui concerne les matières définies, précisément,
dans la Constitution et attribuées à la Chambre fédérale ; représentation
paritaire de la Flandre et de la Wallonie tant à la Chambre fédérale que
dans les services de l’administration fédérale ; un paragraphe est consacré
à Bruxelles, espace territorial reconnu historiquement comme terre flamande,
mais au statut spécial en raison de son rôle de capitale fédérale ; une
ligne, enfin, attribue un statut spécial au Congo. Le Manifeste est
présenté à la presse, le 3 décembre 1952, par Fernand Schreurs et Walter
Couvreur. C’est la raison pour laquelle la presse donnera au texte le nom d’Accord
Schreurs-Couvreur.
Réactions
La
publication du Manifeste fait l’effet d’une bombe. Plus de 1.250
articles de journaux et de revues lui sont consacrés (avant la fin 1953). En
Wallonie, les milieux politiques de gauche approuvent les principes
fondamentaux de l’accord ; le PSC wallon s’abstient ; le Mouvement des
Provinces wallonnes redit son opposition au fédéralisme, mais entreprend des
démarches auprès du ministre Van Houtte en faveur du Sénat géographique.
Wallonie libre et le Congrès national wallon approuvent évidemment la
démarche de leurs représentants qui reçoivent les félicitations de Jean Rey.
En Flandre, l’accueil est plus mitigé. Les soutiens engagent davantage des
personnes que des associations (sauf les Anciens Combattants flamands) ou
des partis. Les critiques les plus fortes émanent du CVP. À
Bruxelles, les réactions sont contrastées et des débats contradictoires
souvent tumultueux. D’un côté, les Wallons de Bruxelles réunis au sein de l’AWPSP,
du Cercle des Étudiants wallons de l’ULB et de la Fédération bruxelloise de
Wallonie libre soutiennent le Manifeste, même s’ils souhaitent des
précisions quant au statut de Bruxelles dans un régime fédéral. De l’autre,
l’offensive naît d’un éditorial du Flambeau. Montrée du doigt par les
négociateurs, la presse bruxelloise assaille le Manifeste d’injures
et certains négociateurs d’attaques personnelles : grande trahison,
(…) capitulation inconditionnelle, (…) édification d’une barrière
des races et des langues à l’abri de laquelle l’impérialisme flamand va
préparer tranquillement de dévastatrices offensives, (…) honte à
laquelle on ne souscrira jamais, etc. Réagissant à l’emploi du
terme ethnie, la presse bruxelloise traite les signataires de
racistes. De plus, reprochant aux négociateurs de ne représenter
qu’eux-mêmes, elle accuse les militants wallons d’avoir arraché un accord
sur le fédéralisme en abdiquant dans le domaine de l’amnistie. Enfin, elle
accuse le Manifeste de livrer Bruxelles à la Flandre, alors que, du
côté flamand, un homme politique trouve que le Manifeste livre
Bruxelles à la Wallonie.
Le
Manifeste ne laisse donc personne indifférent. Après un discours
anti-fédéraliste de son président, le flamand Liebart, et les protestations
des fédérations wallonnes contre leur président, le Parti libéral ne
constitue-t-il pas, en son sein, une Commission des affaires régionales ? Le
bureau du PSB n’examine-t-il pas la question wallo-flamande sous un nouvel
angle ? Mais le Manifeste n’est qu’une étape. Suite à sa publication,
s’instaure un groupe de travail qui tend à concrétiser les principes qui y
sont définis. Tenant compte des observations sur le statut de Bruxelles, une
sous-Commission étudie la seule question de Bruxelles ; elle est composée de
cinq Bruxellois néerlandophones et de cinq Bruxellois francophones :
Charles-François Becquet et Albert Romain (pour Wallonie libre), Lucien
Debende et Roger Maingain (pour l’AWPSP) et Georges Wérenne (Étudiants
wallons de l’ULB). Le statut et le fonctionnement du territoire de Bruxelles
feront l’objet d’un accord au sein de la Commission spéciale (5 septembre
1953).
Collège wallo-flamand (17
octobre 1954)
Sur
base du projet de Constitution élaboré en 1947 par le Congrès national
wallon et tenant compte des principes de la proposition Van Belle-Merlot
(1952), le groupe de fédéralistes wallons et flamands rédige aussi un
nouveau projet de Constitution fédérale. Comportant 150 articles repris sous
huit titres, il réorganise l’État belge en faisant de la Belgique un État
fédéral formé de deux États régionaux, la Wallonie et la Flandre, et du
Territoire fédéral de Bruxelles. La population belge se composerait de
citoyens belges jouissant soit de la nationalité wallonne, soit de la
nationalité flamande, selon des critères à définir. Le pouvoir législatif
fédéral s’exercerait via une Chambre fédérale et le roi ; le pouvoir
législatif des États régionaux relèverait d’un gouverneur général et d’une
Chambre régionale compétents dans toutes les matières qui ne relèvent pas de
la Chambre fédérale. Une proposition concrète de révision de la Constitution
est déposée le 18 septembre 1953. Ce texte obtient le soutien du Congrès
national wallon réuni à Charleroi, les 3 et 4 octobre 1953 (unanimité moins
deux abstentions).
