Des médias au service de
la mémoire collective et de projets culturels
Pierre
GORDINNE
Directeur général Médiathèque
de la Communauté française de Belgique
1. Carte de
visite
La première discothèque
de prêt est née voici plus de trente ans avec l'avènement du disque microsillon.
Au fil du temps s'ajoutèrent à ce disque "noir", les musicassettes, les
diapositives, les vidéocassettes et les disques compacts. Aujourd'hui, la
Médiathèque de la Communauté française de Belgique offre un service de prêt de
médias pour 120 villes et communes de Wallonie et de Bruxelles.
Son patrimoine représente
un demi-million de médias répartis dans 17 centres de prêt fixes ou mobiles.
Chaque année, ces 17 médiathèques, en fonction de leurs ressources propres,
acquièrent ensemble pour environ 50 millions de francs de nouveautés
discographiques, cinématographiques et vidéographiques.
Ces collections ont
vocation d'être représentatives de l'expression artistique mondiale avec une
prédilection pour la culture de notre Communauté et du monde francophone.
La Médiathèque est
fréquentée par plus de 100.000 membres actifs qui ont emprunté pendant la saison
1986-87, deux millions et demi de médias, soit 2.300.000 disques noirs et
compacts et environ 200.000 films, vidéo- cassettes éducatives, diapositives et
cours de langue.
Ce grand réseau de prêt
régionalisé équilibre son budget de l'ordre de 300 millions par ses ressources
propres (près de 50%), les contributions publiques, auxquelles s'ajoutent le
mécénat et la sponsorisation pour les investissements spécifiques en médias,
matériel audiovisuel, "Discobus", infrastructure de prêt, informatique...

2. Médiathécaire: un
nouveau métier au service d'une immense mémoire
La Médiathèque emploie, à
temps plein ou partiel, 150 personnes, pour la plupart médiathécaires. Donnant
valeur et matière à tous ces chiffres, ils sont avant tout confrontés à une
gigantesque intendance au sein d'une entreprise économe de ses moyens, puissants
certes, mais à rationaliser et adapter sans cesse.
La réalité de la
profession de tous les "thécaires" est d'abord dominée par les compétences
nécessaires à l'accueil du grand public et la gestion d'un énorme patrimoine;
d'autant que le mouvement des médias et du public s'accélère sans cesse depuis
trente ans, et que, depuis les années 1980, la Médiathèque a constamment
diversifié ses fonctions pour suivre l'actualité des technologies et de la
consommation de masse.
La "mémoire collective"
n'est pas simplement de la mémoire collectée; encore faut-il d'abord réunir tous
les éléments épars de la culture enregistrée avant d'aborder de vraies questions
de médiathécaire:
-
comment constituer,
agencer, présenter, des collections?
-
comment accueillir
avec le même soin le fana de rock, le mélomane, l'ethno-musicologue, le
musicien, le cinéaste amateur, l'enseignant, le sociologue, etc...?
-
quelle informatique
pour quelle catalographie?
Aucune école ni
université ne forme à proprement parler au métier de médiathécaire, capable dans
un temps très court d'occuper pleinement fonction.
Que ce soit pour le
médiathécaire au volant de son discobus de 15 tonnes ou pour le spécialiste de
telle ou telle musique, la quantité de l'information à manipuler est telle qu'il
faut, de plus, maîtriser les "machines à mémoire".

3. Une médiathèque:
trois patrimoines
En premier lieu, bien
entendu, le public. En 1953, quand il déposa au Moniteur les statuts d'une asbl
fondée sur l'idée d'un large accès à la culture musicale par le prêt de disques,
Jean Salkin(1)
pouvait-il imaginer que chaque année plus de 15.000 personnes s'affilieraient à
cette organisation? Alors que, en 1956, le premier million pour acheter les
premiers disques est venu du mécénat bancaire, pouvait-on imaginer que 30 ans
plus tard, 120 communes de Wallonie et Bruxelles seraient financièrement
associées au projet et que de nombreuses demandes resteraient encore
insatisfaites faute de moyens. Le premier "patrimoine" de la Médiathèque, ce
sont ses membres, ces publics appelés grand public.
Ce sont, ensuite, ses
collections, probablement uniques en Europe. Les titres acquis par la
Médiathèque forment une mémoire musicale considérable: le meilleur catalogue de
jazz connu comprend 7.000 titres différents; la Médiathèque en possède 14.000.
La gestion de cette
mémoire collective requiert énormément de soins. Elle forme une part essentielle
du projet culturel de la Médiathèque: à côté des tendances univoques, dominantes
de la diffusion marchande, valoriser la diversité des mémoires oubliées,
dominées, envahies.
La banque d'information
sur les médias constitue un troisième aspect du patrimoine de la Médiathèque.
Dès avant les années 1970, la mise en mémoire informatique des contenus des
collections et, à partir de 1981, l'acquisition de l'ordinateur central
permettaient, progressivement, l'accès à n'importe quel titre dans tous les
services du territoire.
Le grand public, mais
aussi les 800 établissements scolaires membres de la Médiathèque, auront accès,
dès ce mois d'octobre, à 2.200 synopsis programmes audiovisuels sur
vidéocassettes.
De nouvelles possibilités
d'interrogation sur la gestion et la diffusion des collections et l'accès
progressif à toute recherche documentaire, constituent le coup d'envoi d'un
service au public couvrant tout le champ des projets culturels allant de la
réponse à demande ponctuelle à la constitution de catalographies thématiques.

4. Vers un nouveau
paradigme
L'histoire des services
rendus par la Médiathèque et son avenir en Wallonie et à Bruxelles ne feraient
pas honte à Jules Destrée.
Il n'est de mémoire
collective que celle qui, reposant dans les mémoires individuelles, garde la
trace d'événements, de faits, de mouvements, vécus, consciemment ou non, par des
communautés, et qui en fondent, à travers les diversités d'approche, l'unité
culturelle.
Restituant par ses divers
canaux de diffusion les éléments d'une mémoire éparpillée en de multiples
acteurs, la Médiathèque, à travers les choix inscrits dans son propre projet
culturel, contribue à maintenir en mouvement "les choses de la vie" d'une
communauté.
Exemple-type -
"paradigme" - d'un projet culturel en perpétuel devenir depuis plus de 30 ans,
alliant mémoires sonore et visuelle, elle accompagne le "commerce" des médias
sans se superposer à lui, mais avec, en revanche, une sensibilité qui la rend
partenaire de multiples projets portés par d'autres acteurs culturels.
Elle est, aussi, ce
modèle d'entreprise aux objectifs de service public, à mixité de financements et
à gestion privée, qui a développé progressivement ses méthodes propres, ses
patrimoines et a intégré toutes les données nouvelles des technologies de la
culture des médias.
Mais bien sûr, nul n'est
prophète en son pays.
(Octobre 1987)
Notes
(1)
Fondateur-Conseiller général.

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