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Les biothechnologies: Un nouveau secteur d'avenir ?

René CONSTANT
Directeur général de l'Institut national des Radioéléments (I.R.E.)

 

La crise que nous vivons toujours actuellement a créé un environnement complexe et imprévisible qui a ébranlé les plans et les certitudes de la plupart des dirigeants dans les divers domaines de leurs activités. Le terme "reconversion" est à la mode. Tout le monde en parle sans bien entendu avancer de recette concrète pour sa réalisation.

Le chômage est là, omniprésent, pesant sur les économies et sur les hommes tandis que la plupart des initiatives industrielles que nous voyons se développer répondent à deux caractéristiques:

  • pauvreté en emplois;

  • spécialisation marquée de ceux-ci, ce qui entraîne de réelles difficultés de recrutement. Nous nageons dans l'absurde ou paraissons en tout cas le faire. Il y a inadéquation totale entre l'emploi créé et la demande.

En outre, nous payons aujourd'hui ce que Michel ALBERT a appelé le "coût de la non-Europe". C'est clair: avec ses marchés segmentés, notre continent a pris du retard par rapport aux Etats-Unis et au Japon. Pourquoi dans un tel contexte se préoccupe-t-on tellement aujourd'hui de ce que l'on nomme les biotechnologies et que sont ces biotechnologies?

Ce sont les deux questions auxquelles nous allons essayer de répondre.

Rappelons d'abord qu'une hypothèse majeure permet d'expliquer les cycles (longs dans ce cas-ci) de l'évolution économique: c'est le rythme de développement de l'innovation technique. En effet, selon SCHUMPETER, les innovations ne se distribuent pas également dans le temps, mais se trouvent regroupées dans des périodes précises provoquant ainsi des mouvements cycliques. La raison fondamentale de ce regroupement temporel des innovations serait déterminée par de nouvelles perspectives de profil alors que s'épuise le rendement des anciens secteurs dominants.

Tour à tour, les métiers à tisser, la machine à vapeur, le four à coke, les chemins de fer, l'électricité et le moteur à explosion ont "porté" de nouvelles périodes de croissance. Ce fut ensuite, l'apparition de biens domestiques tels que la télévision et le développement des matériaux synthétiques durables qui permirent d'entraîner les économies industrielles dans les années 50/60. Aujourd'hui, le développement de nouvelles technologies telles que l'informatique et l'introduction des biotechnologies nous projettent dans une période de révolution économique profonde dont les caractéristiques laissent perplexes: il se pourrait que pour la première fois dans l'histoire économique moderne, au lieu de développer l'emploi, l'innovation technologique engendre un important chômage chronique.

Mais commençons par définir les termes:

Qu'appelle-t-on biotechnologie?

Le terme "biotechnologie" couvre en fait toutes les techniques ou manipulations mettant en jeu des organismes vivants (ou parties de ceux-ci) pour fabriquer ou modifier les produits dans le but d'améliorer des plantes ou des animaux ou encore de développer des micro-organismes à usages spécifiques.

En fait, quand on parle aujourd'hui de biotechnologie on se réfère essentiellement aux techniques de l'ADN recombiné, à la fusion des cellules vivantes et aux techniques dites de "bioprocessing". L'évolution de ce que nous appelons la biotechnologie moderne est aussi récente que rapide. Jugez-en par quelques étapes importantes:

  • 1973: clonage du premier gène;

  • 1974: première expression d'un gène cloné dans une bactérie;

  • 1975: création du premier hydridome;

  • 1981: approbation pour utilisation aux USA du premier kit utilisant des anticorps monoclonaux;

  • 1982:

    • approbation en Europe du premier vaccin animal contre la colibacillose produit par génie génétique;

    • réalisation de l'insuline humaine produite par génie génétique et son utilisation autorisée aux USA et en Grande-Bretagne.

  • 1983: généralisation des manipulations génétiques sur espèces végétales.

Ce bref survol a mis en évidence une série de noms techniques que nous essaierons de préciser sans tarder.

Mais rappelons d'abord ce qu'est une cellule.

Les cellules sont des éléments constitutifs de tous les être vivants. Elles sont formées en gros: d'une membrane, d'un cytoplasme et d'un noyau.

Malgré ses petites dimensions (comprises en général entre 1 et 40 millièmes de mm de diamètre) c'est une remarquable usine avec sa membrane et son noyau baignant dans une sorte de gelée appelée cytoplasme. Ces trois éléments sont communs à toutes les cellules, qu'il s'agisse de plantes, d'animaux, voire de micro-organismes comme les levures. Ajoutons immédiatement que les bactéries ne possèdent pas de noyau mais un seul chromosome baignant dans le cytoplasme tandis que les virus, eux, sont constitués uniquement de matériel génétique, d'une enveloppe et ne possèdent pas de cytoplasme.

Comme le montre bien la figure 1., l'architecture cellulaire est cependant plus complexe que nous pourrions le laisser entendre.

Soulignons aussi que la variété des cellules, qu'elles soient animales ou végétales, est impressionnantes. C'est ainsi, par exemple, que le corps humain en compte à lui seul 60 milliards que l'on peut rassembler en 200 "familles" distinctes.

L'ordinateur central de la cellule se trouve dans le noyau (ou dans le cytoplasme s'il s'agit de bactéries). C'est lui qui contient le "programme" de la cellule, son code génétique, son hérédité donc finalement le plan de tout l'organisme.