Ce
n’est que le 17 octobre 1954 qu’est officiellement constitué le Collège
wallo-flamand ; Fernand Schreurs et Walter Couvreur en sont les présidents,
Charles-Fr. Becquet et Fr. van der Elst les secrétaires. Conformément aux
principes énoncés, il est composé paritairement de dix Flamands et de dix
Wallons (Maurice Bologne, Arille Carlier, Lucien Debende, Georges Dedoyard,
Jean Fillée, Jean Pirotte, Albert Romain, Jean Van Crombrugge, Georges
Vrancken et André Wautier). Dès sa première réunion du 24 octobre, le
Collège recommande des réformes urgentes : l’autonomie culturelle des deux
communautés par la création de deux Conseils culturels ; le dédoublement du
département de l’Instruction publique ; la fixation définitive de la
frontière linguistique et la mise en concordance des limites
administratives, judiciaires et électorales avec cette frontière
linguistique ; la création de Conseils consultatifs wallon et flamand à
compétence économique et sociale. Plusieurs autres réunions ont lieu (5 mars
et 30 avril 1955, 1er décembre 1956). Début août, une délégation
composée de Couvreur et Vanderelst d’une part, de Schreurs et Bologne
d’autre part, rencontre le ministre de l’Intérieur Vermeylen afin d’exposer
son point de vue commun sur l’autonomie culturelle ainsi que sur la fixation
de la frontière linguistique et des limites de l’agglomération bruxelloise.
En
tant que tel, le Collège wallo-flamand ne produira aucun document, mais il
permet à certains commissaires du Centre Harmel de poursuivre leurs
réflexions en dehors de la Commission officielle. L’esprit du Manifeste
de 1952 ne manquera pas d’inspirer les signataires de la déclaration commune
relative à la dénatalité, fruit des contacts entre le Conseil économique
wallon et le Conseil économique flamand (décembre 1956).
En
mars 1960, après quatre années de silence, les contacts reprennent. Maurice
Bologne participe au deuxième congrès fédéraliste des étudiants catholiques
de Gand, en compagnie de P. Beeckman et de P. Skadegard (secrétaire général
de l’Union fédéraliste des Communautés ethniques européennes). À la suite de
cette manifestation, un groupe de contact est reconstitué sur base d’un
accord sur deux points : fixation rapide de la frontière linguistique et
fixation des limites de l’agglomération bruxelloise de manière à mettre
un terme à l’accroissement monstrueux de la capitale au détriment des
intérêts wallons et flamands (mars 1960) ; le Collège wallo-flamand se
mue en un Centre de contact des Fédéralistes wallons et flamands,
avec Maurice Bologne et Claude Daenen (préfet de l’Athénée de Tirlemont)
comme secrétaires ; le Centre publie un nouveau Manifeste, le 16 mai
1961. Il s’inscrit dans un contexte bien particulier : la Wallonie vient de
vivre des heures difficiles pendant la Grève contre la Loi unique ;
les socialistes wallons ont envoyé une Adresse au roi ; en Flandre,
de multiples ordres du jour en faveur du fédéralisme ont été votés et une
Proclamation des Associations flamandes a été publiée. Maurice Bologne
organise pour sa part, à Charleroi, un colloque wallo-flamand au cours
duquel il offre la parole à Claude Daenen (19 mai). Dans la foulée du
Manifeste, une journée d’étude est organisée à Liège, le 15 octobre,
afin de déterminer avec précision les convergences et les divergences des
associations wallonnes et flamandes.
Journée d’étude des fédéralistes wallons et flamands (15 octobre 1961)
Au
Palais des Congrès de Liège, ce sont 150 délégués, formant une sorte de
conseil fédéral informel, qui sont appelés à débattre sous la présidence de
Jean Pirotte (pour Wallonie libre) et de Paul Daels (pour le Vlaamse
Volksbeweging), qui remplacent respectivement Arille Carlier (malade) et
Walter Couvreur (excusé). La réunion débute par une profession de foi
fédéraliste : le fédéralisme est la démocratie des peuples. Trois
points figurent à l’ordre du jour de la journée d’étude. L’analyse du projet
de fédéralisme présenté sous la signature principale de Simon Paque, le 11
juillet 1961 ; le statut de Bruxelles ; la situation des minorités
philosophiques et religieuses dans une Belgique fédérale.
La
qualité des discussions est élevée. D’emblée, Claude Daenen précise, au nom
du Mouvement flamand, qu’il n’y a en Belgique que deux peuples et deux
cultures ; il ne peut y avoir de fédéralisme à trois ; Bruxelles ne peut
être que la capitale des Wallons et des Flamands associés sur pied d’égalité
et dans le respect mutuel. Au nom du Mouvement wallon, Fernand Schreurs
détermine les grandes lignes du projet Paque ; même s’il est plus précis
dans sa terminologie, ce projet s’inspire de la proposition Van Belle-Merlot
de 1952 et reprend les grands principes du Manifeste des Intellectuels
wallons et flamands de décembre 1952, à savoir reconnaissance de deux
communautés (Flandre et Wallonie) et de trois territoires (Flandre,
Wallonie, Bruxelles) ; les deux chambres législatives, wallonne et flamande,
préservent l’autonomie de chacune des deux communautés dans le domaine
culturel, économique et social. Il est évident que, comme au début des
années cinquante, c’est le statut de Bruxelles qui pose le plus de problèmes
aux protagonistes même s’ils semblent d’accord sur de grands principes :
choix par les Bruxellois de leur nationalité (Wallon ou Flamand), création
d’un conseil général au pouvoir moins large que les chambres régionales,
parité Wallons/Flamands dans les structures bruxelloises.
P.
F. Beeckman, premier président du Vlaamse Volksbeweging, précise les
principes généraux sur lesquels Wallons et Flamands sont d’accord ; délégué
du Vlaamse Volksbeweging, Wilfried Martens propose, quant à lui, de
créer une deuxième Chambre, une Chambre basse, à côté de la Chambre
paritaire ; ses membres élus directement au suffrage universel
représenteraient les citoyens en fonction du chiffre de la population et
auraient le contrôle de la politique générale. Envisageant de confier
certains pouvoirs à l’échelon européen, Wilfried Martens veut introduire le
système de la représentation proportionnelle au niveau fédéral. Député
Volksunie, Daniel Deconink introduit des précisions dans le débat et
propose qu’un référendum populaire soit organisé sur l’introduction du
fédéralisme en Belgique.
Sur
la question de Bruxelles, les intervenants, flamands surtout, font connaître
leurs ressentiments à l’égard d’une centralisation francophone excessive et
étouffante. Les limites de la capitale sont au cœur des débats (19 communes
pour les Flamands, 19 communes et peut-être d’autres communes pour les
Wallons) ; le choix de la nationalité aussi (Wallon ou Flamand) : et si
des Bruxellois refusent l’une et l’autre ?, s’interroge Maurice Bologne
qui prône un statut spécial pour Bruxelles. Il est évident que la
question bruxelloise divise les intervenants.
Sur
la question des minorités philosophiques et religieuses, troisième point à
l’ordre du jour, les congressistes sont unanimes ; les délégués wallons et
flamands se disent rassurés par les garanties qu’un système fédéral
apporterait aux minorités tant en Flandre qu’en Wallonie. Les congressistes
promettent de se revoir en janvier 1962, en Flandre.
Dialogue de communauté à
communauté
Cependant, les événements vont rendre plus difficiles les relations entre
fédéralistes wallons et flamands. Maurice Bologne fait remarquer que les
marches flamandes sur Bruxelles, les expéditions terroristes dans les
Fourons et les menaces sur Mouscron-Comines ont comme conséquence de
rapprocher Wallons et Bruxellois, mais de creuser le fossé entre Wallons et
Flamands. Aux Flamands qui évoquent le critère objectif de la langue,
les Wallons répondent par le critère subjectif du libre choix des
populations à déterminer leur appartenance. Et Maurice Bologne de se
référer à Guy Héraud qui, dans un article de L’Europe en formation
(n° 70), insiste sur la primauté du principe d’autodétermination des peuples
par rapport au principe objectif de la langue. Faisant de la consultation
des populations concernées le postulat de toute définition de limite
régionale ou communautaire, le Mouvement wallon ne pouvait plus dialoguer
avec un Mouvement flamand qui se référait exclusivement à des chiffres de
populations censées pratiquer telle ou telle langue et datant de 1947.
C’est le journal De Standaard qui relance ce que communément on va
appeler le débat de communauté à communauté. En mai 1967, en effet, le
quotidien flamand interroge André Genot, Albert Parisis, Michel Toussaint,
François Perin et André Magnée sur le problème wallon. Que ce soit via le
fédéralisme ou via des formules de décentralisation, les cinq interlocuteurs
wallons affirment que les problèmes wallons ne peuvent pas être résolus dans
le cadre institutionnel belge unitaire. La parole est désormais aux
politiques. Les travaux du groupe des Vingt-huit déboucheront sur la
première réforme de l’État (1970).
Les initiatives du Mouvement wallon avaient montré la voie. D’autres
initiatives, ponctuelles, contribueront encore, dans les années septante, à
favoriser le dialogue entre fédéralistes. Maurice Bologne continue à faire
valoir le point de vue wallon en Flandre. Quant à François Perin, il ne
cessera de réclamer un dialogue de communauté à communauté. Il recevra le
soutien de la Wallonie libre et surtout de Hugo Schiltz, président d’une
Volksunie au fait des desiderata wallons. Président du Mouvement
populaire wallon, Jacques Yerna sera aussi invité à plusieurs reprises à
présenter, en Flandre, le point de vue wallon. Mais quand Wilfried Martens
apporte sa forte contribution à la réforme de l’État de 1980, Arille Carlier,
Maurice Bologne et Jean Pirotte ne sont plus là pour lui rappeler la journée
d’étude d’octobre 1961.
Paul Delforge