L'information génétique est portée par l'acide désoxyribonucléique (ADN; DNA dans la terminologie anglo-saxonne) long de quelques dixièmes de centimètre -donc énorme à l'échelle moléculaire). Depuis WATSON et CRICK qui les premiers en 1953 ont décrit sa structure, on sait que cette macromolécule a l'aspect d'un petit ruban constitué de deux brins torsadés (fig 2.) formant une sorte d'échelle "spiralée" (en double hélice) dont les montants sont constitués de sucres reliés entre eux par des phosphates et liés à des bases azotées de type purine et pyrimidine.

La molécule d'ADN est en quelque sorte la bande magnétique qui contient le programme de l'ordinateur central cellulaire. Elle se trouve en pelote enroulée sur elle-même dans le noyau de toutes les cellules (sauf bien entendu chez les micro-organismes dépourvus de noyaux où on la trouve dans le cytoplasme). Présente en deux copies, chacune portée par un chromosome, l'information génétique peut ainsi être transmise intégralement lors de la division cellulaire.

Rappelons en effet que dans les cellules sexuelles (ovules et spermatozoïdes) un phénomène de réduction fait que l'ADN ne s'y trouve qu'en une seule copie (comme c'est le cas chez les bactéries également). C'est la fécondation qui assure l'assemblage des deux lots chromosomiques et, du même coup, l'héritage parental.

Les barreaux reliant les montants de l'échelle sont constitués de 4 molécules de base (appelées nucléotides) - toujours les mêmes:

  • Adénine (A);

  • Cytosine (C);

  • Guanine(G);

  • Thymine(T).

Les nucléotides sont appariées de façon rigoureusement constante et précise:

A toujours avec T (A-T ou T-A);

C toujours avec G (C-G OU G-C)

Cela nous donne donc 4 types possibles de "barreaux". C'est l'ordre de succession de ces barreaux, tout au long de la chaîne d'ADN, qui conditionne l'apparition des caractères héréditaires.

D'autres part, nous devons savoir que les protéines sont des constituants essentiels des organismes vivants, qu'elles sont formées d'une succession d'acides aminés et qu'elles assurent la plupart des fonctions. Chaque espèce vivante, et à l'intérieur de chaque espèce, chaque tissu possèdent des protéines spécifiques. Ce sont certaines sections - on dit "séquences" - de l'ADN qui se transcrivent pour la fabrication d'une protéine donnée (un peu comme une clé s'adapte à une serrure ou encore comme un moule pouvant donner forme à de nombreuses autres pièces identiques). Ces conséquences sont appelées gènes (1)

La chaîne d'ADN supportant les gènes est enroulée sur elle-même pour former, associée à des protéines, ce qu'on appelle les chromosomes. L'ensemble des chromosomes d'une cellule est appelé le "génome".

Quelques précisions encore:

  • une bactérie, l'être vivant le plus simple, compte un seul chromosome qui comporte 3.000 gènes sur 1 mm de chaîne d'ADN;

  • la cellule humaine compte elle 46 chromosomes.

REVENONS-EN MAINTENANT A CE QUE L'ON APPELLE UNE "MANIPULATION GENETIQUE"

Bien que la technique soit très compliquée, la théorie en elle-même est dans son principe assez simple: il s'agit d'introduire dans la chaîne d'ADN d'une cellule, le gène, c'est-à-dire un petit morceau d'une autre chaîne commandant la tâche précise que l'on veut faire exécuter par la cellule manipulée. Le code génétique étant universel, il est possible d'introduire par exemple des gènes humains dans une bactérie. On peut ainsi amener une bactérie ordinaire à fabriquer des substances extrêmement complexes et très rares - par exemple de l'insuline ou de l'interféron.

Mais pourquoi une bactérie?

Tout simplement parce que les bactéries sont généralement aisées à cultiver et que leur temps de division est très rapide. Une culture bactérienne peut atteindre des densités très élevées, contrairement aux cellules végétales et mammaliennes.

De plus, la génétique de certaines bactéries, comme Escherichia Coli, est bien connue et le chromosome, plus simple, des bactéries permet une manipulation plus aisée. D'où l'intérêt de transmettre certaines propriétés de cellules "supérieures" à des micro-organismes tels des bactéries qui vont se reproduire intensivement et indéfiniment devenant ainsi de véritables usines. Mais n'anticipons pas.

Trois découvertes essentielles ont permis l'éclosion du génie génétique.

1. Les enzymes de restriction:

Ces enzymes produits par différentes bactéries, ont la propriété de couper une séquence d'ADN à un endroit bien précis, en reconnaissant une courte séquence déterminée, séquence différente pour chaque enzyme de restriction. La séquence reconnue par l'enzyme Eco Ri est par exemple G!AATTC, alors que celle reconnue par l'enzyme Hind III est A!AGCTT (le ! représente l'endroit de la coupure). Ces enzymes permettent donc de découper des segments d'ADN.

 

2. La reconstitution de l'ADN, coupé, par la réaction de ligation in vitro.

Les fragments d'ADN coupés par un enzyme de restriction donné peuvent être ressoudés par un enzyme appelé ADN Ligase. Ceci permet de déplacer une séquence d'ADN humain, par exemple, dans un ADN bactérien.

 

3. La transformation bactérienne.

L'ADN est ainsi inséré dans une séquence bactérienne particulière (un plasmide (2) ou un bactériophage) conférant, par transformation, une caractéristique particulière à une bactérie-hôte (l'ADN est mis en contact avec les bactéries dans certaines conditions particulières permettant la pénétration à l'intérieur de celles-ci). Ceci permet de modifier le patrimoine génétique de la cellule que l'on veut faire travailler, cellule qui va évidemment, à partir de ce moment-là, se reproduire en effectuant le travail pour lequel elle est dorénavant programmée (fig. 4.).

Actuellement on assiste aussi au développement fantastique des techniques de manipulations génétiques des cellules végétales et des cellules de mammifères. Pour ces dernières, cela revêt une très grande importance car elles sont seules capables, pour certaines protéines complexes, de réaliser les réactions de glycosylation de ces protéines.

Deux autres techniques sont également utilisées pour modifier le patrimoine génétique des cellules:

  • la première, le clonage, consiste à transférer dans une cellule l'ENSEMBLE DU NOYAU d'une autre cellule. Elle est employée particulièrement en physiologie végétale;

  • la seconde qui consiste à fusionner deux cellules de lignées différentes pour donner ce que l'on appelle des "hybridomes" possédant les propriétés des deux cellules initiales.

Nous y reviendrons.

Quelles sont les bases de la biotechnique?

L'homme exploite depuis fort longtemps les activités chimiques des micro-organismes. Empiriques jusqu'au XIXème sciècle, les biotechnologies ont de tout temps permis de faire le pain, le vin, la bière et les fromages. La fermentation industrielle n'est venue que plus tard. Production de glycérol et d'acétone pendant la Première Guerre mondiale, pénicilline pendant la grande dernière sont des exemples bien connus.

Aujourd'hui, nous sommes à l'ère du génie génétique. A la base de tout: l'extraordinaire vitalité des micro-organismes. Deux exemples pour fixer les idées:

  • 1 kg de levures en produit 20 de protéines en plus ou moins 24 heures;

  • les bactéries font preuve d'une telle activité qu'une seule d'entre elles peut avoir 10 millions de descendants en 24 heures et donc plus de 100 milliards en deux jours. Sous une autre forme, on peut dire qu'une seule bactérie (plus ou moins 1012 g) - soit un milliardième de milligramme - peut produire de l'ordre de la tonne de matière en 60 heures. Rappelons-nous nos petites usines de tout à l'heure..

Bien qu'encore étonnant, tout cela n'est pourtant pas bien neuf: en 1979, un médicament sur cinq vendus aux USA était déjà produit par des micro-organismes. Si la production d'antibiotiques par les levures est assez connue, celle des stéroïdes et de certaines vitamines par des bactéries l'est beaucoup moins, bien que les répercussions de ces techniques au niveau du prix de revient soient inestimables.

Un exemple encore: la cortisone brute qui valait de l'ordre de 8.000 F le gramme en 1950 en vaut aujourd'hui de l'ordre de 20, soit 400 fois moins.

Mais quel est aujourd'hui l'impact des biotechnologies?

Il se localise dans quelques grands secteurs, principalement:

  • les industries de la santé;

  • la chimie bio-industrielle;

  • l'agriculture et les industries agro-alimentaires;

  • le traitement des eaux;

  • et, dans une moindre mesure, la protection de l'environnement.

A. Les industries de la santé

Dans le domaine de la santé, les biotechnologies permettent:

1. d'améliorer les procédés de fabrication de produits traditionnellement obtenus par voie bio-industrielle (vaccins, antibiotiques, etc.);

2. d'envisager la production bio-industrielle de molécules traditionnellement obtenues par d'autres méthodes, et notamment par synthèse chimique;

3. de développer des molécules entièrement nouvelles et surtout des molécules dont le coût d'obtention interdisant une large diffusion (hormone de croissance, insuline, interféron, somatostatine, réactifs de diagnostic à anticorps monoclonaux, etc.) sont des exemples bien choisis.

 

B. La chimie bio-industrielle

Les produits qui sont actuellement dérivés du pétrole pourraient être obtenus biologiquement au départ de biomasses. Bien que la technologie soit déjà disponible pour certaines substances (par ex. l'éthanol) l'infrastructure existante bloquera probablement le développement pour au moins deux décades, pour des raisons diverses trop longues à développer ici.

Bien entendu, toute la chimie fine est également potentiellement concernée par les biotechnologies mais leur impact concerne, actuellement pour l'essentiel, un nombre limité de molécules à valeur ajoutée importante telles que les biopolymères, les acides aminés, certains arômes alimentaires, etc. Le potentiel de développement est assurément très important dans ce secteur.

C. L'agriculture et les industries agro-alimentaires.

L'un des grands objectifs des biotechnologies n'est autre que d'intégrer progressivement l'activité agricole dans l'ensemble des activités industrielles. La biomasse d'origine végétale ou animale devrait, de plus en plus, être utilisée en concurrence avec d'autres sources de matières premières dans un nombre croissant de productions industrielles (substrats de fermentation, matières premières d'extraction, de fractionnement, etc).

Se développant cette fois plus vite que prévu, les biotechnologies doivent par ailleurs permettre d'améliorer quantitativement et qualitativement la production agricole:

  • dans le domaine végétal, l'application des techniques de génie génétique peut par exemple renouveler les méthodes de sélection des semences ou encore créer de nouvelles variétés plus résistantes à la température ou à divers types d'agression. On peut aussi compléter l'arsenal des produits de protection des cultures en créant des bio-pesticides moins toxiques.
    C'est ainsi que l'on vient d'apprendre que Plant Genetic System (firme gantoise) a réussi à produire en laboratoire, par manipulation génétique, une plante qui résiste aux insectes en produisant elle-même son propre insecticide. Ce n'est pas demain que ce genre de végétal couvrira nos champs mais l'étape qui vient d'être franchie est marquante. A plus long terme, on envisage de permettre la fixation directe de l'azote atmosphérique provenant de l'air ambiant ce qui permettrait la culture sans engrais azotés;

  • dans le domaine animal, les biotechnologies interviennent dans la fabrication de nouveaux vaccins, de produits de diagnostic, dans l'alimentation des troupeaux, par la production d'acides aminés par fermentation, mais aussi dans l'amélioration des races, par la mise en oeuvre de nouvelles méthodes de sélection, de transfert d'embryons, etc. Et de fait, depuis deux à trois ans, les manipulations génétiques sont appliquées aux mammifères. C'est ainsi que des chercheurs américains ont obtenu récemment des souris géantes grâce à la greffe de gènes de rat ou d'hommes commandant la production de l'hormone de croissance.

Des programmes impliquant la possibilité de "fabriquer" des porcs ou des moutons géants sont à présent en développement, le but étant évidemment d'obtenir des animaux de boucherie plus rentables.

Soulignons que ces études suscitent cependant des problèmes car, sur le plan scientifique, il est en effet plus que probablement exact qu'on ne puisse changer impunément la taille des animaux d'une espèce donnée, celle-ci étant en corrélation avec nombre de paramètres de l'anatomie et de la physiologie (robustesse du squelette, thermorégulation, circulation sanguine, etc...). Nous risquons de voir apparaître ainsi des créatures bien malades. Cette affaire montre en tout cas, comme certains biologistes le signalent depuis dix ans déjà, qu'il faut rester "éthiquement" très attentifs à ce genre de problème.

Il est en outre bien connu qu'une très importante partie de l'agro-alimentaire fait traditionnellement appel à des procédés de production bio-industriels tels que les fermentations (vins, bières, produits laitiers, etc.). C'est sans aucun doute le secteur industriel où l'impact des biotechnologies peut apporter les modifications les plus importantes comme par exemple:

  • l'amélioration des procédés de production;

  • l'apport de nouveaux produits, additifs, édulcorants, arômes, etc.;

  • la production à partir de matières non conventionnelles (par ex. des organismes unicellulaires).

Mais les conséquences les plus profondes sont sans doute à attendre d'une meilleure connaissance des mécanismes mis en oeuvre lors de la transformation des produits alimentaires. A l'empirisme le plus pur, pourrait bientôt succéder une approche scientifique qui bouleversera les fondements de la production alimentaire.

D. Le traitement des eaux

Grâce à l'utilisation de micro-organismes, l'épuration des eaux est un des secteurs de pointe de l'industrie de la dépollution.

 

E. La protection de l'environnement

La majorité des études actuelles portent sur les contrôles de pollution et de la dégradation des déchets toxiques. Sauf exception, ces applications n'atteindront pas le marché à court terme car les connaissances dans le domaine ne sont pas encore très avancées. Le relèvement des niveaux de tolérance et l'apparition de législation de plus en plus contraignantes sont des facteurs qui pourraient influencer l'agenda des développements possibles.

Tout ceci est évidemment très loin d'être exhaustif et n'a de valeur qu'exemplative.

Afin de répondre aux deux questions que nous nous sommes initialement posées, nous allons maintenant examiner d'une façon générale comment ces nouvelles techniques se développent sur le tissu industriel classique et pour concrétiser les idées, nous allons prendre un exemple de mécanisme de développement: celui du marché des soins de santé et des sociétés actives dans ce domaine.

Depuis 1945, ce secteur a connu trois grandes mutations technologiques:

  • pendant une première période allant de 1948 à 1953, on a assisté à la mise au point d'un bon nombre d'antibiotiques de synthèse à large spectre;

  • la seconde période de mutation s'est développée de 1960 à 1970 et s'est caractérisée par le développement de nouveaux médicaments très spécifiques (dits de sites récepteurs) qui permirent une progression spectaculaire de certains traitements, spécialement dans les domaines cardio-vasculaires, pulmonaires et gastro-intestinaux.

Notons bien que ces deux percées furent chaque fois annoncées par des progrès sensibles au niveau de la recherche fondamentale. Comme le fut d'ailleurs la troisième période de mutation que nous vivons encore aujourd'hui et qui est due au développement qui se fait parallèlement à celui - peut-être plus rapide encore - de la manipulation de l'ADN.

Ces deux développements (immunologie et ADN recombiné) sont aujourd'hui en processus de commercialisation avancé et ont, dès à présent, un impact important dans le domaine du diagnostic médical, par exemple, par la production, à échelle suffisante, d'anticorps monoclonaux. Pour l'avenir à court et à moyen terme, nous attendons l'avènement des sondes à ADN et de produits biologiquement actifs génétiquement manipulés.

Ces deux termes demandent éclaircissement:

Qu'appelle-t-on anticorps monoclonaux?

Qu'appelle-t-on sondes à ADN?

  • Les anticorps monoclonaux

Rappelons que les anticorps sont des protéines (encore appelées immunoglobulines) fabriquées par les organismes pour se défendre et répondre à l'agression de substances étrangères (par exemple des bactéries ou des virus) porteuses en surface d'autres protéines caractéristiques que l'on appelle antigènes.

Les anticorps produits vont se fixer sélectivement sur les antigènes dans le but de les éliminer. Mais, si un organisme supérieur est susceptible de synthétiser plus d'un million d'anticorps différents, chaque lymphocyte (c'est-à-dire chaque cellule qui produit ces anticorps) est programmée pour n'en synthétiser qu'un seul d'entre eux. Isoler cette cellule pour obtenir l'anticorps cherché ne peut résoudre le problème, celle-ci ne survivant pas en culture.

L'idée géniale a consisté à fusionner les lymphocytes avec des cellules cancéreuses se reproduisant indéfiniment et très vite. La cellule hybride ainsi obtenue possèdera naturellement les propriétés des deux cellules parentales: c'est ce qu'on appelle un hybridome.

Il suffit alors de trier les lignées d'hybridomes ainsi obtenus en fonction de ce que l'on cherche pour obtenir une lignée cellulaire théoriquement immortelle ayant la faculté de secréter en permanence un type unique d'anticorps - dit monoclonal - c'est-à-dire provenant d'une cellule unique (fig. 5).

  • Sondes à ADN

Il s'agit d'une technique qui devrait permettre (lorsqu'elle sera parfaitement mise au point) de déterminer RAPIDEMENT la nature et le type de virus ou d'agents bactériens responsables de la maladie infectieuse afin d'établir promptement un diagnostic sûr.

La méthode utilisée fait appel aux techniques de génie génétique basées sur l'isolement et l'utilisation de sondes ADN spécifiques du génome de l'agent infectieux, donc des microbes recherchés. C'est ce qu'on appelle une technique d'hybridation ADN-ADN qui consiste à dénaturer, c'est-à-dire à séparer, les deux chaînes constitutives de l'ADN des micro-organismes recherchés et à les mettre en présence d'ADN spécifique marqué de la bactérie ou du virus que l'on recherche.

L'ADN utilisé comme sonde consiste idéalement en l'ADN d'un gène impliqué dans la virulence de l'agresseur recherché. S'il y a compatibilité, la sonde se fixe et comme elle est marquée, des mises en évidence rapides et sensibles sont aussi réalisables.

Il ne nous est guère possible d'aller beaucoup plus loin dans le cadre de cet exposé.

Toutes ces technologies brillantes et très "hi-tech" ne doivent toutefois pas cacher une nécessité essentielle: ce sont des investisseurs qui doivent pressentir le potentiel de ces nouveaux processus et y investir suffisamment de capitaux pour en permettre la transformation (le scale-up, dit-on Outre-Atlantique) au niveau industriel.

Ces investissements se font souvent par la voie de création de nouvelles sociétés qui ont immédiatement besoin de fonds importants à consacrer au R & D pour garder leur valeur innovante. Pendant cette période du cycle de développement économique, c'est la technologie qui domine, qui dirige et qui détermine les opérations.

Dans le cas qui nous concerne ici, on peut dire que cette dernière phase a débuté aux USA en 1978 avec la création de plus de 300 nouvelles sociétés dites de "hi-tech" dans le domaine. Mais ces nouvelles sociétés et les technologies qu'elles développent ne tardent pas à évoluer. C'est alors que l'on voit apparaître une approche plus rationnelle spécialement au niveau de la gestion.

On passe de la "guidance technologique" pure ou quasi telle à une gestion plus classique conduite par la demande du marché ("market demand drive"). C'est un virage crutial de l'évolution et des sociétés qui ne s'y adaptent pas, soit échouent et disparaissent, soit sont rachetées par de grosses sociétés qui absorbent leur technologie.

La suite des événements est logique: les sociétés survivantes voient leur plan de développement arriver à maturité. Elles répondent bien au marché. Mais attention! à partir de ce moment, la valeur de leur "immatériel" technologique décroît, ce qui entraîne un nouveau nettoyage dans le secteur. Cette phase se caractérise souvent par un excès de technologie disponible fournie par les "survivants".

C'est à ce moment que les sociétés de type plus classique, qui n'ont pas pris les risques initiaux, ou bien l'acquièrent sur leurs réserves ou alors régressent.

Où en sommes-nous aujourd'hui?

En toute certitude dans le dernier cycle et en pleine phase d'"excès de technologie" disponible. Etonnant? Non, regardons autour de nous. Les anticorps monoclonaux produits "hi-tech" type, dont certains "politiques" ont cru avoir la révélation il y a quelques années à peine, sont déjà disponibles un peu partout et la valeur financière du savoir-faire en la matière est en chute libre. Quant à l'impressionnante technologie de l'ADN, elle peut être acquise rapidement auprès de nombreuses organisations y compris les nouvelles sociétés qui en sont toujours en pleine phase de "guidance technologique". On peut donc prévoir sans grand risque et à terme relativement court une banalisation relative de ce genre de technologie, ce qui va bien entendu accélérer la disparition, par famille ou par rachat des moins avancées, des sociétés "hi-tech". Dès lors, les autres qui atteindront la maturité du Cycle, sont celles qui mettent, dès à présent, tout en oeuvre pour pénétrer le marché.

Ce long développement assez technique n'a pour but que de montrer à quel point il est dangereux d'imaginer que l'on peut impunément, sans politique à long terme, implanter des technologies et les amener à maturité.

J'ai des exemples sur le bout de la langue: je n'aurai pas la cruauté, ni de les citer, ni de les commenter mais il est clair que seul un "screening" précis de la recherche fondamentale en progrès rapide par un noyau de spécialistes de diverses disciplines peut permettre de faire des prospectives et d'envisager les implantations nécessaires. Ce ne sont pas les missions appelées avec un certain humour "économiques" qui sillonnent le monde en tout sens qui permettront jamais de tels développements.

Dès lors, que faut-il faire? Il n'y a guère que deux solutions:

  • soit des rachats de technologies dans le cadre de "joint ventures" ou de politique de licences bien comprises menées par des sociétés établies disposant de marchés adéquats;

  • soit l'implantation de nouvelles activités à l'état initial du développement donc en phase "technologique" avec accompagnement de mises de fonds suffisantes pour qu'elles gardent leur valeur innovante sachant parfaitement que nous sommes là sur le terrain par excellence du capital à risques (venture-capital).

Nous arrivons ainsi tout naturellement au problème du

Financement des biotechnologies

Quoique l'on dise pour des motifs qui sont souvent de propagande politique et qui malheureusement cachent les vrais problèmes aux non-initiés et malgré la mise en place de quelques sociétés à capital-risque, le bilan des investissements REUSSIS en la matière apparaît singulièrement limité non seulement en Belgique mais aussi en France et même en Europe.

En vérité, le spectaculaire développement des biotechnologies aux Etats-Unis, dans les années 1980, est inséparable de celui du "venture-capital", un mode de financement spécialisé dans l'apport de fonds propres dans les sociétés de technologies de pointe. L'impact fut impressionnant: 12 milliards de US $ en 8 ans!

La technique fascinante du "venture-capital" a fait ses preuves en permettant le décollage de firmes mondialement connues telles que APPLE, CETUS, GENEX, GENENTECH, etc.

Comment cela fonctionne-t-il?

Le "venture-capital" met, en fait, en relation trois interlocuteurs:

  • des chercheurs;

  • des "venture-capitalists";

  • des détenteurs de capitaux.

1. Les chercheurs en question sont bien entendu de haut niveau et spécialisés dans des domaines d'avant-garde (informatique, robotique, bureautique, biotechnologie, etc). En résumé, il s'agit d'hommes brillants voulant gagner beaucoup d'argent ou étant bloqués par le conformisme de grands organismes. Il est bien connu que pour lancer un projet, il faut beaucoup d'argent. Ils n'en ont pas et il n'est pas question (même aux USA) qu'un banquier accorde un prêt sur une simple idée, sans autre garantie.

2. Le "venture-capitalist" (qui sont par ailleurs souvent plusieurs) est en même temps un financier et un conseil dans le domaine de la technologie d'avant-garde. Sa caractéristique: du flair dans la sélection des dossiers car on estime que le maximum de possibilités de réussite n'excède pas 30%. Il faut donc que les firmes spécialisées dans ce genre de sport se constituent un portefeuille varié pour répartir les risques, d'autant plus que le succès prendra du temps: 5 à 10 ans avant d'être rémunéré substantiellement. Le travail de Monsieur "venture-capital" sera dès lors de participer au conseil d 'administration des firmes financées et de suivre leur développement. Ajoutons pour compléter le tableau que les firmes de "venture-capital" sont généralement petites et qu'elles rassemblent quelques professionnels dont une bonne part provient du milieu de la recherche et des techniques de pointe.

3. Quant aux détenteurs de capitaux, ils cherchent évidemment des placements intéressants. Les "venture-capitalists", qui prospectent en permanence, rencontreront inévitablement les scientifiques qui, eux, cherchent de l'argent. Les analyses se font sur dossiers. Elles ne durent généralement pas plus d'un mois avec un rendement de l'ordre de 10%.

Le "venture-capitalist" américain cultive à l'extrême le culte de la libre entreprise: goût du risque et recherche du profit.

Pour comprendre le mécanisme, il faut bien garder à l'esprit que le but ultime de sa participation dans une société en forte croissance est de revendre le plus rapidement possible, ce qu'il fera en tout cas dès que le rythme de croisière sera atteint en réalisant - cela va sans dire - une plus-value aussi élevée que possible. La pratique montre qu'il peut raisonnablement espérer récupérer cinq fois sa mise au bout de 5 à 6 ans maximum.

Mais soyons clairs, le champ d'action est tellement large que miser sur le secteur revient (même aux USA) à jouer au lotto.

Comment le "venture-capitalist" va-t-il se dégager et réaliser sa plus-value? Deux moyens principaux s'offrent à lui:

  • l'introduction en bourse;

  • le rachat de la société par une firme plus importante.

Ceci dit, le problème du "dégagement" n'est pas simple et c'est d'ailleurs un de ceux qui préoccupent le plus nos financiers car la situation européenne ne peut être en aucun cas comparées à ce qui se passe aux USA. A titre indicatif, et en ce qui concerne la première hypothèse, notons au passage que c'est le cas pour un dixième seulement des sociétés de biotechnologies créées aux Etats-Unis depuis 10 ans.

La seconde possibilité (le rachat) est encore moins intéressante ici en Europe où les acheteurs potentiels de petites sociétés de biotechnologies sont plutôt rares. En outre, les délais énormes pour passer de la phase R & D à la commercialisation décourage les investisseurs.

Même aux USA, les résultats se faisant attendre, les investisseurs deviennent prudents. C'est ainsi que la proportion consacrée à la biotechnologie dans le total des fonds investis dans le "hi-tech" est tombé de 9,5 % en 1980 à 3,2 % en 1982, tandis que la création de nouvelles firmes marquait le pas:

  • 26 firmes créées en 1980;

  • 22 en 1982;

  • 3 seulement en 1983.

Toutefois, paradoxe du système financier américain (tout aussi peu imaginable en Europe que le reste), ce genre d'entreprise a continué de soulever l'enthousiasme malgré l'absence de résultats concrets ce qui leur permet de "lever" les fonds nécessaires à leur recherche. C'est ainsi que le marché boursier a pris le relais apportant 500 millions de US $ en 1983-1984 aux sociétés cotées alors même que les cours étaient souvent en chute libre. Une seule raison à tout cela: le rush s'est déclenché trop tôt.

Donc, jusqu'il y a peu, les grandes sociétés de technologie: Genex, Genentech, etc, n'ont eu aucune difficulté à se procurer de l'argent frais qui, bien placé, a produit des résultats financiers comptant pour l'essentiel dans les chiffres d'affaires réalisés. Néanmoins, une conclusion s'impose: la plupart des sociétés "hi-tech" de biotechnologie sont toujours dans le rouge et doivent revenir régulièrement sur le marché financier en utilisant maintenant une nouvelle formule d'appel de fonds: le R and D limited partnership".

C'est une nouvelle possibilité qu'offre la fiscalité américaine: les fonds consacrés au développement de la recherche peuvent être déduits des revenus imposables... mesure qui a permis à elle seule de lever plus d'un milliard de dollars en 1982!

Malgré cela, les signes de refroidissement sont aujourd'hui évidents. Depuis quelques mois (février 1985), d'importants investisseurs US déclarent ouvertement leur prudence. Dans de nombreux cas, ils conseillent purement et simplement le dégagement. Quoi qu'il en soit, je vous laisse juge de la position que nous pouvons occuper dans une telle course.

Ne pas oublier non plus que le "scale-up" et le "marketing" de ces produits vont encore coûter beaucoup d'argent et c'est bien entendu à cette occasion que les grands groupes chimiques ou pharmaceutiques peuvent intervenir.

Enfin, reste encore un autre handicap, et il n'est pas mince: la mise sur le marché des nouveaux produits dépendra de la décision de fonctionnaires de la Food and Drug Administration (F.D.A.) et donc de rapport de forces "lobbystes". Tout ce développement technologique allié au charme de la Silicon Valley n'est donc idylique que vu de loin et à travers des résumés parfois surprenants.

Par contre, la situation est totalement différente au JAPON, autre "modèle" en matière de biotechnologie. Là-bas, ce sont les grandes entreprises qui ont investi dans les biotechnologies de la nouvelle génération. Les industries agro-alimentaires y consacrent en moyenne 30% de leur effort de recherche, et souvent davantage. Le besoin de capitaux n'est donc pas ressenti de la même manière qu'aux Etats-Unis ou en Europe.

Constatons toutefois que les Européens en général et les Belges en particulier sont loin d'être absents du secteur aux USA. Nous connaissons des "hi-tech" sur la Côte Ouest dont la majorité des fonds propres provient de ce côté-ci de l'Atlantique. Par ailleurs, on estime que les engagements européens pourraient fort bien atteindre les 20% du total engagé. C'est donc extrêmement important. Les raisons en sont évidentes et nous ne manquerons pas d'y revenir.

Nous nous devons maintenant de répondre à l'argument justifiant la faiblesse des investissements en biotechnologie par le soi-disant manque de projets viables. C'est la "tarte à la crème" par excellence et le problème n'est d'ailleurs pas là. Il faut garder à l'esprit le rôle exact que joue le "venture-capitalist". C'est une question de structure avant d'être un problème de projet.

Même aux Etats-Unis, bon nombre de sociétés de biotechnologie tirent encore l'essentiel de leurs revenus de contrats de recherche passés avec des industriels. La commercialisation des produits y est encore extrêmement limitée. A l'importance de l'effort de recherche nécessaire vient encore s'ajouter un très gros handicap pour les sociétés européennes: le marché des produits ultra-sophistiqués mis au point par les sociétés de biotechnologie est déjà étroit au niveau mondial; à l'échelle de l'Europe et de son marché éclaté, il est dérisoire.

D'où la nécessité pour l'entreprise de se placer dans le bon créneau et de savoir d'emblée attaquer les marchés extérieurs.

Autre difficulté: mettre la main sur de véritables managers, capables de mettre au point un "business plan" cohérent. A notre avis et heureusement de l'avis de quelques autres spécialistes, l'idéal c'est la troïka, qu'on retrouve fréquemment aux Etats-Unis: un technicien, un homme de marketing et un financier. En Europe, en général, et en Belgique en particulier, on a trop souvent affaire à une personne seule pour défendre un projet.

Soyons clair:

  • poids du coût de la recherche;

  • rentabilité peu sûre et en tout cas à très long terme;

  • insuffisance du management;

  • manque de débouchés;

  • désinvestissement difficile.

Voilà les obstacles majeurs qui s'opposent au développement des biotechnologies tel qu'il est pratiqué chez nous.

Nous n'échapperons donc pas à la question fondamentale:

Pourquoi les nouvelles technologies se développent-elles, semble-t-il préférentiellement aux USA alors que l'Europe devrait rester un terrain privilégié pour une telle initiative, l'Europe, avec une population de 270 millions d'habitants, une production industrielle égale à celle des USA et double de celle du Japon, une épargne annuelle de plus de 400 milliards d'écus et donc une capacité de financement bien supérieure à celle des USA et évidemment du Japon?

Le problème est lié bien entendu au contexte fiscal mais ce n'est pas le seul.

En effet, le jeu du "venture-capital" nécessite impérativement que de petites sociétés puissent être cotées en bourse pour assurer le relais financier.

La création ou l'expansion d'un marché "hors cote" apparaît dès lors indispensable. Une autre partie de la réponse se trouve dans le fait que si les chiffres ci-dessus restent impressionnants, il est manifeste que depuis 10-15 ans, l'Europe est en déclin et que depuis 1970 la croissance de la production industrielle aux USA et au Japon a été respectivement le double et le triple de celle de notre continent. Le problème de l'Europe est donc un problème d'affaiblissement industriel qui débouche sur le problème de l'emploi. C'est clair, nous sommes en passe de rater le train de la troisième révolution industrielle.

Pourquoi l'Europe ne crée-t-elle pas plus d'emplois?

Les meilleurs experts s'accordent à y trouver, en un résumé très bref, les motifs suivants:

  • les rigidités structurelles sont multiples et nuisent à la compétitivité;

  • il n'y a qu'un lointain rapport entre les salaires réellement perçus et ceux payés par l'employeur. Les charges sont énormes et la fiscalité démotivante;

  • la tension salariale est devenue trop faible pour motiver ceux qui veulent entreprendre et prendre des risques ou encore pour inciter les gens à changer d'industrie ou de région.

Des salaires minima élevés découragent les employeurs à l'engagement de débutants, donc de jeunes. En outre, la législation rend les licenciements difficiles et très coûteux. Ajoutons que la mentalité "vacances" n'arrange rien. Prenons un exemple chez le voisin: en Allemagne, on a droit à peu près à 40 jours de congés payés et/ou fériés par an. Aux USA, la moyenne est de 20 jours.

Un chiffre encore: les employeurs en Allemagne et en France couvrent une surcharge patronale de l'ordre de 80% (qui atteint d'ailleurs 94% en Italie). Elle est de 38% aux USA. C'est dans ce cadre que les Européens assistent médusés à l'expansion économique et à la création de millions de nouveaux emplois aux USA.

  • enfin, toutes les législations font qu'il est plus difficile en Europe de lancer des entreprises. Pensons aux incitants du genre "venture-capital" et "stock options" (3) et à ce que nous faisons.

Les évidences sont là: l'Europe est très lente à se dégager d'anciennes structures complètement obsolètes et qui ne tiennent debout qu'à coup de subsides.

Alors donc que les marchés des nouveaux produits lui échappent, les segments de marché des produits traditionnels se réduisent pour diverses

raisons telles que prix de revient non concurrentiels greffés sur la concurrence récente des nouveaux pays industriels. En un mot: l'Europe risque de se trouver exclue des marchés d'avenir tout en étant très menacée sur les marchés traditionnels.

Le diagnostic est dès lors facile à établir:

  • l'Europe se sclérose, le tissu productif ne se renouvelle pas assez, l'esprit d'entreprise est battu en brèche au profit de la restructuration. On ne crée plus: c'est le vieillissement.

L'âge moyen des populations s'élève, ce qui, greffé sur un système de sécurité sociale généreux, annonce des problèmes financiers pour l'avenir. Le marché du travail est rigide. La création d'entreprises s'y fait à un rythme moitié moindre qu'aux USA et trois fois plus faible qu'au Japon.

Sans prise de conscience et sans effort de redressement généralisé, il faut avoir le courage de dire très haut qu'il n'y a guère d'espoir. C'est à nous, Européens, à nos dirigeants et à nos populations à savoir ce que nous voulons.

(Octobre 1987)

 

Notes

(1) Le mécanisme de "replication" (ou de "transcription") est inhérent à la structure de l'ADN même. Les liaisons moléculaires dans les barreaux n'étant pas très fortes, la molécule peut facilement se séparer en son milieu un peu comme si les 2 montants étaient reliés par une fermeture "éclair". Cette ouverture laisse des bases "libres" sur chaque chaîne constituant une véritable matrice pour la fabrication d'une nouvelle chaîne rigoureusement identique à l'originale (fig 3))

(2) On appelle plasmide une petite molécule circulaire d'ADN extra-chromosonale.)

(3) Le "stock option" ou option sur actions est un système qui offre au travailleur d'une société la possibilité d'acquérir à un prix fixé d'avance, des actions de la société dans laquelle il travaille. Le système, évidemment destiné à intéresser et à motiver le personnel, doit également permettre d'attirer des agents de haute compétence dans l'entreprise. Malheureusement, le droit aux options tel qu'il est prévu par la législation belge en la matière est sujet à tant de conditions qu'il est pour le moins inattrayant (par ex. le personnel doit être dans la société depuis au moins deux ans (!!). Il y a un plafonnement à 500.000F/an, etc, etc.)


 

 

 

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